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Le crapaud de Corbière

Publié le 03/01/2011

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Le crapaud de Tristan Corbière Intro : • Le titre est déjà très révélateur : l'expression lyrique des sentiments (amours) sera constamment associée au rire (jaune), aux ricanements et sarcasmes. • Poème intertextuel qui a repris les mêmes idées que l'albatros de Baudelaire. Sans lui, Corbière n'aurait pas écrit de même façon Le Crapaud. • Le Crapaud est le poème le plus représentatif du poète puisque c'est un portrait autodérisoire. 1) Une esthétique particulière : a. Sonnet à l'envers qui contient de nombreuses entorses par rapport à la forme canonique : • L'ordre des quatrain/tercets est inversé • Deux tercets avec rime suivie ER + deux rimes embrassées OMBR – IF • Rimes quatrains embrassées, avec alternance rimes féminines et masculines avec quatre rimes au lieu des deux traditionnelles. • La typographie particulière met en valeur le dernier vers par la ligne pointillée : elle marque une chute • Octosyllabes au lieu de décasyllabe ou alexandrin habituel, avec un vers qui pose problème « Vois-le, poète tondu, sans aile, qui fait neuf pieds sans la synérèse très malsonnante de poè-te. b. Le refus du lyrisme : • Champ lexical du chant et anaphore, Rossignol (connotation beau chant) fait allusion registre lyrique, expression chant du poète. • Synérèse poète montre autodérision de Corbière et de son art Une syntaxe hachée qui donne un rythme saccadé : • Sonorités désagréables (allitération 'l, p, k' v1, 2) : Corbière ne réussit pas à créer un chant mélodieux, harmonieux • Phrases brèves, nominales, juxtaposées • Phrases coupées par [...] soit à la fin, soit bizarrement au début, ce qui signifient peut-être qu'elles ne délivrent qu'une partie du message. • Les coupes nombreuses empêchent tout développement du vers, qui se retrouve brisé. ==> Son lyrisme (état intérieur) ne peut pas s'exprimer à l'intérieur d'un langage poétique habituel c. Bilan : • Les écarts volontaires donnent l'impression que le poème s'affranchit de toute forme imposée et classique. Corbière se joue de la tradition tout en affichant qu'il sait faire (respect du mètre régulier, de la disposition des rimes, des strophes), il sort du lot, il expose sa marginalité et son originalité. • Mais il rit aussi de lui (autodérision), alors son poème serait lui-même crapaud. Corbière fait comme si son texte ne parvenait pas à devenir un vrai poème. 2) Les éléments du décor : a. L'atmosphère suggérée, symbolique : Impression auditive qui semble croître par anaphore de chant : • Impression angoissante, car le chant se détache du silence de la nuit, ' sans air' = sans musique • Inquiétant aussi en raison de l'obscurité, la lourdeur étouffante suggérée par « sans air ». • Chant prolongé par emploi des [...] et impression liquide, coulant par R à la rime. Le cadre particulier : • L'éclairage de la lune paraît froid, sans douceur ; termes \"plaque, métal, découpures\" révèlent aspect métallique, froid, tranchant. • L'éclairage aussi contrasté, avec ombres puissantes (antithèse clair/sombre) Les éléments ont une connotation triste, angoissante même, symbolisent la mort : • Forte présence nuit : univers sombre, nébuleux où évolue, se cache C (antithèse avec A) • Ombre régnante semble annoncer mort • Pierre peut être euphémisme mourir, pierre devenant alors pierre tombale (confirmé par \"froid\") • boue suggère aussi enfouissement, connotation gluante qui emprisonne : illustre relation <, rabaissé b. L'identité des interlocuteurs du dialogue : • Les tirets signalent un dialogue entre deux interlocuteurs qui observent le crapaud • C'est une partie dialoguée confuse, brouillée et avec la difficulté d'identifier les interlocuteurs, car les tirets semblent mal placés exprès. • S'agit-il d'une parodie de la sérénade ? Promenade dans la nuit à deux, sous la lune, dans la nature (intimité, tutoiement et expression 'près de moi, ton soldat fidèle'), mais où l'atmosphère romantique, la douceur et le chant rossignol ont disparus. • Il y a une opposition croissante dans les réactions (cf. Baudelaire, Les yeux des pauvres) : dégoût (répétition de l'horreur, accompagné même du double point d'exclamation) et incompréhension devant cette réaction. ==> Il parait clair que comme l'équipage pour A, les deux 2 amoureux curieux représente la société et ses réactions envers le crapaud. 3) Le symbole du crapaud : [g]a. Le coassement symbolise sa poésie : Un coassement difficile à produire et presque imperceptible : • Au début, il y a un mystère crée par l'indéfini 'un' chant qui pose l'ambiguïté : celui du crapaud ou celui de l'homme • Un chant lointain, avec des particularités étonnantes, à la fois étouffé, comparé à un écho lointain, mais aussi vif, sensibilité écorchée, renforcée par l'adverbe d'intensité 'tout'. • Chant craintif, éphémère car interrompu par approche des Hommes, ou par moment silencieux = difficulté produire • Fortement dépréciée par le démonstratif familier 'ça', puis présentatif 'c'est là', rabaisse émetteur à état de chose, sans importance, au ras du sol. • Nombreuses sonorités en [oi] 'pourquoi, vois, moi, froid, bonsoir' suggère le coassement. Mais qui cache un chant lyrique de son état intérieur : • Certes c'est le coassement du crapaud donc il ne suscite aucun charme, attraction mais il y a un champ lexical du chant (écho, vif, rossignol, chante) et des anaphores : donc registre lyrique : c'est la simple et pure expression du poète • Oxymore \"Rossignol boue\" pathétique : au chant mélodieux, amoureux, romantique, à élévation rossignol, correspond la boue, le sol, la lourdeur collante, symbole de défauts physiques et moraux. ==> Chant du crapaud évoque dans un lyrisme voilé, l'état intérieur du poète qui veut s'exprimer, s'élever, rechercher beauté mais sans y parvenir. b. Qui chante ? Le poète – crapaud : Une caractérisation fortement péjorative et autodérisoire : • L'exclamation 'Un crapaud !' établit la reconnaissance (animal traditionnellement répugnant) • La métamorphose du crapaud en poète, mais tondu, sans aile (cf albatros) : autodérision • Le choix du crapaud est révélateur de dissonance chère à Corbière. Le bestiaire poétique nous habitue, surtout les allégories au poète, à toutes autres créatures : rossignol, cygne, condor expriment d'ordinaire sa royauté majestueuse. Tout au plus Baudelaire avait dépeint l'albatros comme infirme, ridicule privé de l'Azur. • Ici, Corbière n'évite pas les caractérisations péjoratives ('tondu, sans aile') • L'identification avouée dans chute poème, mais avec banalité, sans effet, simplicité. Le poète désormais solitaire semble tirer sa révérence, se retirer lui aussi sous sa pierre. • La malédiction d'un destin tragique est soulignée par le glissement sous la pierre • Solitude du dernier vers après le \"Bonsoir\", le poète reste poli, humble et salue, résigné à sa solitude, son rejet ==> Corbiere évoque condition maudite du poète qui le relègue dans ombre et le condamne à chanter dans nuit, par mépris et incompréhension Mais une dualité dans sa personnalité : • Le méprisé, l'exclu, le laid est détenteur d'une beauté, aspire lui aussi à la lumière, à la beauté : Vois-tu pas son œil de lumière' (seul source de lumière avec lune) • Le crapaud inspire du dégoût mais recherche la beauté, l'idéal et détient en lui une parcelle de lumière ==> Oxymore 'Rossignol de la boue' et antithèse : opposé à l'albatros qui pouvait s'élever et se rendre supérieur aux Hommes, le crapaud est comme englué dans la boue de son monde et à la recherche permanente de cette élévation spirituelle ==> Le statut du poète est encore baudelairien : déchiré entre l'aspiration à beauté, au chant, désir d'envol, mais son incapacité à produire, à s'élever à cause de misérable apparence terrestre Conclusion : Autoportrait dérisoire du poète à travers le double du crapaud : • Qui chante sans vraiment savoir, qui aspire à l'idéal sans pouvoir l'atteindre, qui est laid, rejeté, qui vit retiré, caché. • Le symbole du crapaud, la brisure volontaire du sonnet, la dislocation provocatrice de syntaxe permettent à Corbière d'exprimer de façon très originale, quelque peu brute, de profondes blessures physiques, morales et spirituelles d'un être qui s'estime sans doute maudit.

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