Le Théâtre Doit-Il Exprimer Le Réel ?

Le texte théâtral fait partie des genres littéraires les plus particuliers. Destiné au spectacle, il doit mettre en scène des personnes réelles, parlant et souvent agissant pour de vrai, et ne peut donc dépasser certaines limites. Ainsi, le théâtre n’est-il pas le plus adapté pour exprimer le réel ?

Le fait est que s’il peut prendre beaucoup de libertés, le théâtre est souvent le miroir, quoique déformant, de la réalité.

Avant tout, un texte théâtral est une fiction.

Ainsi, même s’il est limité par la mise en scène, il permet ce que le réel ne permet pas. Les pièces démontrant le mieux ce fait sont celles utilisant l’absurde : par exemple, dans un texte de Ionesco, les personnages se transforment peu à peu en rhinocéros. Plus subtile, En attendant Godot, de Beckett, montre un dialogue qui serait possible dans la réalité mais pas pour autant réaliste, les personnages parlant de choses absurdes ou sans vraiment dire quoique ce soit d’utile. En ce sens, une pièce de théâtre serait plus proche d’un rêve, comme le dit le personnage de Lechy dans l’Échange de Paul Claudel, c’est-à-dire d’une autre réalité, déconnectée de celle que l’on vit d’ordinaire, dans laquelle le fantastique ou l’absurde peut exister.

Aussi, le théâtre exagère ou simplifie généralement les situations et les caractères. Dans un grand nombre de pièces, les personnages sont soit bons soit mauvais, produisant une vision manichéenne et simpliste du monde. C’est ainsi que Don Juan, dans l’oeuvre éponyme de Molière, rassemble presque tous les défauts tandis que Don Elvire est présentée comme une sauveuse essayant de le ramener sur le droit chemin. Les personnages de Molière n’ont d’ailleurs souvent qu’une facette, les rendant peu naturels, à l’image de l’Avare. Dans la même idée, la chute à la fin d’une pièce, telle qu’une révélation ou la mort brutale d’un personnage, n’a en général pas d’équivalent dans la vie réelle.

Le texte théâtral relève donc en premier lieu de la fiction, s’éloignant du réel ou le simplifiant.

Cependant, il est souvent utilisé pour exprimer un avis, ou simplement refléter la réalité.

En premier lieu, les histoires racontées au théâtre s’inspirent généralement de situations du monde réel : des histoires d’amour, de rivalité, d’argent, de pouvoir. Si les conséquences en sont exagérées, comme dans les tragédies de Racine, les situations sont souvent plausibles, par exemple les rivalités amoureuses, ou encore les « chaînes amoureuses « : il est commun, dans la vie réelle, qu’une personne en aime une autre qui en aime une autre. Évidemment, de telles chaînes au théâtre sont exagéremment longue, comme dans Andromaque où Oreste aime Hermione qui veut plaire à Pyrrhus qui aime Andromaque qui aime Hector qui est mort, mais elles sont basées sur celles plus simples de la vie courante.

De telles exagérations sont en fait très utiles pour donner un avis sur le monde réel : elles permettent de caricaturer des situations, agissant comme un miroir déformant afin de mieux les dénoncer. L’Avare ou Dom Juan de Molière présentent ainsi des personnages aux défauts extrèmes dans le but de susciter des réactions : le premier paraît ridicule, le second diabolique. Cela met en lumière les défauts en question, qui sont au final punis à la fin de la pièce, permettant le triomphe du Bien.

Un texte théâtral repose ainsi sur des situations plausibles dans la réalité, et peut dénoncer des faits ou des caractères réels en les caricaturant.

Le théâtre sert donc souvent à exprimer et à porter un jugement sur le réel, tout en usant des libertés que permet la fiction.