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Lecture analytique : Tirade de l'inconstance (Don Juan, Acte I, scène 2 ; Molière)

Publié le 02/10/2010

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I – Situation

 

Au moment où commence cette longue tirade lyrique, Don Juan vient d’apparaître et de surprendre Sganarelle et Gusman dont la conversation nous a déjà donné une idée de héros. Cette tirade va préciser sa philosophie de l’amour, après que Sganarelle lui ait reproché d’avoir abandonné Elvire. Nous verrons dans un premier temps quelle est la philosophie de Don Juan en amour, puis dans un second temps, qu’il s’agit d’un portrait d’un grand seigneur libertin et brillant.

 

II – Explication

 

    a) la philosophie de Don Juan en amour

 

Distinguons tout d’abord les étapes de cette tirade :

         • ligne 40 à 46 : une critique de la fidélité.

         • ligne 46 à 60 : un éloge de l’inconstance justifié par le charme que

                     la beauté exerce sur lui.

         • ligne 61 à 80 : sa stratégie en amour qui s’apparente à la conquête

           guerrière.

 

Don Juan se présente comme un homme libre, qui n’admet pas d’obstacle à sa liberté. Donc pour lui, la fidélité est ennemi de l’amour : « la belle chose de vouloir se piquer d’un faux honneur d’être fidèle « (l 43-44). Pour Don Juan la fidélité représente un emprisonnement volontaire, parce qu’un seul choix élimine toutes les autres possibilités : « Quoi ? Tu veux qu’on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu’on renonce au monde pour lui ? « (l 40-41). Et surtout la possession enlève sa force et son attrait au désir : « lorsqu’on en est maître une fois, tout le beau de la passion est fini, et nous nous endormons dans la tranquillité d’un tel amour « (l 68-70). Pour lui, ce sont « les inclinations naissantes « (l 59) qui le ravissent car il ne veut pas de la tiédeur en amour. Il désire désirer, ce qui représente une conduite narcissique hors de temps.

Ainsi l’amour pour durer ne peut être lié qu’à l’inconstance ce qu’il exprime par «  tout le plaisir de l’amour est dans le changement « (l 60) => phrase définissant le « donjuanisme « pour qui la multiplication des conquêtes est la condition de l’amour. Cette conception s’oppose à la passion unique telle que l’exprime l’histoire de Roméo et Juliette ou de Tristan et Yseult par exemple. D’ailleurs, Don Juan s’oppose à « la passion « au singulier (l 44) le pluriel des rencontres exprimé par exemple par l’adjectif « toutes « dans « toutes les belles ont le droit de nous charmer… qu’elles ont toutes sur nos cœurs « (l 47-50).

Don Juan justifie cette inconstance par l’attrait irrésistible que la beauté féminine exerce sur lui : « pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve « (l 50). En fait Don Juan semble céder à une « urgence d’aimer « : « je ne puis refuser mon cœur … je les donnerais tous « (l 56-58). Les verbes « ravir «, « céder «, « entrainer «, « charmer « montre que l’amour à sur Don Juan un pouvoir fatal et inévitable.

Mais cette conception de l’amour qu’à Don Juan est liée à un plaisir de séduire qu’apparente l’art de l’amour à l’art de la guerre = le vocabulaire est en ce sens significatif : « On goute… à réduire… à combattre…à rendre les armes… à forcer pied à pied…  résistance qu’elle nous oppose « (l 61-68).

Tout ceci exprime pour le libertin un besoin de puissance et de domination. Rappelons qu’après la fronde des grands seigneurs rebelles à la monarchie absolue, ces derniers trouvaient dans la prison dorée de Versailles des compensations dans les arts et la galanterie.

 

    b) un portrait de grand seigneur libertin et brillant

 

A travers cette profession de foi, on se fait une idée assez de la personnalité de  Don Juan. Le libertin revendique une liberté absolue car l’inconstance suppose une complète disponibilité : «  je ne puis refuser mon cœur à tout ce que je vois d’aimable « (l 56-57). C’est pourquoi il remet en cause des règles morales traditionnelles comme le mariage : « Quoi ? Tu veux qu’on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu’on renonce au monde pour lui ? Qu’on ait plus d’yeux pour personne ? « (l 40-41). Tout cela exprime dans un langage raffiné avec notamment le terme « objet « qui signifiait « personne aimée « en termes galants, et avec un rythme digne de la poésie : une suite d’octosyllabes… Don Juan ne peut donc demeurer en repos et doit agir sans cesse car sa vie est une perpétuelle fuite en avant sous peine de tomber dans l’ennui et le désintérêt, ce qu’il exprime à travers les termes « s’ensevelir… être mort dès sa jeunesse « (l 43-45), ou encore à travers « j’ai sur ce sujet l’ambition des conquérants qui volent de victoires en victoires, et ne peuvent se résoudre à borner leurs souhaits « (l 75-77).

En fait, Don Juan est orgueilleux et méprise les fidèles : « la constance n’est bonne que pour les ridicules « (l 46). Il a besoin du risque et ne peut entraver son appétit de conquêtes : « il n’est rien qui puisse arrêter l’impétuosité de mes désirs « (l 77). Il se compare même à Alexandre (il est mégalomane). Il a également le culte de la beauté (plus que des individus fussent-elles des femmes) : « la beauté me ravit partout où je la trouve « (l 50). En ce sens, c’est un esthète et les références au regard le prouve : « qu’on ait d’yeux pour personne « (l 43); «  les autres beautés qui peuvent nous frapper (l 45) ; « je conserve des yeux pour voir « (l 54).

Don Juan est enfin un manipulateur, qui n’hésite pas à utiliser l’hypocrisie : « des larmes et des soupirs « (l 64), la flatterie « cent hommages « (l 61), la corruption « l’innocente pudeur d’une âme qui a peine à rendre les armes « (l 64-65). Hypocrisie, corruption et flagornerie : tout cela au service de son libertinage et de son ambition.

(Un langage hyperbolique et métaphorique à la fois) :

D’autre part, son discours est dynamique et brillant. Il recourt à la métaphore et à l’hyperbole : «  s’ensevelir pour toujours dans une passion « (l 44), « d’autre mondes pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses « (l 80-81). Notons l’abondance des verbes d’action : « réduire, combattre, forcer, vaincre « (l 61-68).

Nous sommes sans doutes réprobateurs par rapport à son discours, mais, fasciné par son talent oratoire, comme Sganarelle qui réplique : « je ne sais que dire car vous tournez les choses de manière qu’il me semble que vous avez raison, et cependant vous ne l’avez pas «.

 

Conclusion :

 

Profession de foi libertine, portait d’un immoraliste, brulant plaidoyer, cette tirade révèle en Don Juan « un grand seigneur méchant homme « (Sganarelle), quoi revendique la liberté, et fait de l’amour un art de vivre. Don Juan est aussi un homme révolté contre les contraintes de la fidélité et du renoncement aux désirs. Il plaide pour une vie libre et sans entraves, et si l’on est choqué par cet orgueil et cet égoïsme, on est aussi séduit par cette impertinence et cette prestance.

 

Problématique possible :

 

« En quoi cette tirade constitue-t-elle un éloge du libertinage, de l’inconstance et de la séduction ? «

 

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