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La paternité dans fin de partie

Publié le 18/03/2011

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Né en 1906 en Irlande, Samuel Beckett est l'une des grandes figures du « théâtre de l'absurde », mouvement dramaturgique des années 1950 qui traduit l'angoisse d'exister dans un monde déréglé, suite aux bouleversements majeurs de la seconde guerre mondiale. Il écrit Fin de Partie en 1957, pièce qui met en scène quatre personnages infirmes, aigris et dégradés dans un décor grisâtre et apocalyptique. Il dénonce ainsi l'absurdité de la condition humaine, notamment en dénigrant les relations familiales. Comment la notion de paternité est-elle abordée dans la pièce et en quoi a-t-elle une importance particulière? Nous étudierons tout d'abord la domination du rapport père-fils puis nous observerons en quoi cette relation est-elle remise en cause.    On peut constater que la relation père-enfant occupe une place dominante.   Le caractère omniprésent de la paternité en atteste. En effet, un lien de parenté unit tous les personnages masculins. Ainsi, Hamm, le personnage central, est à la fois le fils de Nagg et le père adoptif de Clov. Il est régulièrement fait allusion à cette filiation « c'est moi qui t'ai servi de père (…) Sans Hamm pas de home », . On remarque également une interdépendance forte entre ces personnages: Hamm a besoin de son fils Clov car il s'agit du seul personnage encore valide, apte à se déplacer, qui assure la survie des autres protagonistes et réciproquement Clov ne peut se passer de son père qui « détient la combinaison du buffet » et gère alors la nourriture, « je pourrais te laisser mourir de faim ». Cette appartenance  matérielle dans les rapports père-enfant donne une importance d'autant plus singulière à la paternité dans la pièce. Il est également fait référence à cette parenté dans l'épisode du « roman de Hamm », on y découvre en effet un homme qui semble être le père biologique de Clov. Or, cette anecdote que Hamm ne cesse de raconter, l'adoption de Clov, semble être un souvenir majeur de son existence. Une fois de plus, le rapport de paternité est mentionné et apparaît comme un élément capital de l'histoire.  De plus, la relation père-fils prépondérante se distingue de la relation mère-fils qui paraît reniée, effacée. L'exemple le plus clair illustrant cette idée est la mort symbolique de Nell. Il est d'ailleurs évoqué implicitement que Hamm en serait à l'origine à travers la réplique « elle est formidable cette poudre » qui suppose un éventuel empoisonnement de Nell. La relation entre Nell et son fils est d'ailleurs quasiment inexistante, Hamm ne s'adresse jamais directement à sa mère et en parle par le biais du pronom possessif « elle », ce qui met une certaine distance entre les deux personnages, qui figurent être deux inconnus. On apprend par ailleurs que Nell n'assurait pas son rôle de parent durant l'enfance de Hamm et que c'est donc Nagg qui s'en chargeait pleinement « Qui appelais-tu, quand tu étais tout petit et avais peur? Ta mère? Non. Moi. ». Cette négation de l'amour maternel transparait aussi dans le fait que la mère de Clov ne soit pas évoquée: seul le père est présent dans le roman de Hamm. On observe également la disparition de la maternité à travers la mort de la « mère Pègue », évoquée au cours de la pièce.  La notion de paternité ayant une place primordiale dans la pièce est malgré tout remise en cause et est plus complexe qu'il n'y paraît.

 Premièrement, il s'agit d'une relation haineuse et conflictuelle. Plus précisément, Hamm octroie de nombreuses injures à son père « maudit progéniteur (…) maudit fornicateur (…) ordure (…) Salopard!» qui témoignent du mépris évident qu'il ressent pour Nagg. Qui plus est, le fait de laisser Nagg et Nell se dégrader dans une poubelle reflète son rejet total de l'affection parentale. L'idée de mépris du rôle de père est d'ailleurs récurrente dans le texte: le dédain de Clov envers la fonction de père avec l'utilisation du pronom démonstratif cela « -C'est moi qui t'ai servi de père /-Oui, c'est toi qui m'as servi de cela » et réciproquement l'ironie de Hamm à travers les questions rhétoriques « Vous ne voulez pas l'abandonner? Vous voulez qu'il grandisse pendant que vous, vous rapetissez? Qu'il vous adoucisse les cent mille derniers quarts d'heure? » qui dénoncent l'inutilité d'un enfant pour consoler d'exister.  L'ingratitude mutuelle entre Nagg et Hamm se fait ressentir, notamment par la réplique de Nagg « je ne pouvais pas savoir(...) que ce serait toi »: le fils renie le père et inversement.  En outre, la relation entre Hamm et Clov relève plus du duo maitre-esclave que du rapport père-fils. On assiste en effet au binôme théâtral traditionnel maitre-valet, Clov est le jouet des caprices de Hamm. L'utilisation constante des impératifs et le sifflet dont Hamm use pour interpeller Clov soulignent cette idée. D'un point de vue scénique, Hamm est placé au centre sur son fauteuil et Clov est debout, régulièrement à ses cotés, ce qui envoie à l'image du tyran sur son trône (le fauteuil) accompagné de son docile serviteur. Cette impression se conforte lorsque est citée la cuisine, lieu de refuge de Clov, qui peut faire référence au cachot de l'esclave.  D'autre part, cette remise en question de la paternité passe aussi par le fait que l'idée même de transmettre la vie paraît insupportable aux personnages. En effet, l'absence de mère, qui a pour rôle de donner la vie, rend impossible toute procréation, on peut alors dire que la vie s'éteint. Cette idée se retrouve à de divers passages de la pièce. Il est par exemple question d'un « procréateur en puissance » qu'il faut à tout prix exterminer, lorsque Clov aperçoit un enfant. De même, l'épisode de la puce provoque un élan de panique chez Hamm dont la première réaction est « Mais à partir de là l'humanité pourrait se recréer ». Aussi, la vie est reniée par les personnages, qui par conséquent ne conçoivent pas l'idée de paternité qui renvoie inévitablement à la transmission de la vie.

 Le rapport père-fils est clairement dominant dans Fin de partie, de part les nombreuses allusions qui y sont faites et en comparaison avec la relation mère-fils, fortement dénigrée pour ne pas dire absente. Néanmoins, la notion de paternité est profondément remise en question à travers l'image d'une relation de haine, de soumission et de conflits, qui reflète l'angoisse des personnages face à la diffusion de l'humanité.

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