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Langage et Réalité

Publié le 27/05/2012

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Langage et Réalité

 

 

Dans Cratyle, Platon arrivait à la conclusion que les mots, plus que des instruments servant à nommer la réalité, étaient finalement des images qui renvoyaient à la réalité. Cette distinction entre nomination stricte et figurée renverra plus tard au concept Saussurien de signifiant/signifié qui caractérisera le rapport du langage à la réalité qui nous intéresse ici-même.

Il s'agira donc d'analyser le langage comme faculté générale de pouvoir s'exprimer au moyen de signes. Mais également comme institution universelle et spécifique de l'humanité. Et ce par opposition à un supposé « langage animal » ou « langage SMS » dont nous ne traiterons pas. La question est ici d'étudier le langage dans son rapport au réel : l'être véritable des choses. Celle-ci suppose des enjeux sous-jacents qu'il faudra interroger :

Le langage est-il naturel? Par son origine est-il conforme à la nature? Ou n'est-il qu'une convention établie arbitrairement par les hommes, comme semblerait l'illustrer la variété des langues? Le langage permet-il d'effectuer le passage du monde intelligible à un monde sensible? Et ainsi contribuer à la réalisation d'une idée? Ou s'oppose t-il au réel et au concret par son apparente abstraction? Il y a t-il un lien de nécessité entre les noms et les formes qu'ils désignent? Ou ne sont-ils que des images qui renvoient à la réalité? Les mots ne sont-ils que des « carcasses vides » ou ont il une réelle signification qui appelle une identification personnelle? Quel pouvoir a le langage sur la réalité? Sommes-nous manipulés par la rhétorique et par les mots en général? Le langage a t-il un pouvoir social?

Le langage, en tentant de nous rapprocher de la réalité, ne la perverti-t-il pas?

Pour répondre à cette problématique nous verrons dans un premier temps comment le langage s'institue comme intermédiaire entre l'idée et le réel. Puis nous nous interrogerons sur l'origine des mots et leur application, afin de savoir si elle est strictement naturelle. Et enfin nous analyserons la dimension pragmatique du langage.

 

 

Le langage permet la réalisation d'une idée. Chaque signe qui se forme dans notre imaginaire nécessite une réalisation concrète. Par définition, l'idée est justement immatérialisée car elle appartient à ce que Platon nomme le monde intelligible. C'est en ce sens qu'il faut saisir le rôle du langage : intermédiaire entre un monde intelligible et un monde sensible. C'est à dire entre des Idées, qui existent en-elles mêmes et indépendamment de l'esprit humain et une réalité sensible changeante et constamment bouleversée. Par exemple, la réalisation d'une idée du beau dans le monde matériel passe par un compliment ou une remarque disgracieuse. Le langage est donc ce lien entre l'idée et le monde, tel qu'il est communément définit. Conséquemment, on peut le décrire comme un outil de concrétisation d'une idée.

Cependant, ce schéma peut parfois apparaître erroné. En effet, le langage ne semble pas toujours en mesure de retranscrire une idée, notamment pour deux raisons. D'abord, à cause de la définition même d'une idée, abstraite, éternelle et immuable, qui pointe le problème de la concrétisation de telles idées dans un monde en perpétuel changement ; « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » disait Héraclite en décrivant le changement continu du monde (sensible). La deuxième raison tient dans la complexité du langage, ou plutôt dans sa simplicité. En effet, les mots sont des concepts. Il ne caractérisent pas chacun un objet précis (ce qui rendrait inutilisable une langue) mais tentent d'illustrer un certain regroupement d'objet dont la détermination dépend du contexte où il est utilisé. Ce qui s'illustre tout à fait par l'utilisation du langage figuré : on ne comprend une métaphore qu'en la re-contextualisant. Par exemple quand Baudelaire dit qu'il n'est « qu'un vieux boudoir de fleur fanées » Les Fleurs du Mal, Le Spleen chacun est conscient qu'il n'est pas devenu un biscuit mais qu'il exprime ici toute sa mélancolie.

Le langage peut donc peiner pour ces deux raisons à retranscrire une idée, peine d'autant plus grande que la connaissance de cette idée est vague et incomplète. Pour illustrer cela on peut reprendre le sentiment universellement connu qui est celui de ne pouvoir décrire son humeur. Ou, dans des cas plus rare, de ne pouvoir caractériser l'extrême beauté d'une œuvre artistique. Le sujet humain doit alors renoncer à l'expression de cette idée, ou pire encore : se satisfaire d'une expression concordante. Pire solution car ainsi, le sujet s'éloigne de la vérité et va pervertir le réel. Car la vérité est une interprétation du réel. On rejoins là, l'analyse de Bergson qui pense que le langage ne nous permet pas une entière expression de nos « sentiments ».

 

Néanmoins, et malgré cette nuance, le langage et notamment la langue (pour Saussure, un ensemble de signes utilisés par une communauté pour communiquer) reste le meilleur moyen de concrétiser une idée. Elle permet donc de rejoindre le réel au sens commun du terme, c'est à dire la réalité sensible que décrivait Platon. Mais si les mots permettent de rallier le réel, ce serait donc que le langage est naturel. C'est ce que l'on va traiter à présent.

 

 

 

L'origine du langage est sujette à débat depuis l'antiquité cependant, et depuis un peu plus d'un siècle, le mot est considéré comme une convention arbitraire et artificielle.

Il semble apparement logique de penser le nom comme une correspondance avec originaire du réel. Le cas des onomatopées en est une illustration. Le « clap » semblerait en effet correspondre au claquement résultant du rapprochement des deux mains.

Ainsi, Platon, dans le Cratyle, va opposer deux thèses l'une à l'autre. D'un coté, Hérmogène défend l'idée que les mots sont justes par convention, et ce, sans attache aucune avec la réalité. De l'autre, Cratyle soutient que les mots sont justes car ils ressemblent à la réalité. Socrate arrive alors à une synthèse des deux thèses. Il va toute fois souligner la part de convention du langage. Pour cela, il va décrire la variété du terme « dureté » dans les langues Athénienne et Erétrienne, prouvant ainsi que l'usage peut parfois se substituer à la ressemblance du mot à l'objet. Cependant, pour Socrate, le langage est avant tout naturel, et la convention n'est qu'un accident. Selon lui, et selon Platon, il existe par ressemblance aux choses qu'il désigne. Et si le nom ne peut pas être une parfaite imitation de la chose (pour les raisons d'impraticabilité que nous énoncions toute à l'heure), il désigne néanmoins les caractéristiques d'une chose.

Cette vision, qui est pour simplifier (peut être abusivement) une sorte de naturalisme modéré, va être remise en cause par Ferdinand de Saussure, créateur de la linguistique moderne. Selon lui le langage est composé d'un signifié ; la représentation mentale d'une chose et d'un signifiant qui désigne l'image acoustique d'un mot. Et si on a vu que Platon trouvait un lien de nature entre ces deux concepts, Saussure, acceptant bien qu'il y ait un lien entre eux va refuser d'y mêler la nature. Selon lui, ce lien a tout d'arbitraire, et par opposition à Platon, rien de naturel. Il va pour illustrer son propos, reprendre l'idée des onomatopées qu'on étudiait plus haut. Il va en effet prendre l'exemple du « cocorico » devant imiter le cri du coq qui, s'il était vraiment une imitation du réel devrait être universelle à toutes les langues. Au contraire, il distingue que chez les Anglo-Saxons, il se dit « cock-a-doodle-do ». Etant donné que rien ne parviendra à expliquer que l'on préfère « boeuf » à « Rindfleisch » en allemand  pour décrire le concept de « boeuf », on ne peut que rejoindre la thèse désormais communément admise du linguiste moderne et rejeter du mot tout caractère naturel, ou du moins, l'universalité de celui ci.

 

Le mot est donc convention et ne procède pas directement du réel, ou de la nature comme le prétendait Cratyle. Cependant, et ce sera le thème de ce dernier mouvement, il semble qu'il influe sur celui ci.

Le langage agit en effet sur le réel. D'abord par un pouvoir social. C'est ce qui se passe dès qu'il y a autorité. Un individu ordonne et sa puissance est telle que sa parole devient acte. Dans le Sophiste, Platon mettait les citoyens de la cité en garde contre la rhétorique des sophistes qui maltraitaient la vérité en vue de servir une quelconque valeur. Ce sera le premier à remarquer l'intention du langage. Cela se retrouve aujourd'hui dans la publicité, qui est un exemple du langage comme outil de pouvoir. En effet, par la publicité, c'est un but que recherche les industriels, celui de vendre. Elle peut même aller jusqu'à remettre en cause la vérité et donc la réalité, on parle alors de « publicité mensongère » mais ce n'est pas tout. La manière dont la publicité crée un désir chez le consommateur est l'illustration que le langage a une signification chez son destinataire. Il intériorise les mots et s'identifient à eux par rapport à son histoire. C'est là tout le rôle du marketing : rechercher comment plaire en étudiant le consommateur et trouver la meilleur manière pour parvenir à une identification de celui-ci.

La manière dont le langage peut modifier le réel est particulièrement visible dans le cas du mensonge premièrement et dans l'acceptation de mensonge comme vérité ensuite. La manière dont Mr Jourdain se réalise dans Le Bourgeois Gentilhomme de Molière en est une illustration parfaite : trompé par tous ses professeurs, qui se plaisent, voyant en lui un moyen de s'enrichir, à le flatter, il va se réaliser en fonction de ces mêmes flatteries. Or la flatterie qu'est-ce que c'est sinon une usurpation du réel, un mensonge qui vient bafouer la réalité. La manière dont Mr Jourdain s'imprègne de cette image jusqu'à la croire vrai est typiquement l'exemple du pouvoir du langage sur le réel.

 

 

 

A la question de savoir si le réel sort perverti de sa transformation dans le langage, il faut noter l'imperfection de celui ci qui, s'il reste le plus fondamental, naturel et universel trait de l'homme ne parviendra jamais tout à fait à retranscrire chacune de nos idées. Cela nécessiterait en effet une langue qui s'évertuerait à donner à chaque objet un nom propre, chose impossible pour un monde en perpétuel mouvement qui n'aurait pu exister que dans un monde intelligible. Mais c'est bien là tout l'enjeu du langage, n'est il pas d'abord un outil de tous les jours qui doit désigner des objets connus. Et si nous sommes sans doutes parfois manipulés par celui-ci ce n'est pas à cause de sa simplicité. On retrouve donc chez Platon l'éloge d'une élite réfléchie qui aurait accès à un monde des Idées, loin des préoccupations les plus directes et les plus basses. Mais le langage, parcequ'il est continuellement sujet au réel doit au contraire se satisfaire de cette imperfection car il est le seul capable de retranscrire efficacement les représentations que nous ne faisons de celui-ci.

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