Devoir de Philosophie

Le Rouge et le Noir Incipit Analyse

Publié le 31/03/2021

Extrait du document

Le Rouge et le Noir de Stendhal

Lecture analytique de l’incipit, I Chap. 1, à « Asphyxié »

Plan du commentaire qui doit être complété par des références précises et analysées au texte

 

Introduction

L’incipit d’une œuvre souhaite – ou pas – répondre à l’horizon d’attente du lecteur. Il campe le plus souvent le décor spatio-temporel de l’action. C’est effectivement par la description de la petite ville imaginaire de Verrières, l’un des espaces principaux de la 1° partie, que Stendhal ouvre son roman paru en 1830 Le Rouge et le Noir. Nous verrons en quoi cet incipit est original en même temps qu’il remplit sa fonction programmatique en montant comment l’écrivain propose à son lecteur le cheminement d’une visite guidée réaliste (I) à une visite ironique et critique (II).

 

I. D’une visite guidée réaliste…

A. L’entrée en fiction : une impression de « vérité, d’âpre vérité »

1. Surabondance des seuils qui guident le lecteur et lui donnent l’impression de la réalité

2. Les effets de réel

  • Efficacité des noms propres dont ceux de lieux réels
  • Une garantie d’authenticité par l’insertion dans l’histoire
  • Multiplicité des « petits faits vrais »
  • Les démonstratifs et présentatifs qui donnent à voir

 

B. Le jeu de pronoms et des temps verbaux

1. Deux actants : le narrateur guide et le narrataire touriste (néologisme inventé justement par Stendhal)

- Un narrateur actif, omniscient et intrusif, qui laisse entendre sa voix, interpelle, et qui connaît aussi bien la géographie que l’économie

- Un voyageur, associé au narrateur par l’indéfini « on », habitant de la capitale qui découvre le stéréotype de la petite ville de province et qui joue le rôle du Candide (« étourdi, étonné »).

- Mais souvent mélange de ces deux actants, comme des focalisations externe et interne 

2. Actualisation de la description par l’emploi massif du présent

 

C. L’art de la description et du portrait

1. De la vision d’ensemble au zoom dans un rythme rapide, voire accéléré

2. De la description dynamique au portrait en action et en mouvement

- Une description vivante, animée, sonore et colorée

- Un portrait à la fois physique, moral et social, celui de M. de Rénal

 

I – Le tableau d'une ville pittoresque et prospère

Le regard s'est déplacé au début du troisième paragraphe. On suit l'itinéraire d'un personnage indéfini, avec l'utilisation du pronom « on » et l'évocation de ce « voyageur », qui peut être l'auteur, un visiteur quelconque, voire le lecteur. Cette partie présente une troisième activité, industrielle, puisqu'il s'agit d'une manufacture. Le cadre bucolique est rompu par le caractère monstrueux de celle-ci : la personnification de cette « machine bruyante et terrible en apparence », le lexique du bruit, avec « fracas », « trembler le pavé », « coups », « assourdit » ainsi que les expressions « marteaux pesants » et « marteaux énormes », à valeur hyperbolique, soulignent le trouble (« étourdi ») que provoque cette activité dans un tel cadre. Le contraste est également saisissant entre cette machinerie impressionnante et la candeur et la délicatesse des ouvrières : « ce sont de jeunes filles fraîches et jolies ». On apprend aussi, grâce à la mise en scène de la dernière phrase, que cette « fabrique » appartient au premier magistrat de la ville, avec le discours direct, et une exclamation ironique soulignée par l'écriture en italique.

 

 

II. … à une visite ironique et critique

A. Un jeu avec les codes, les topoï

1. L’usage des stéréotypes, des poncifs : une image de « carte postale », immédiatement reconnaissable par le lecteur

2. L’humour et l’ironie fondée sur le jeu des contrastes et des comparaisons

 

B. La satire des mentalités et des valeurs provinciales conformistes

1. Les cibles

- La population de Verrières

le respect de la richesse et de la propriété

La servilité due au notable respectable

La bêtise de l’opinion

- Le personnage de son maire

Amour-propre déplacé, borné, raide, qui porte un masque social, à l’opposé de la figure de l’artiste, du poète ou de l’ambitieux soucieux de quitter sa condition

2.  L’ironie baisse le masque pour une critique cinglante explicite

- à la fin du passage expliqué avec la métaphore filée

- à la fin du chapitre

 

C. Une fonction programmatique parfois biaisée

1. Des éléments qui annoncent la suite

Scieries à métier du Père Sorel

Montagnes et leur hauteur à lieu d’exaltation de Julien

Servilité et bêtise de l’opinion publique

 

2. Mais mise en place de leurres

Focalisation sur M. de Rénal qui n’est pas le protagoniste de l’action à suspens dramatique

Tranquillité de la ville X drame

 

II – Un portrait péjoratif de « M. le maire »

Nous suivons l'itinéraire du « voyageur » à partir de la fin du troisième paragraphe : il « demande », « s'arrête », voit « paraître », « est choqué ». Nous partageons donc ses réactions. C'est également grâce à lui que nous découvrons le portrait d'un « grand homme à l'air affairé et important ». Cette « importance » se manifeste par la réaction de ses administrés : « A son aspect tous les chapeaux se lèvent rapidement. » L'auteur met d'abord l'accent sur l'aspect physique du personnage, relativement quelconque, insistant sur le caractère assez terne de celui-ci : « grisonnants » et « gris », et l'expression « au premier aspect » est assez ironique, ce que confirme l'opposition marquée par la conjonction « Mais ». Le champ lexical de la grandeur, avec les termes « affairé », « important », « grand », « dignité », « chevalier de plusieurs ordres » est aussitôt tempéré par le blâme : « un certain air de contentement de soi et de suffisance » et par l'expression « maire de village ». Le portrait moral est alors ironique et peu flatteur, esprit « borné » et « peu inventif », intéressé comme l'indique la dernière phrase du cinquième paragraphe, avec l'emploi du parallélisme qui souligne qu'il est dur en affaire, et l'expression ironique : « le talent de cet homme-là se borne... ». Tout ceci le rend ridicule aux yeux du « voyageur » et du lecteur, d'autant plus qu'il s'agit maintenant d'un « voyageur parisien » qui a l'habitude de voir de grands hommes. Enfin l'énumération de la troisième phrase du paragraphe 5 utilise un zeugma satirique : « Il est chevalier de plusieurs ordres, il a un grand front, un nez aquilin... »

Le paragraphe suivant le nomme enfin, soulignant encore sa suffisance, « d'un pas grave ». Mais il s'attache surtout à décrire sa propriété, la plus imposante du « village », celle qui est située au sommet de celui-ci, bien entendu. Elle montre l'aisance matérielle de M. de Rénal, qui doit sa richesse à cette « fabrique ». Le « voyageur » gravit donc la grande rue jusqu'au sommet pour découvrir les « jardins magnifiques » de cette propriété et un panorama exceptionnel, mais cette impression d'espace semble nécessaire pour évacuer  « l'atmosphère empestée et les petits intérêts d'argent ». Alors qu'il devrait respirer, il est « asphyxié ». Là encore, l'auteur fait la satire d'un comportement petit bourgeois et mesquin. La fierté et l'orgueil du maire sont soulignés à maintes reprises, par l'expression « il rougit », par l'ironie de la dernière phrase, « la récompense de la science de M. de Rênal », par les tournures qui expriment le doute sur ses origines, « dit-on », « à ce qu'on prétend ». L'auteur fait comprendre au lecteur que ce personnage se donne une contenance et impose une image fort éloignée de la réalité. Mais il montre aussi l'influence que peut avoir un notable dans une petite ville de province à cette époque.

 

Conclusion

Cette situation initiale fait le tableau d'une petite ville prospère et le portrait de son personnage le plus influent, par l'intermédiaire de ce « voyageur » fictif et original qui nous fait part de ses réactions et de ses sentiments. Derrière l'ironie, on découvre ainsi un certain humour de l'auteur, et une analyse sociale ou le réalisme n'exclut pas l'exagération. On perçoit cependant un milieu assez typé où les « petits intérêts » occupent principalement les esprits, et donc une atmosphère peu engageante, assez rustique, où un héros d'une grande sensibilité comme Julien Sorel aura des difficultés à évoluer.

Le charme de cette petite ville n'est donc qu'une apparence. Sa société devient vite insupportable. Madame Bovary éprouvera le même sentiment sur sa province.

Liens utiles