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Le dormeur du val Rimbaud

Publié le 27/02/2008

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rimbaud

Le Dormeur du Val (1870)

Rimbaud

 

 

Le Dormeur du Val est un poème écrit par Rimbaud en 1870. À ce moment, l’auteur est âgé de 16 ans. En conflit avec l’autorité de sa mère, il est en fugue du domicile familial. En 1970, nous sommes également en plein conflit franco-russe. Dans ce poème très contrasté, où Rimbaud place un cadavre de soldat dans un cadre champêtre, il tente ainsi de nous faire réfléchir sur l’absurdité de la guerre. La structure du poème et les thèmes abordés, nous montrent également un jeune homme en conflit avec lui-même et avec le monde.

La structure du poème est rigide, c’est un sonnet dont la disposition des vers et leurs rimes (abab-cdcd-eef-ggf)  est tout à fait classique. Rimbaud qui récolte à cette époque tous les prix d’excellence, nous montre ainsi qu’il a bien appris sa leçon, et qu’il maîtrise parfaitement les techniques de versification. Toutefois, transparaissent déjà des audaces de forme, de sonorité, de rythme, qui témoignent de la rébellion d’un jeune poète et annoncent peut être, déjà, une nouvelle vision de la poésie.

 

Le Dormeur du Val est un poème de l’illusion. Rimbaud s’attache à décrire un paysage dans lequel un homme semble dormir. On s’aperçoit finalement, qu’il s’agit d’un jeune soldat et que celui-ci est mort au combat. Le sommeil est trompeur, le paysage de nature, de paix ou de bonheur apparent est fictif. Rimbaud crée cet univers de faux-semblant et de contradictions pour dénoncer une jeunesse sacrifiée, la violence et la solitude auxquelles ces jeunes hommes sont confrontés, et l’absurdité d’une guerre, dont l’issue pour la France est à ce moment des faits, plus qu’incertaine. Aucun détail ne nous permet d’identifier le camp du soldat ; il pourrait apparemment s’agir d’un soldat français ou allemand. Toutefois, la patrie française apparait en filiforme dans ce poème, et c’est véritablement  elle, qui semble visée par ce poème.

 

On peut lire le Dormeur du Val et se laisser surprendre par la chute du dernier vers : « Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit. » Pourtant, tout au long du poème, Rimbaud cultive les figures d’opposition, et semble nous prévenir de rester sur nos gardes. Ainsi, nous découvrons avec lui un paysage, mais nous sommes en période de guerre, et il faut avancer avec prudence …

Deux champs lexicaux vont ainsi abruptement s’opposer dès le premier vers : celui de la Nature et celui de la Mort. Rimbaud juxtapose le sublime (de la Nature) au grotesque (de la Mort) et reste ainsi en pleine tradition romantique. « C’est un trou de verdure » nous dit-il au premier vers ; ce n’est pas un îlot de verdure. Effectivement, il s’agira bien d’une tombe, mais à ciel ouvert. Rimbaud utilise également la métaphore « haillons d’argent » lorsqu’il nous parle des reflets de la rivière sur l’herbe, nous suggérant des étoffes déchirées, peut-être même des uniformes, mais surtout une nature qui n’est pas aussi bienveillante qu’elle le parait.

Dans le premier quatrain, Rimbaud semble dans sa description embrasser du regard tout le paysage : nous avons une vision descendante : « un trou » dans lequel se trouve une rivière, puis ascendante, les bords de la rivière (grâce à la description des herbes sur ses bords), la montagne puis le soleil. Enfin, le regard semble descendre de nouveau : « c’est un petit val ».

Rimbaud suggère une nature vivante grâce à deux personnifications : la rivière « chante » et la montagne est « fière ». Pourtant, il s’agit d’une nature en conflit avec elle-même, deux éléments naturels s’opposent dans ce paysage faussement idyllique : l’eau et le soleil. En effet, il fait beau, et l’enjambement du vers 4 semble insister sur cette lumière descendante du soleil qui englobe la scène, pourtant la rivière n’est pas rafraichissante. Elle accroche « follement » ou vainement des reflets « d’argent ». Le néologisme au vers 4 du  petit val qui « mousse de rayons » semble souligner cette fusion du soleil et de l’eau mais en créé également une atmosphère humide ou moite, presque malsaine pour l’homme qui la découvre.

Enfin, les sonorités de ce premier quatrain sont dures avec beaucoup de sons en [r]. De même, les césures irrégulières et les enjambements créent un rythme cassé, que soulignent les figures d’opposition. Cela ressemble presque a un battement, un bruit de fond, un roulement lointain de tambour.

 

Dans le second quatrain puis le tercet suivant, Rimbaud s’attache à nous décrire le personnage. Le regard, qui au quatrain précédent s’élevait vers la montagne et le soleil, continue de descendre et s’arrête sur ce jeune soldat qui semble dormir.

Rimbaud nous suggère l’idée du sommeil, mais un sommeil inconfortable. Il utilise ainsi le champ lexical de la maladie « pâle », « lit », puis « malade » et enfin l’adjectif « froid » qui souligne un malaise, et un sommeil qui n’est pas naturel.

Les couleurs suggérées sont froides et elles aussi, pas du tout naturelles : le cresson est bleu, le lit du jeune homme est « vert ». Soit, l’homme dort dans l’herbe, mais on y entend presque le mot « civière ». De même, le cresson bleu, ça n’existe pas et les glaïeuls (fleurs mortuaires) ne sont pas du tout des plantes aquatiques.

Rimbaud nous dresse un portrait de l’homme par métonymies à travers d’abord la seule description de son visage : sa « bouche ouverte », sa « tête nue », sa « nuque baignant… » : l’homme est « pâle ». Puis, le regard descend le long de l’homme et s’arrête sur ses pieds.  Nous savons au vers 9 que l’homme est mort, grâce à cette métaphore qui ne semble ne pas en être une : il a « les pieds dans les glaïeuls ». Pourtant, Rimbaud semble vouloir cultiver l’illusion ou réfuter cette réalité, et refuser cette métaphore, il lui accole : « il dort ».  La répétition du verbe dormir à trois reprises, dont une fois dans un rejet et de l’expression « fait un somme » crée un doute chez le lecteur. L’homme semble même être encore vivant,  il « sourie » mais comme « un enfant malade », et son sommeil est inconfortable : « il a froid » (au lieu de  il « est » froid).

Le trou de verdure devient les bras d’une mère (encore une personnification destinée à unir la nature et l’homme). Le verbe bercer renvoie à un plus jeune âge encore.  Pourtant, qui donc, est cette nature «hypocrite » et maternelle qui cultive l’illusion et semble trahir ce jeune soldat, où chaque terme positif (le sourire, la chaleur, la lumière) est compensé par un terme négatif (malade, froid, chaudement).

Retenons la musique particulière du vers huit qui résume bien la scène : « Pâle dans son lit vert où la lumière pleut. » Les labiales du début et de la fin encadrent ce tableau où « vert » placé à l’hémistiche et « lumière » se répondent par assonance, où les liquides soulignent encore la qualité particulière de l’éclairage. De plus l’oxymore de la lumière qui pleut renforce cette idée de conflit, d’opposition et d’incompréhension. Et cette nature, associée à la mère, nous laisse également l’image d’une mère en pleurs, essayant de conforter, de bercer son enfant malade ou mort.

 

Le dernier tercet continue la description par métonymie de l’homme : « sa narine » (et non pas ses narines, nous avons une vision latérale de l’homme - on peut imaginer que l’on descend presque à côté du cadavre) et « sa poitrine ». Par ces deux métonymies, le doute s’installe réellement, on vérifie si l’homme est en vie et s’il respire. Non, il est bien mort : ses narines ne « frissonnent » pas et sa poitrine est « tranquille ». Le regard qui remonte maintenant des pieds, par la poitrine, s’arrête définitivement sur la tempe, percée de « deux trous rouges ».

Le dernier vers qui constitue une sorte de chute, n’utilise pas le terme de « mort », mais encore la métonymie, ici encore, la conséquence pour la cause. Les assonances en « ou » forment un hiatus encore plus brutal que dans « bouche ouverte », brutalité renforcée par l’alternance les sons en [r] du dernier tercet (« parfums », « frissonner », « narine », « dort », « poitrine ») et l’adjectif, rejeté en début de vers « Tranquille ». La douceur fictive du paysage contraste ainsi violemment avec la mort du jeune soldat. Une mort d’autant plus intolérable qu’elle prend place dans un environnement qui aurait pu être agréable et qu’elle concerne presque encore enfant.

 

Les couleurs  utilisées dans le poème sont particulièrement frappantes. Nous avons le bleu (du cresson), le vert (du lit), le rouge (de la tempe). De même, nous avons la couleur blanche suggérée par la pâleur du visage. Si l’on considère que seule la couleur verte est « naturelle » (le lit de verdure), il nous reste, trois couleurs, complément « dénaturées » et sorties de leur contexte et qui dans l’ordre, restituent les couleurs du drapeau français : bleu, blanc, rouge. Cette image d’un drapeau déchiqueté est renforcée par la métaphore des « haillons » du premier quatrain. Cette allégorie d’une partie (ou d’une famille) en faillite est incarnée par ce jeune soldat mort, et rompt totalement avec la structure classique d’un sonnet. En 1870, Rimbaud est un très jeune poète, mais il ouvre déjà la voie à une nouvelle forme de poésie, presque irréaliste ou « surréaliste ».

 

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