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La poésie vous semble-t-elle être un genre propre à favoriser l'évasion ?

Publié le 16/01/2011

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 La poésie – nom provenant du grec et signifiant « faire, créer « – est un art du langage visant à suggérer et à faire connaître quelque chose par le rythme, l'harmonie et l'image, selon la définition du dictionnaire le Petit Robert. 

 Dans la littérature, et particulièrement dans les textes en prose, c'est le sens du texte qui est généralement privilégié. Dans les poèmes, c'est la façon de présenter les mots qui est importante. Le poème est donc beaucoup plus proche d'une œuvre d'art ou d'un tableau, par son effet visuel ou sonore. Le poète est donc par là proche d’un artiste comme un peintre ou un sculpteur qui va jouer avec les mots et les sonorités. 

 On peut donc se demander si le poème, comme œuvre d'art, amène celui qui le lit ou l'écoute à s’évader, ou en d'autres termes, si la poésie favorise l'évasion. La dissertation comportera trois volets. Dans un premier temps, nous nous attarderons sur l'éloignement du réel par la poésie. Puis nous verrons que la poésie mêle en fait à la fois l'imaginaire et le réel. Enfin, nous nous demanderons si la poésie ne nous permet pas de mieux percevoir la réalité. 

 Dans l'_Invitation au Voyage_, poème des Fleurs du Mal, Charles Baudelaire invite le lecteur à un voyage spirituel dans un lieu idéal, chargé d'exotisme. Nous voyons à travers l'exemple de ce poème la force d'évocation du poète qui, par les mots, les rimes, les sonorités, nous emmène dans son imaginaire et permet l'évasion de notre esprit. Avec ce poème, on entre dans un voyage idéal, œuvre de l'esprit et de l'imagination. Pour imaginer ce voyage, le poète fait appel ici à un élément réel, à savoir l'être aimé, qui devient source de son évasion par l'intermédiaire des sens. 

 On retrouve cette même inspiration chez Victor Hugo, dans Demain, dès l'aube..., le poète y évoque un voyage pour se rapprocher d'un être cher disparu, sa propre fille. Dans ce poème, à travers le langage, les rythmes et les images suggérées, Hugo crée l'évasion d'une réalité qui le fait souffrir, et immortalise la mémoire d'un être proche trop rapidement disparu. Nous voyons donc là toute la puissance de la poésie qui transforme un voyage raconté en voyage sentimental et spirituel. 

 Mais l’incitation au voyage peut également être réelle. Dans Ma Bohème, Arthur Rimbaud nous décrit la fugue insouciante d’un adolescent en rupture. Le poète, à la fois voyageur et fugueur, libre et rêveur, est alors à la recherche du bonheur, à l’écoute « du frou-frou des étoiles «, « petit poucet rêveur « « assis au bord des routes «. 

 Nous voyons à travers ces différents exemples que la poésie peut permettre une évasion, par le biais de l'évocation de voyages. Mais cette évasion par le poème n’est-elle pas, comme l‘évoque Rimbaud, une fugue sans destination précise et donc finalement une façon pour le poète de fuir la réalité ? 

 Charles Baudelaire débute son poème L’Albatros par le récit d’un voyage, puis glisse progressivement vers une ridiculisation de l'oiseau qu’il identifie au poète, mélancolique et exclu de la société. Ce dernier n'arrivant pas à s'intégrer aux hommes et s'enferme donc dans son propre monde aspirant à la liberté et au bonheur. Baudelaire veut en fait fuir le fait que le poète est ridicule et maladroit sur terre – son élément étant le ciel –, au contact des hommes. 

 Le Bateau ivre d’Arthur Rimbaud entraîne le lecteur dans un lieu aux changements de décors étourdissants. Sous l'effet de l'irréalisme brutal des images, le spectacle tourne au fantastique. La mer devient symbole de l'Inconnu. Ce poème relatant la navigation difficile d’un navire est tout autant une métaphore de l’adolescence de Rimbaud. 

 Outre le fait de nous éloigner seulement de la réalité, certains poèmes mêlent à la fois aussi bien le rêve que la réalité. Pour ce faire, certains poètes font appels à l’imaginaire collectif et aux mythes ou mêlent simplement le rêve à la réalité. 

 Dans son poème Les Djinns tiré des Orientales, Victor Hugo mêle à la fois la réalité des lieux à la mythologie orientale en abordant l'attaque de Djinns – terme utilisé pour désigner les esprits, génies ou démons dans les croyances musulmanes – contre les hommes. Par le recours aux mythes, le poète rend ici la réalité encore plus percutante et terrifiante. 

 Dans La Chevelure de Charles Baudelaire, la rêverie se développe jusqu’à une aventure maritime et exotique qui, au départ, est liée à une image de femme, comme dans Parfum exotique ou Invitation au voyage. Mais le thème du voyage cache une quête beaucoup plus fondamentale, celle du bonheur. Baudelaire imagine le bonheur sous une forme essentiellement sensuelle, selon laquelle le plaisir doit être le but de la vie. Mais il en donne par moments une description quasi-mystique. 

 Nous voyons donc que dans ces poèmes, l’imaginaire et le rêve modifient et renforcent la réalité : les poètes utilisent l’imaginaire pour altérer le monde tel qu’ils le perçoivent. Nous pouvons donc nous demander si l’intention finale des poètes n’est pas de mieux nous faire comprendre le monde qui nous entoure. 

 Arthur Rimbaud, dans sa Lettre du Voyant, affirme qu’« il faut être voyant, se faire voyant «. C’est donc le rôle du poète : s’éloigner du réel, par l’imaginaire, pour mieux y revenir et le comprendre. 

 Ainsi Francis Ponge dans Le Pain décide de regarder le pain à la loupe, de grossir l'échelle de l'objet et retrouver ainsi la magie du premier contact avec celui-ci. A force de trop voir les choses nous cessons de les voir. Le pain, à travers les mots du poète, devient un paysage, un monde en miniature à lui seul. Ponge regarde l'objet avec un œil nouveau, il se fait « voyant « et nous montre que l'objet le plus banal renferme des richesses insoupçonnées – que seule la langue poétique dévoile. 

 Mais le poète n’est pas uniquement un observateur ; par ses poèmes il peut influencer son époque. Chez Aimé Césaire, décédé récemment, la poésie devient par exemple un moyen d’exprimer des opinions politiques, de défendre une cause. Le poète n’est plus simplement un observateur privilégié, il devient acteur de son temps. 

 Dans La Prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France, Blaise Cendrars nous invite à un voyage, une aventure poétique à travers le temps et l’espace. Cendrars veut peindre le monde, pas comme il le voit, mais comme il le sent : un monde rempli de couleurs, flamboyant et violent. 

 Dans un premier temps, nous avons vu en quoi la poésie pouvait permettre une évasion du réel, en particulier à travers l'évocation d'un voyage, qu'il soit effectif ou spirituel. Puis nous avons étudié la complémentarité du réel et de l'imaginaire dans la poésie, l'imaginaire permettant de modifier ou de renforcer des impressions réelles. Enfin, nous nous sommes demandé si le but du poète n'était pas de mieux comprendre la réalité à travers l'évasion que permettait la poésie. Outre le fait d'éloigner de la réalité, la poésie peut finalement permettre de mieux comprendre le monde qui nous entoure, et permet au poète de s'impliquer dans son temps. 

 Nous avons vu en introduction que le poète est, au même titre qu’un peintre ou un sculpteur, un artiste. On pourrait donc se demander quelle est la place de la poésie dans l’art.

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