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le personnage d'iseut

Publié le 20/05/2014

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                                                     JEAN-LOUIS BENOIT                                      Université de Bretagne-Sud à Lorient   LE PERSONNAGE D’ISEUT DANS LE TRISTAN DE BEROUL. CHARME ET COMPLEXITE                                                                            A la mémoire d’Alexandre Micha, qui m’avait demandé cette étude.     Abstract. Benoit Jean-Louis, Le personnage d’Iseut dans le Tristan  de Béroul. Charme et complexité [The character of  Iseut in Béroul’s Tristan. Charm and complexity]. Béroul’s Roman de Tristan revolves round Iseut as sole important female character. Her mythical origins show her as a magician and stranger to the values of Marc’s Kingdom. She permanently insists that she had no hand in the crime that she is charged with. The narrator endlessly comes to her rescue. The lover’s passion develops into courtly love, but she never repents. Iseut is always presented within a pathetic framework that sets her to advantage. The narrator does lay stress on her outstanding beauty, but the latter comes second to her intelligence and linguistic proficiency. Accordingly, she is an exemplary literary figure.                 Une tradition récente aime à parler de roman de Tristan pour désigner les poèmes de Tristan et Iseut, notamment celui de Béroul, sans doute un des plus proches, malgré son caractère fragmentaire, de la légende originelle. Cette tradition ne doit pas faire oublier le rôle prédominant que joue le personnage d’Iseut. C’est elle qui donne son relief mythique à une histoire d’amour davantage centrée sur sa personne que sur les prouesses héroïques de son amant.             Dans cette brève étude, qui n’ignore pas les multiples recherches dont l’œuvre a fait l’objet[1], nous nous efforcerons, en nous limitant au texte incomplet de Béroul, de dégager les traits saillants de cette héroïne.               Iseut est d’abord, essentiellement, une étrangère :        « Tote sui sole en ceste terre[2]. »        (v. 174)                (Je suis toute seule dans ce pays.)   Elle vient d’Irlande, au delà de la mer. Sa présence à la cour suscite la défiance et l’envie. Les seigneurs, à la cour du roi Marc, veulent la renvoyer chez elle :        « S’ele ne s’en veut escondire,                  Lai l’en aller de ton empire. » (v. 3054-355)                    (Si elle ne veut pas se justifier, fais-la partir de ton royaume)   Le roi sait bien qu’on veut la renvoyer en Irlande :        « Dites se vos alez querant       que la roïne aut en Irlande . » (v. 3060-3061)                (Dites si vous cherchez à ce que la reine reparte en Irlande).   N’est-elle pas étrangère, également, dans la mesure où elle est la seule femme vraiment importante dans ce roman marqué par des hommes, qui imposent fortement leurs valeurs masculines et guerrières ? Elle introduit le désordre dans cette société très codifiée et sa personne est chargée d’inquiétantes menaces. Par son origine et ses pouvoirs, elle garde une part de mystère :    Etrangère au pays de Cornouailles, apporte-t-elle d’Irlande cette étrangeté que l’on redoute d’une culture différente ? La mère d’Yseut y avait préparé le philtre amoureux, le lovedrink, le vin herbé. C’était plus qu’un aphrodisiaque : une liqueur magique qui provoquait une passion irrésistible pour une durée indéterminée. La mère d’Yseut pratiquait donc la magie. Mais Yseut elle-même n’avait-elle pas une part de ce savoir occulte ? Par deux fois, elle a guéri Tristan de blessures, dont l’une était envenimée par un dragon monstrueux  (Poirion, 1989 : 26).   Personnage énigmatique donc, qui inquiète et qui charme (au sens ancien du mot : « qui enchante », « qui envoûte »), gardant ainsi quelque chose de son substrat mythique.   Bien plus, elle apparaît comme étrangère aux valeurs morales et sociales qui règlent les relations entre les personnages. Toute l’intrigue du roman, ses péripéties, sa progression dramatique, son intérêt psychologique, reposent sur l’unique question de la culpabilité d’Iseut. Elle est dénoncée, accusée, condamnée, sauvée, disculpée, vengée. Toutes les aventures et les analyses sont liées à sa faute. Est-elle coupable ? Est-elle innocente ? Si, objectivement, la réalité et la gravité de l’adultère sont indéniables, le roman est loin d’apporter une réponse évidente à cette question. Il est impossible de résumer la complexité et la richesse du débat qui s’est constitué autour de la responsabilité des amants. Avant d’en dire quelques mots et de risquer une hypothèse, signalons, d’abord, que si, moralement, le problème est complexe, littérairement , la réponse donnée par Béroul à cette question est très simple : Iseut est totalement innocente. Constamment, il exprime sa sympathie pour son héroïne. Le narrateur, par ses interventions auctoriales appuyées, même si elles sont plus rares que dans la version de Thomas, la défend contre les accusations de ses détracteurs. Ils sont présentés comme des monstres. Certes, ils sont animés par de mauvais sentiments mais, après tout, ils disent la vérité. Iseut, elle, est soutenue de manière enthousiaste, même lorsqu’elle ment. Le narrateur est un avocat irrésistible et le lecteur ne cesse de trembler pour le destin de l’héroïne. Humour, invectives, questions et exclamations, toute une rhétorique est mise à contribution pour attirer la pitié du lecteur et célébrer la passion des amants. Sur le fond, il nous semble surtout qu’Iseut, ainsi que Tristan, est étrangère aux valeurs morales et religieuses. La passion amoureuse qui unit les amants est présentée comme la seule valeur transcendante. Le terme de  péché  qu’emploient les amants pour désigner leur liaison n’a pas toujours son sens religieux. Bien souvent, comme le remarquent plusieurs commentateurs, il signifie plutôt un « malheur », « un dommage » (c’est ce que note Ernest Muret dans le lexique de son édition, p. 167).   Le philtre est donné comme la cause unique de cette passion et les amants se présentent comme les victimes d’une fatalité tragique qui les écrase sans leur laisser la liberté de s’y opposer. Ils affirment leur impuissance et leur irresponsabilité à l’ermite qui leur prêche le repentir, lors de leur première visite. Voici ce que répond Iseut, en larmes[3] : [1] Les travaux de Pierre Jonin font toujours autorité sur ce point : Les personnages féminins dans les romans français de Tristan au XIIesiècle, éditons Ophrys, Gap, 1958. Voir aussi F. Barteau, Les Romans de Tristan et Yseut : introduction à une lecture plurielle, Paris, Larousse, 1972. E. Baumgartner, Tristan et Yseut, Paris, PUF, 1987. [2] Les références sont faites à l’édition d’Ernest Muret, revue par L. M. Defourques, Béroul, Le roman de Tristan, Paris, Droz, 1974. [3] Des larmes de détresse et non de repentir.

« qui donne son relief mythique à une histoire d'amour davantage centrée sur sa personne que sur les prouesses héroïques de son amant.             Dans cette brève étude, qui n'ignore pas les multiples recherches dont l'oeuvre a fait l'objet[1], nous nous efforcerons, en nous limitant au texte incomplet de Béroul, de dégager les traits saillants de cette héroïne.               Iseut est d'abord, essentiellement, une étrangère :        « Tote sui sole en ceste terre[2]. »        (v.

174)                (Je suis toute seule dans ce pays.)   Elle vient d'Irlande, au delà de la mer.

Sa présence à la cour suscite la défiance et l'envie.

Les seigneurs, à la cour du roi Marc, veulent la renvoyer chez elle :        « S'ele ne s'en veut escondire,                  Lai l'en aller de ton empire. » (v.

3054-355)                    (Si elle ne veut pas se justifier, fais-la partir de ton royaume)   Le roi sait bien qu'on veut la renvoyer en Irlande :        « Dites se vos alez querant       que la roïne aut en Irlande . » (v.

3060-3061)                (Dites si vous cherchez à ce que la reine reparte en Irlande).  . »

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