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La vocation de la poésie est-elle, selon vous, de célébrer l'amour ou privilégiez-vous d'autres fonctions ?

Publié le 18/01/2011

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amour

Selon différents auteurs, la poésie, forme particulière de la littérature, peut avoir une valeur d’éducation, d’engagement, d’exaltation du beau, ou de célébration de l’amour.

D’après Soljenitsyne : « Une littérature […] qui n’ose communiquer à la société ses propres souffrances et aspirations, qui n’est pas capable d’apercevoir à temps les dangers sociaux et moraux qui la concernent, ne mérite même pas le nom de littérature «. Soljenitsyne nous dit donc que l’écrivain, et donc le poète, doit s’engager entièrement dans tous ses ouvrages.

Jean-Paul Sartre, auteur et philosophe du XXe siècle, pense que la poésie a une autre fonction : « La prose se sert des mots, la poésie sert les mots « (Qu’est-ce que la littérature ?). Selon Sartre, le poète, contrairement au prosateur, considère le mot comme un matériau comme le peintre ses couleurs et le musicien ses sons. Il ne peut donc s’engager et est réduit à l’exaltation de tout ce qui est beau et à l’expression de ses sentiments et de son amour.

La poésie a-t-elle pour seule vocation de célébrer l’amour, ou peut-elle avoir d’autres fonctions ?

Nous étudierons en un premier temps les diverses fonctions que peut avoir la poésie, avant de s’attarder sur l’exaltation de l’amour, une de ses visées les plus répandues.

 

La poésie peut tout d’abord avoir une visée purement éducative. Les Fables de Jean de La Fontaine, par exemple, sont connues pour les diverses morales qu’elles communiquent au lecteur, d’autant plus qu’elles étaient à l’origine destinées au Dauphin pour l’éduquer – « Je me sers d’animaux pour instruire les hommes «. La Cour du Lion, par exemple, nous apprend qu’il ne faut pas toujours dire ce que l’on pense ; Le Lièvre et la Tortue, que mieux vaut faire quelque chose lentement mais dans sa totalité que rapidement mais à moitié ; Le Corbeau et le Renard, qu’il faut se méfier des adulateurs. Ces leçons sont communiquées par l’utilisation d’un présent de vérité générale ou d’un présent de l’impératif (« Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute «, Le Corbeau et le Renard), ce qui met en évidence les valeurs injonctive et didactique des Fables.

La poésie a aussi permis à des poètes d’époques différentes de s’engager et de dénoncer les « dangers sociaux et moraux « de la société. Victor Hugo, auteur romantique du XIXe siècle, s’exila après le coup d’état de Louis Napoléon, et publia Les Châtiments, recueil de poèmes satiriques dans lesquels l’auteur cherche à discréditer le régime de Louis Napoléon Bonaparte (qu’il appelait « Napoléon le petit «). Dans son poème « Melancholia « des Contemplations, Victor Hugo dénonce le travail difficile et la maltraitance des enfants dans les mines et les usines. Jean de La Fontaine aussi s’est engagé dans ses Fables. Ayant la protection d’une des maîtresses du Roi Louis XIV, il s’insurgea contre les hypocrisies de la Cour et contre les mœurs de la bonne société. Dans les Obsèques de la Lionne, par exemple, il critique la servilité des courtisans et la façon dont ils  s’adaptent tels des « caméléon[s] « à l’humeur du Roi Lion ; dans La Grenouille qui voulait se faire aussi grosse qu’un Bœuf, les aspirations bourgeoises ; et dans le Corbeau et le Renard, les flatteries omniprésentes à la cour du Roi.

Certains poètes comme Baudelaire et Victor Hugo se sont parfois servis de la poésie et du registre lyrique (registre permettant l’expression des sentiments) pour communiquer à leur lecteur leurs émotions les plus intimes ainsi que leurs pensées les plus profondes, espérant que le lecteur y retrouverait ses propres sentiments ou quelque chose de proche. Dans Les Contemplations de Victor Hugo, recueil de 158 poèmes répartis en six livres, l’auteur y transcrit ses souvenirs d’amour, de joie mais aussi de mort, de deuil et son mysticisme. Baudelaire s’est aussi servi de ce registre pour exalter la beauté : son poème « Invitation au Voyage « des Fleurs du Mal (1857), par exemple, nous communique l’idéal esthétique du poète.

Enfin, la poésie a aussi permis à certains poètes de « s’évader « du monde qui les entourait. Rimbaud évoque par exemple la liberté que lui apportent ses fugues et la poésie dans « Ma Bohème « (Fantaisie). Henri Michaux a aussi exprimé son désir de fuite dans son poème « Emportez-moi «, où il nous communique sa lassitude des plaisirs de la chair et l’ennui profond du monde autour de lui.

 

Cependant, en dépit de toutes les fonctions que peut avoir la poésie, l’une d’entre elles semble être un thème récurrent à travers les siècles : la célébration de l’amour. Verlaine et Baudelaire, poètes du XIXe siècle, ont écrit des poèmes comme « Mon rêve familier « (Verlaine) et « La Vénus Noire « (Baudelaire) où ils évoquent respectivement le rêve d’une femme inconnue qui aime et est aimée par Verlaine et l’amour ardent pour Jeanne Duval, une mulâtresse qui était une des compagnes de Baudelaire.

Ce thème de l’amour se retrouve au XXe siècle dans des poèmes tels que ceux de Robert Desnos (« J’ai tant rêve de toi, A la mystérieuse «), de Paul Eluard (« La dame de carreau «) et de Claude Roy (« Tant «). Ces poèmes ont tous pour thème l’amour. L’idéal de la femme aimée et de l’amour tel que les différents auteurs le conçoivent peut être retrouvé dans le poème de Desnos et de Paul Eluard.

D’autres poètes modernes ont aussi eu recours à la poésie pour communiquer leur amour sans bornes envers certaines personnes. Jacques Brel, par exemple, dans sa ballade Ne me quitte pas, demande à sa maîtresse, comme l’indique le titre, de rester à ses côtés. Il exalte son amour envers elle en lui proposer de l’emmener vers un pays où « l’amour sera roi, où l’amour sera loi, et où [elle sera] la Reine «, mettant ainsi en évidence son amour passionnel.

On peut aussi trouver cette exaltation et célébration de l’amour dans des œuvres beaucoup plus anciennes : William Shakespeare, dramaturge et poète anglais du XVIe siècle, évoque dans plusieurs de ces nombreux sonnets sans titres (répertoriés par des nombres) le thème de l’amour. Dans le sonnet 130, par exemple, il évoque le thème de la fatalité amoureuse, en montrant que malgré les nombreux défauts à la fois physiques et psychiques de sa maîtresse, une force surnaturelle fait qu’il ne peut s’empêcher de l’aimer de tout son cœur. Dans une de ses comédies (qui sont écrites en vers comme de véritables poèmes), A Midsummer Night’s Dream, (Un rêve d’une nuit de mi-été), Shakespeare met en scène quatre personnages vouant tous un amour loyal et démesuré à un autre et, encore une fois, joue avec le thème de la fatalité amoureuse qui réunit les deux couples à la fin de la pièce.

 

A l’issue de cette analyse, on peut conclure que bien que la poésie ait permis à des poètes d’époques différentes de célébrer l’amour et que ce dernier soit un thème récurrent dans la poésie à travers les siècles, l’exaltation de la passion amoureuse n’a jamais été la seule vocation de la poésie. En effet, la poésie peut avoir une visée éducative, esthétique, d’engagement et peut permettre à un poète de s’évader de la réalité vers un mode de sa propre création, d’autant plus que le mot ‘poésie’ vient du grec pioien, qui signifie « créer «. On remarque même que certains poèmes peuvent avoir une double fonction, comme les Fables de La Fontaine, qui critiquent les mœurs de la haute société du XVIIe siècle et les hypocrisie du Roi Louis XIV, tout en éduquant leur destinataire et en leur donnant des leçons sur la vie quotidienne.

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