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L'Aspect Baroque Dans L'Oeuvre De Corneille

Publié le 26/09/2010

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corneille

 

Pierre Corneille, né à Rouen le 6 juin 1606 est surtout connu et reconnu pour sa grande pièce classique Le Cid. Il serait intéressant d'étudier ses œuvres antérieures telles que Clitandre,  ou encore La Place Royale car Corneille à la particularité d'avoir vécu dans un siècle où le dictat du Classique s'est imposé progressivement. L'unité n'était pas tant respectée dans Mélite que dans dans  La Galerie du palais pourtant lorsqu'il republiera ces œuvres après Le Cid, il ajoutera dans ses examens des justifications pour son non respect des règles classiques, montrant ainsi l'impact qu'à eu ces règles, et surtout la querelle du Cid, sur sa personne. Mais revenons donc à ses premières pièces, comment s'éloignaient elles du classicisme au profit du Baroque ? Les héros Cornéliens sont ils la représentation parfaite du héros Baroque ? Pour répondre à ces questions, voyons d'abord comment le Théâtre, lieu où se mêlent constamment illusion et réalité, nourrit l'aspect Baroque des pièces de Corneille. Nous étudierons ensuite les personnages et leurs constants dilemmes, sont ils submergés par l'incertitude ? Enfin, nous chercherons la dimension baroque dans les œuvres de Pierre Corneille. 

 

Le théâtre de Corneille se nourrit il de la réalité ou privilège-t-il la vraisemblance ? Les évènements de la Querelle du Cid laissent à croire que Corneille préférait la vérité, aussi horrible soit elle, que la vraisemblance et sa bienséance. C'est d'autant plus vrai dans ses premières œuvres, où il s'éloigne du Sublime classique, cette idée où les héros ne pouvaient s'épanouir que dans des situations grandiloquentes, pour la vérité, où plutôt un état proche du réel. Corneille place l'action de ses pièces dans des lieux bien connus de ses lecteurs, comme la Galerie du palais ou la Place royale, des lieux qu'ont foulés ses lecteurs. Il parvient même à y retranscrire l'ambiance qui y règne, notamment dans la Galerie du Palais grâce aux scènes des commerçants, ces scènes pouvant passer pour des comptes rendus de la vie mondaine de l'époque. Le non respect de règles classiques permettent également de rapprocher encore plus près du réel. Des personnes réelles se déplacent, vont de magasins en magasins et de maison en maison, tout comme Hipolite et Célidée. L'action se déroule sur plusieurs jours, laissant ainsi les personnages évolués. Il semble plus « vrai « que Célidée et Lisandre mettent plusieurs jours à s'aimer, se séparer, se questionner, s'aimer à nouveau, plutôt qu'une seule et unique journée. Leur évolution psychologique gagne ainsi en profondeur. Pourtant même ainsi, le Théâtre n'est pas pour autant la copie de la réalité, mais serait plutôt une sorte de reflet légèrement déformé où s'entremêlent illusion et réalité.

Le paradoxe, notion propice à la pénombre baroque, règne en maitre sur le Théâtre. Il peut être à la fois vérité et mensonge,  rêve et réalité. A l'époque, il était courent d'écrire un rôle pour une actrice ou un acteur reconnu. Connaître ainsi la personnalité de l'acteur aidait à saisir la complexité d'un personnage, une question alors légitime se pose: où s'arrête l'acteur et où commence le personnage ? Où est le réel, et où est le non réel ? La réponse pourrait être que sur scène, les deux « persona « cohabitent pour se nourrir l'un l'autre, transformant ainsi l'acteur en un paradoxe vivant. Le décor même où il évolue est lui aussi un alliage de d'illusion et de réalité. Il s'agit bien évidement d'un vrai décor, représentant une boutique, une rue ou un manoir qui n'est bien évidement pas lui même sur scène. Mais pour les spectateurs, ces décors deviennent la réalité de la pièce, et cette boutique, cette rue ou encore ce manoir deviennent réalité. Le rôle des spectateurs est lui même bien étrange, ils sont la réalité dans le Théâtre : ils sont ceux qui ont payé leurs places, qui s'assoient devant la scène et applaudissent à la fin. Mais ils sont également ces témoins non existant de l'action de la pièce, pour Mélite dans la pièce éponyme, les spectateurs n'existent pas et sont donc non réels. Le Théâtre entretient cette inconstance, tantôt réel, tantôt illusion et s'en nourrit. Et tout comme le Théâtre, les héros de Corneille semblent happés dans l'indécision.

 

Les héros de Corneille semblent être en proie à une profonde incertitude, le schéma complexe des relations qui pourrait être tracé au début de chaque pièce est bouleversé par l'action. Dans La Galerie du palais, Célidée aime d'abord Lisandre puis doute en lui préférant Dirimant, puis retombe amoureuse de Lisandre. Il en est de même pour Angélique dans La Place royale qui hésite entre Alidor et Doraste. Les relations des personnages ne sont jamais fixes et sont en perpétuels mouvements. Seul les personnage qui font figure de repaire, ou peut être de sage, comme Pleirante dans La Galerie du palais, sont immunisés face à ce mouvement tout simplement parce qu'ils seront le moteur du rétablissement de la situation initiale. Ces évolutions relationnelles mènent les personnage à se questionner et à évoluer psychologiquement.

Le mouvement que constituait le bouleversement des relations se retrouve également dans l'évolution psychologique de personnages comme Célidée ou Hipolite. L'une qui était froide et doutait de son amour pour Lisandre retrouve sa passion et l'autre qui était prête à trahir sa meilleur amie pour l'homme qu'elle aimait se résigne. Ces personnages nous apparaissent humains, avec leurs forces et faiblesses. Cette psychologie travaillée peut être reliée à la querelle du Cid. Si le mariage d'une femme avec l'assassin de son père éprouvait la bienséance alors, il pourrait être de même pour l'issue heureuse de La Galerie du palais. Hipolite a manipulé son amie, a trahie son amie et failli entrainé Lisandre et Dorimant vers la mort, pourtant, elle est pardonnée et aura droit à son mariage. Cette fin est bien loin du Sublime, les deux hommes reprennent leurs esprits et l'amie de longue date pardonne, cela est beaucoup plus proche du réel, et par la même occasion du baroque qui préfère voir son action se dérouler dans un cadre encré à la réalité, une réalité dans laquelle un « combat « entre l'illusion et la réalité fait rage.

L'ambiguïté des personnages pour l'illusion, le mensonge et la réalité, la vérité est source d'une constante incertitude. L'un des exemples les plus forts est celui de Dorise dans Clitandre. Dans la scène V de l'acte II, Doise apparaît comme perdue entre le mensonge et la verité. Elle est à demie vêtue, à demie nue, elle un être hybride moitié vérité, moitié mensonge. La folie la gagne, et elle confond la réalité et l'illusion, son mensonge devient sa vérité. Elle se trouve à la frontière des deux, en pleine pénombre. Dorise se trouve dans un état hybride en pleine nature, juste après s'être apprêter à donner la mort. Elle se trouve également entre la vie et la mort . Ce monologue montre Dorise se cherchant continuellement entre deux états, tout comme Célidée qui doute de son amour pour Lisandre, qui hésite entre continuer à suivre le conseil d'Hipolite . Une Hipolite qui est l'incarnation du masque, elle cherche à se faire parêtre telle qu'elle ne l'est pas: une amie sincère, une femme insensible aux charmes de Lisandre ... L'indécision de Célidée est le moteur de La Galerie du Palais, c'est celle ci qui permet les manipulations d'Hipolite, Florice et Aronte, et c'est encore celle ci, lorsque elle doute de l'amour de Lisandre pour elle, qui entretient le mensonge. Dans les pièces de Corneille, le mensonge et la vérité sont si imbriquées l'un dans l'autre qu'il devient difficile de les discerner. Il s'agit la d'une caractéristique majeure du baroque, quand est il des autres dans l'œuvre de Corneille ?

 

Selon Jean Rousset, il existe cinq caractères baroques incontournables. Le mouvement permanent, le monde renversé caractérisé par la mise en abîme, l'inconstance, le déguisement, la mort et enfin la vie et le monde. L'exemple le plus frappant de mise en abîme se trouve dans La Galerie du Palais, lors de la scène où Dorimant et le libraire discutent des pièces à succès. Le monde est complètement renversé, le Théâtre critique le Théâtre et prend la place de la réalité. L'illusion revêt le masque de la réalité pour en parler. Mais le Théatre n'est pas le seul à utiliser le déguisement, la dissimulation de la vérité. Tous les héros Cornéliens y ont recours: Dorise, Célidée, Hipolite, Angélique. L'intrigue repose sur un trompe l'oeil continuel dans La Galerie du Palais. Célidée comme Lisandre font mauvais interprétations sur mauvais interprétations, ils sont piégés par d'habiles mensonges et manipulations qui les entrainent à basculer vers une autre forme d'eux même, tout comme Dorise dans Clitandre, qui embrasse le mensonge. La mort dans son monologue est si présente qu'elle devient une sorte d'entité vivante qui la hante, elle semble si proche qu'elle provoque la folie de Dorise qui pour garder sa vie doit devenir mensonge. Une transformation qui a lieu dans une forêt, un lieu où la lumière et les ténèbres se côtoient, où la pénombre règne entourée de végétation qui représente la fugacité de la vie, les plantes, fleurs et autre arbres en constante mutation, évolution. Mais si Dorise se retrouve dans ce état, c'est bien le fait du Hasard qui a placé Rosidor sur son chemin.

Le Hasard caractérise le baroque si il est réellement moteur de l'action, et dans Clitandre, c'est bel et bien le cas. C'est le hasard qui envoya Rosidor empêcher Dorise de tuer Caliste, et transformer Dorise. Dans La Galerie du Palais, c'est également le hasard qui fit que Dorimant soit l'ami de Lisandre et qu'il tomba sur Hipolite dans la Galerie du Palais, et que celle ci était l'amie de Célidée, la promise de Lisandre. C'est bel et bien le hasard qui permet le déroulement de l'action, qui permet l'action. La Fortune semble alors être une sorte d'entité supérieure qui s'amuse de ce qu'elle a engendré, une spirale dans la quelle elle enferme les personnages.

La construction en spirale est ce qui revient après la lecture des premières pièces de Corneille. La Galerie du Palais commence avec une stabilité relative qui est bouleversée par l'intervention du hasard et l'incertitude pour revenir à la même situation initiale à la fin de la pièce. Certaines relations sont également construites sur ce schéma: comme la relation Hipolite en tant que maitresse de Florice, Florice qui donne ses ordres à Aronte, et Aronte qui cache le plus important à Hipolite. Ils forment tous les trois une étrange spirale de la relation maître / servitude. Il en va de même pour Dorise lors de son monologue qui s'échappe du mensonge pour la vérité, puis pour revenir au mensonge puis pour revenir à la vérité et retourner encore au mensonge: Dorise est à moitié déguisée en Géronte, elle est accablée par la culpabilité qui lui causera sa perte, elle décide alors de revêtir complètement le costume. Aussi bien au niveau de l'intrigue, qu'au niveau des relations et de la psychologie des personnage, la construction est clairement en spirale, un constant mouvement entre un retour aux sources et une évolution probable, la spirale pourrait être la parfaite métaphore du baroque.

 

Nous avons pu déceler la présence indéniable du baroque dans les premières pièces de Corneille, des pièces qui s'éloignaient de la règle des unités si chère aux Classiques. Cela avait surement pu être possible uniquement au fait qu'à l'époque, ces règles n'étaient pas aussi encrées qu'à l'époque du Cid . Le goût a évolué, et Corneille a du s'y conformer. Pourtant, il garde sa vision de la vérité au profit de la bienséance, un vision qui fait toute la richesse de ses pièces et de ses personnages.

 

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