Devoir de Philosophie

Lecture Analytique Chapitre 1 Zazie Dans Le Metro

Publié le 02/10/2010

Extrait du document

lecture

 

Gabriel regarde dans le lointain ; elles, elles doivent être à la traîne, les femmes c’est toujours à la traîne ; mais non, une mouflette surgit qui l’interpelle

─ Chuis Zazie ; jparie que tu es mon tonton Gabriel.

─ C’est bien moi, répond Gabriel en anoblissant son ton, oui je suis ton tonton.

La gosse se marre. Gabriel, souriant poliment, la prend dans ses bras, il la transporte au niveau de ses lèvres, il l’embrasse, elle l’embrasse, il la redescend.

─ Tu sens rien bon, dit l’enfant.

─ Barbouze de chez Fior, explique le colosse.

─ Tu m’en mettras derrière les oreilles ?

─ C’est un parfum d’homme.

─ Tu vois l’objet dit Jeanne Lalochère s’amenant enfin. Tas bien voulu t’en charger, eh bien, le voilà.

─ Ça ira dit Gabriel.

─ Je peux te faire confiance ? Tu comprends, je ne veux pas qu’elle se fasse violer par toute la famille.

─ Mais, manman, tu sais bien que tu étais arrivée juste au bon moment, la dernière fois.

─ En tout cas, dit Jeanne Lalochère, je ne veux pas que ça recommence.

─ Tu peux être tranquille, dit Gabriel.

─ Bon. Alors je vous retrouve ici après-demain pour le train de six heures soixante.

─ Côté départ, dit Gabriel.

─ Natürlich, dit Jeanne Lalochère qui avait été occupée. À propos, ta femme ça va ?

─ Je te remercie. Tu viendras pas nous voir ?

─ J’aurai pas le temps.

─ C’est comme ça quand elle a un jules, dit Zazie, la famille ça compte plus pour elle.

─ À rvoir ma chérie. À rvoir, Gaby.

Elle se tire

Zazie commente les événements :

─ Elle est mordue.

Gabriel hausse les épaules. Il ne dit rien Il saisit la valoche à Zazie.

Maintenant il dit quelque chose.

─ En route, qu’il dit.

…………………………………………………………………………………………

Analyse méthodique du passage  afin de préparer la lecture analytique.

 

Il s’agit d’un dialogue inséré dans un récit : paroles rapportées au discours direct.

«qui l’interpelle « verbe de parole introducteur du dialogue, « qui « pronom sujet « réfère au GN « une mouflette «. On sait donc qu’une enfant de sexe féminin va s’adresser à Gabriel.

─ Chuis Zazie ; jparie que tu es mon tonton Gabriel.

 

L’incipit

 Une scène de rencontre ou de retrouvailles ou de départ sur le quai d’une gare : les attendus :

 L’attente

La rencontre des personnages

 Les sentiments éprouvés

Une occasion de faire un portrait

Le motif ou l’objet  de la quête

 A quel type de roman appartient notre texte

 

Situation du passage dans l’économie du roman

Une première scène a situé le cadre de l’action, le quai de la gare d’Austerlitz à Paris, sur ce quai un homme confronté à un  bref conflit olfactif le conduit à des remarques sur l’hygiène et les commodités des appartements dont les statistiques évoquées datent du recensement de 1954 effectué dans tout le pays à partir du 10 mai et dont les résultats authentifiés par décret en octobre paraîtront dans la presse en novembre : dans la mesure où  Gabriel fait état de ces statistiques on peut situer l’action dès la fin 54.(citation des statistiques nationales au lieu de statistiques parisiennes, premier décalage par rapport à toute volonté réaliste)

Le narrateur vient d’annoncer l’entrée en gare du train et les mouvements de foule qui accompagnent cette  arrivée.

Le texte commence par ce qui pourrait motiver la description des personnages attendus par Gabriel mais  la mention de la direction du regard n’ouvre que sur un commentaire qui oscille entre discours intérieur du personnage et commentaire du narrateur..

Ce commentaire nous livre une première information : Gabriel attend des personnages féminins comme en témoigne l’insistance sur « elles «, pronom sujet d’un verbe qui délivre un jugement plutôt phallocratique sur les femmes ; jugement qui permet de caractériser d’emblée l’homme comme un personnage qui se distingue de l’autre sexe par un discours à résonnance virile.

Remarques sur le texte (analyse méthodique du texte)

« ; elles, elles doivent être à la traîne, les femmes c’est toujours à la traîne « 

La mise en relief de « elles « (dislocation de la phrase par mise en tête d’un constituant ici « elles « et femmes «) porteur d’un accent d’insistance à valeur généralisante puisque repris par « les femmes «  donne une tonalité emphatique à la  pensée  de Gabriel ou du narrateur. 

L’accent d’insistance est très employé à l’oral, il a une nature prosodique très marquée et témoigne ici de la volonté de l’auteur de transcrire au plus près la langue orale (le néo français donc)

* ce mélange ou cette hésitation sur l’énonciateur du propos : narration ou pensée intérieure signale la défiance de l’auteur vis-à-vis de la narration omnisciente et la remet en cause.

Emphase désigne tout procédé d’insistance ou de mise en relief ; la phrase emphatique (exagération, grandiloquence) se caractérise par deux structures différentes

-Extraction d’un constituant de la phrase encadré par un présentatif et un pronom relatif

-Détachement d’un constituant repris par un pronom (ici : elles /elles/les femmes)

─ Chuis Zazie ; jparie que tu es mon tonton Gabriel.

Les paroles rapportées de l’enfant : « mon tonton « appartient au langage enfantin (valeur hypocoristique) ; la graphie non orthodoxe (élision du" e", du pronom personnel, prononciation chuintante) vise à rendre compte de la prononciation relâchée de Zazie, cette graphie marque aussi le débit de la locutrice : Zazie parle vite.

Cette première phrase qui introduit le personnage éponyme nous apprend son lien de parenté avec Gabriel, son sexe et son âge .On notera l’utilisation du type déclaratif, et d’une forme interrogative ludique introduite par « jparie « qui a presque une  valeur optative, notez encore  la  brièveté des propositions

Optatif : mode de l’espoir et des désirs

 

─ C’est bien moi, répond Gabriel en anoblissant son ton, oui je suis ton tonton.

La longueur de la réponse, qui aurait pu se résumer à un adverbe d’affirmation, marque à la fois la coopération de Gabriel qui  répond bien à la question ludique de

Zazie , style oratoire de Gabriel , le ton didactif qu’il emploie avec l’enfant témoigne déjà de son attention , et de sa volonté de distinguer les enfants des adultes , puis sa patience puisqu’il dira plus loin dans le roman qu’il faut écouter les enfants comme le conseillent les journaux ..L’incise se fait elle aussi didactalique puisqu’elle donne une information de ton. « en anoblissant « .qu’est ce que le ton noble : une volonté de prononcer en arrondissant les nasales et surtout une prononciation très précise et un débit plus lent et solennel. Soit cette didascalie signale un nouvel écart face à la norme soit il y a volonté de créer des chocs de niveau de prononciation,, soit caractérisation de la parlure de Gabriel, en tout cas cette indication fait sens à plusieurs niveaux. Elle témoigne de la volonté de l’auteur d’accorder un sens important à la parole orale et à, sa transcription dans le roman ainsi que  son insistance sur le mode de transcription de cette oralité : ce qui compte ce sont autant les paroles que leur accentuation, prononciation, rythme… une attention particulière à la prosodie (en gros l'accent, la quantité et l'intonation )Notez  le jeu paronymique entre « mon tonton « et « ton tonton « qui lui fait écho comme une rime interne au dialogue  atteste encore de cette volonté de donner une réalité sonore au dialogue au sein du texte.

Ici l’information se résume à reconnaître le lien de parenté et  caractériser Gabriel comme un personnage un tant soit peu maniéré.

La gosse se marre. Gabriel, souriant poliment, la prend dans ses bras, il la transporte au niveau de ses lèvres, il l’embrasse, elle l’embrasse, il la redescend. Cette phrase dont la progression est dite à thème presque (elle) constant a une valeur descriptive (il thème +propos…sauf elle)

Le narrateur rend compte ici de ce qui est la scène du baiser de salutation comme d’un événement  important, il dénonce le rituel en insistant sur les détails et en conférant à ce qui se fait rapidement une forme un peu mécanique qui ridiculise l’action en la solennisant à outrance compte tenu de sa valeur symbolique, en même temps la chaleur des retrouvailles ou de la rencontre est remplacée par cette gestuelle rigide de marionnette et  ce détournement à valeur parodique.. Six propositions indépendantes  canoniques : sujet +verbe ou sujet +verbe+ complément. Cette narration est interrompue par une incise à valeur didascalique qui donne une indication de mimique « souriant poliment « adverbe modalisateur à valeur méliorative indique le cadre courtois de la rencontre et surtout l’attitude correcte de Gabriel. Les verbes d’action « la transporte « et « la redescend « insistent sur la différence de taille des deux protagonistes. «

On note encore le prosaïsme du discours du narrateur « se marre «, niveau de langue très familier,  immédiatement démenti par le fait de dysorthographie volontaire qui transforme le mot en une recréation à valeur poétisante. Ici le mélange des niveaux de langue :trivial au début courant ensuite créant  une impression de disparate, de mélange, qui fait manquer le langage courant et marque une volonté de travailler la langue. On remarquera que la narration semble au service de l’humeur du personnage. Comme si elle servait plus à transposer les humeurs qu’à décrire. Ce qui est attendu dans ce passage, c’est la description du personnage éponyme et la seule description que l’on ait, si elle ralentit bien de façon caricaturale l’action, ne dit rien sur la mouflette, seul élément de caractéristique physique que l’on ait, il faut donc déduire de la gestuelle de l’oncle que l’enfant est de petite taille.

─ Tu sens rien bon, dit l’enfant.

─ Barbouze de chez Fior, explique le colosse.

─ Tu m’en mettras derrière les oreilles ?

─ C’est un parfum d’homme.

La logique du dialogue découle de la gestuelle ,  cette scène de baiser familial a permis à Zazie de sentir son oncle et c’est en toute logique qu’elle enchaîne par une remarque d’ordre sensuel : le sentiment de tendresse attendu est évacué au profit d’une remarque d’ordre technique si l’on peut  dire , mais nous revenons ainsi à l’isotopie instaurée par la remarque liminaire « doukipudonktant « :c’est donc Zazie qui relance le débat et prend position en affirmant par antiphrase ( caractéristique du langage populaire parisien rien = très, on notera encore la manque de réalisme de la parlure puisque la fillette est une provinciale ;  il est étrange qu’elle emploie pour sa première venue à Paris le langage parisien , ou alors il ya contamination par la mère et on peut déduire que la famille maternelle de Zazie est parisienne : cette jonglerie avec les éléments du réel est peut être une marque de l’écriture de Queneau ( son goût pour le parfum de son oncle). Ce dialogue montre encore la coopération des deux personnages au plan linguistique .Ce  dialogue fournit des informations :

 L’oncle est coquet, la nièce est sensible à cet aspect et connaît les codes de la coquetterie « parfum derrière les oreilles « ce qui se faisait pour les enfants avec les eaux de Cologne en vogue à cette époque, de plus cela traduit un fait de société « le sent bon « le mot enfantin pour désigner le parfum  puisque l’expression s’est nominalisée pour devenir familièrement du ‘ « sent bon « dans les années 50/60. on peut donc noter le décalage entre le parfum de Marque  et l’utilisation enfantine que souhaite en faire Zazie, décalage qui permet de remarquer d’emblée que Zazie ne s’embarrasse pas de considérations de valeur, qu’elle parle sur le mode intransitif : elle veut toujours « quelque chose, « mais aussi  optatif puisque ses désirs et ses plaisirs  priment sur les considérations hiérarchique dont elle se moque : parfum pour homme ou parfum de qualité peu importe ce qui compte c’est l’expression de son désir. On notera encore la volonté affirmée du personnage masculin de marquer son territoire viril. « un parfum d’homme l’utilisation « de la préposition « d « au lieu de la préposition « pour « fait de l’ensemble « parfum d’homme «’ le complément de détermination ; il y a restriction, on est presque devant un complément de caractérisation, on pourrait dire « un parfum masculin (épithète)

 Les incises insistent de façon hyperbolique sur la disproportion des tailles comme en écho au passage de la gestuelle, comme pour marquer physiquement la disproportion de ces deux personnages importants du roman (.colosse : = statue gigantesque ) mais aussi première référence à connotation biblique : les Colossiens récemment convertis ont fait l’objet d’une épître de l’apôtre Paul ou de son école , il est alors en captivité, car le fondateur de l’église de Colosse craint que ces disciples ne se laissent influencer par les prédicateurs qui doutent de la doctrine du christ et affirment entre autre que le culte des anges rappelle  celui des génies du polythéisme dont sont issus les nouveaux adeptes de la ville de Colosse ( vers l’actuelle Turquie et détruite par un tremblement de terre)

Ce choix particulier puisque l’auteur si attentif à la langue choisit  Colosse et non géant appelle un commentaire sur Gabriel (ce prénom de sept lettres qui réfère à l’archange Gabriel (il y a sept archanges). Gabriel serait- il de façon parodique un avatar contemporain à la fois du personnage de la  mythologie chrétienne (=l’ange),à la fois du personnage des mythologies polythéistes (= le génie) ainsi serait -il le bon ange, le gentil génie…:  et alors  ‘l’insistance sur la virilité n’ a-t-elle pas une valeur bouffonne, burlesque ?

On peut aussi  dire que dès l’incipit est posée la partition du monde en monde de femme et monde d’homme : vision misogyne d’un monde marqué par la répartition des rôles  en fonction de la  distinction des sexes.

─ Tu vois l’objet dit Jeanne Lalochère s’amenant enfin. Tas bien voulu t’en charger, eh bien, le voilà.

─ Ça ira dit Gabriel.

─ Je peux te faire confiance ? Tu comprends, je ne veux pas qu’elle se fasse violer par toute la famille.

Jeanne est présentée par le narrateur dans une incise : son identité est donnée dans sa totalité , on ne dit pas Zazie Lalochère …cette spécification peut donc souligner que le nom de la mère de Zazie est en lien avec ses activités dont il sera fait état plus loin ( en effet, Lalochère en argot signifie en gros « branleuse «).Elle est aussi à. prendre en compte dans le cadre du langage familier trivial de Jeanne ; la  deuxième caractéristique est d’être mère : les lochies (cf étymologie) en témoignent . Jeanne apparaît comme une femme qui veut à la fois protéger son enfant mais qui en même temps ne peut résister à ses désirs

« Sybillcà salsifix, enflamme tes regards

Et dégoise tout haut sur nous et les moutards.

UN APPRENTI. ;

Bravo ! je vais remplir un verre à la fontaine

Pour qu'il puisse rincer son sifflet hors d'haleine.

UN PRESSIER.

Silence, les crapauds ! ou je vais lalocher.

Laissez parler Guignol.

UN AUTRE APPRENTI.

Il va vous en cracher

De toutes les couleurs « (extrait de guignol et gnafron)

 

Jeanne va donc être caractérisée par son activité, elle ne sera pas non plus décrite

L’arrivée de Jeanne confirme l’adage professé par le narrateur au début du passage « s’amenant enfin «  Jeanne est donc une vrai femme puisqu’elle est en retard ; par déduction Zazie n’est pas à considérer comme une femme. Jeanne est donc nonchalante .On notera la réification de l’enfant  puisque sa mère la désigne par le GN « l’objet «, désignation à connotation affective, L’objet de leur souci commun, de leurs discussions antérieures, une fois de plus la narration se fait avare d’informations, à nous de déduire.

« Tas « le « u « de « tu « est  communément élidé jusqu’au XVII, il s’agit donc de la reprise d’un tour archaïque. Usage populaire  =usage du moindre effort linguistique, autorise le parler relâcher ou l’ellipse de mots dans la phrase en français.

«Tas bien voulu t’en charger, eh bien, le voilà. « Zazie apparaît définitivement comme un enfant car sa mère la confie (« t’en charger «) à une personne

Ici Zazie est présente sous la forme « l’objet, en, le « ;  l’insistance dénote l’intérêt et le souci de la mère de la prendre en compte : pas une parole de salutation entre le frère et la sœur le premier souci ,c’est bien l’enfant Zazie

La deuxième réplique de la mère introduit l’idée de contrat de confiance ; la forme interrogative est familière puisque ‘il n’y a pas inversion du sujet : on est bien dans l’oralité la transcription du néo français car seuls le ton ou la graphie -le point d’interrogation- permettent de déceler la question Cette interrogation permet d’introduire le véritable souci de la mère et du coup on a vraiment l’impression en ce début de roman que Zazie est une personne en danger, si ce n’est que l’exagération hyperbolique atténue la portée de l’information : « par toute la famille «  signifierait donc qu’elle s’est déjà faite violer et que Gabriel est susceptible de recommencer . L’intervention de Zazie  témoigne de deux traits distincts : elle s’adresse à sa mère comme une jeune enfant : en témoigne l’hypocoristique « manman « mais alors qu’on pourrait la croire choquée ou du moins complexée par ce que l’on suppose lui être arrivé,  c’est elle qui rassure et annule ainsi toute hypothèse de construction d’une  quelconque lecture policière ou autre.

Ce passage nous a informés sur un bref moment du passé de Zazie , sur l’action héroïque de la mère , sur la mission de Gabriel , sur les occupations de Jeanne et sa relation à sa fille. On peut mettre sur le compte de la place inaugurale du passage l’aspect lapidaire des infos (on ne nous dit pas grand-chose et nous devons beaucoup déduire à partir du dialogue : la caractérisation des personnages est  indirecte.

─ Bon. Alors je vous retrouve ici après-demain pour le train de six heures soixante.

─ Côté départ, dit Gabriel

Jeanne pose le cadre spatio temporel de l’action : cette annonce proleptique,( = qui anticipe puisque proleptique vient de prolepse ; prolepse≠ analepse) pose l’heure et la fin du roman, de l’aventure comme connue d’avance par le personnage. D’ailleurs le roman s’achèvera bien à l’heure, à la date, et au lieu prévu. Ce qui en annonce la circularité du roman, (comme si tout pouvait recommencer au même endroit , à une heure précise…Gabriel va immédiatement écorner cette éventualité puisqu’il précise que la rencontre se fera sur le quai des départs , manière bien propre à ce roman de montrer que les choses ne se refont pas exactement de la même manière). S’il y a circularité dans ce roman c’est dans sa structure même qu’il faut la trouver (explication de structure circulaire : on retrouve dans le dernier chapitre le quai de la gare d’Austerlitz du premier chapitre et les trois personnages initiaux, Marcel ayant pris la place de Marceline)

…En tout cas on a l’impression que l’annonce de Jeanne est une contrainte oulipienne, peut être, à défaut d’être tragique.

Il semble possible de dire que la fin du roman vue comme un départ s’annonce comme l’inversion du début  comme pour nous signaler peut être que dans ce roman toutes les actions iront par deux , les secondes étant souvent des inversions des premières : un départ succède à une arrivée ; tout est semblable et pourtant légèrement différent , en fait la répétition pure n’existe pas puisque le contexte n’est jamais rigoureusement le même (ici l’action se fera sur un autre quai)

Vision d’un monde en perpétuel mouvement même s’il est infime donc.

 

─ Natürlich, dit Jeanne Lalochère qui avait été occupée. À propos, ta femme ça va ?

─ Je te remercie. Tu viendras pas nous voir ?

─ J’aurai pas le temps.

─ C’est comme ça quand elle a un jules, dit Zazie, la famille ça compte plus pour elle.

La première réplique  permet de situer le roman dans le contexte historique : « Natürlich/ occupée. //à propos « (dernière expression qui, selon Yoan, germaniste, de première SSVT, s’écrit en un mot mais de la même façon en allemand)  sont des mots qui réfèrent à l’occupation allemande dont le sujet continue à marquer les esprits une dizaine d’années après (cf. Digression des trois hommes sur leur vécu de l’occupation)

On notera que le jeu de mot sur  « avait été occupée «  qui joue  en syllepse de sens sur les significations de l’expression d’une part occupée par ses activités sexuelles et d’autre part par les Allemands et peut être mêlant les unes et les autres : ce jeu et cette ambiguïté sur la sexualité est matière à création verbale ;  il est burlesque puisqu’il permet de travestir le sens des mots, ce type de sous- entendu est aussi très prisé dans les milieux populaires , une fois de plus le narrateur prend de la distance avec les personnages puisqu’il commente mais maintient une certaine proximité puisqu’il joue sur le même registre comique.

─ Je te remercie. Tu viendras pas nous voir ?

─ J’aurai pas le temps.

Paroles banales (cliché de ce type de situation) qui annoncent la disparition de la mère de Zazie qui sera abandonnée à son oncle : schéma du roman d’initiation : l’enfant confié à un mentor qui va le guider dans le monde, (Paris) cette quête permettant à l’enfant de devenir adulte.

 

─ C’est comme ça quand elle a un jules, dit Zazie, la famille ça compte plus pour elle.

Le constat  témoigne de la  maturité de Zazie elle se comporte comme une enfant mais son langage direct fait d’elle un juge sans remords et averti..Preuve de la grande proximité du couple mère fille et d’une certaine indulgence vis-à-vis du comportement de l’adulte : elle ne la critique pas puisqu’elle utilise le présentatif pour expliquer la situation à son oncle.

 

─ À rvoir ma chérie. À rvoir, Gaby.

Elle se tire

 Vous savez désormais commenter les disparitions de voyelles dans les mots ; je vous rappelle : elles traduisent la volonté de transcrire le parler oral et imprime un rythme à la phrase…Lorsque vous l’avez dit une fois, ne le répétez pas signalez simplement la répétition du phénomène.

Ces mots annoncent le départ physique de Jeanne, personnage qui n’apparaîtra plus que comme héroïne du récit de Zazie au chapitre 5.

Pour commenter la disparition et le rôle du narrateur sur cette disparition se reporter à la phrase d’Aristote en exergue « celui qui l’avait fait l’a fait disparaître « : l’application à la lettre de ce principe est un mode d’écriture ironique.

Zazie commente les événements :

─ Elle est mordue.

Gabriel hausse les épaules. Il ne dit rien Il saisit la valoche à Zazie.

Maintenant il dit quelque chose.

─ En route, qu’il dit.

Jeu d’inversion sur la répétition de « il dit « pour les deux premières formes et utilisation de la forme du discours indirect pour encadrer le discours direct .Le narrateur fait preuve d’une véritable virtuosité dans l’utilisation des incises .La répétition donne comme toujours une impression d’insistance ; souligner  le silence de Gabriel, c’est suggérer l’importance de ce silence comme pour montrer que le personnage médite, ou réfléchit avant de parler, c’est instaurer un moment de suspense.

La banalité du propos ne justifie pas l’importance du dispositif  de commentaire mis en place par le narrateur. L’écart entre les formes d’insistances (à valeur hyperbolique) et les deux mots banals  prononcés par Gabriel donne une tonalité héroïcomique au propos.

On notera que en route est considéré par l’auteur de la séquence comme une ouverture possible au roman initiatique .En effet c’est une forme d’ouverture : au sens premier, c’est une adresse à Zazie comme « on rentre, on part «…Au sens second c’est une adresse au lecteur, le signal du début des aventures ; dans un troisième sens c’est aussi l’équivalent du « on tourne « cinématographique façon de montrer que ce personnage participe à la gestion de la narration.

……………………………………………………………………………….

Synthèse : une scène de rencontre

 

Les fonctions de ce dialogue inscrit dans un incipit assez traditionnel

    ➢ Fournir des informations au lecteur :

   C’est le rôle éphémère mais décisif de la mère de Zazie qui va

         ▪ Évoquer le passé de Zazie

         ▪ Confier, à Gabriel, la mission d’ange gardien de Zazie

         ▪ Poser les limites spatio-temporelles du récit.

         ▪ Situer le roman dans le contexte de l’après- guerre

    ➢ Présenter  l’univers fictionnel

         ▪ Le  monde misogyne de Gabriel

    ➢ Caractériser de façon indirecte des interlocuteurs, dont le personnage éponyme.

    ➢ Donner une indication de genre  ou fournir une hypothèse de lecture : roman d’initiation, roman parodique ?

 

Un narrateur singulier :

    ➢ Un narrateur au langage instable : il jongle avec les niveaux, au sein d’une même phrase on trouve les niveaux familier et soutenu mêlés.

    ➢ Un narrateur observateur externe des comportements qu’il ne fait qu’interpréter

    ➢  Le début du chapitre n’étant pas focalisé, il est difficile de distinguer vision du conteur et point de vue du personnage : « vlà le train qui entre en gare « exemple  qui précède notre passage, renvoie aussi bien à la perception du narrateur qu’à celle de Gabriel ou de la foule.

    ➢  Lorsqu’il rapporte les pensées de Gabriel en gardant son statut spécifique de narrateur, le conteur alterne entre expressions propres aux personnages et paroles qui ne peuvent leur appartenir : en ce début de roman, difficile de décider à qui appartiennent les propos généralisants sur les femmes : Gabriel ou Narrateur ?

    ➢   Régie des dialogues par le narrateur un peu déroutante (brouillage des discours)

            ▪ Des incises à valeur didascalique.

            ▪ Parole de discours direct et verbe de parole dans une subordonnée conjonctive complétive comme pour le discours direct.

            ▪ Une insistance sur la tonalité comme au théâtre.

 

Une gestion de la narration qui suppose une volonté de travestissement, qui joue sur les écarts, qui joue sur les limites des discours rapportés et qui instaure une transgression des codes romanesques. La fonction  de régie est bien respectée, c’est bien le narrateur qui organise le discours et insère les paroles des personnages. Mais lorsqu’il joue son rôle idéologique généralisant, il travestit sa parole en discours intérieur de Gabriel ou du moins peut-on le supposer.

On se posera souvent la question- discours de personnage ou  narration -on peut donc parler de narration qui se masque .mais qu’y a-t-il à masquer dans Zazie si ce n’est le vide de la narration…

Il faudra rattacher ces remarques à une vision Baroque du monde.

 

Un mélange des genres

    ➢ Je ne reviens pas sur le travail sur la langue sur lequel j’ai insisté en classe et dont je vous ai fourni les analyses : ce travail sur la langue, s’il n’a pas pour but exclusif de transposer la langue orale à l’écrit, a pour but de jouer avec la langue et de créer des espaces de lecture nouveaux, il est recréation, elle est poétisante

    ➢ Les limites dialogue de théâtre  / dialogue de roman

    ➢ Un projet de roman d’initiation : les rôles en sont distribués.

Ces mélanges invitent à une lecture parodique.

 

Liens utiles