Les grands perdants

Durant quatre ans, les soldats ont vécu l'enfer des tranchées. Démobilisés, ces hommes retrouvent leurs terres, leur usine, leurs magasins ou leurs bureaux, bien décidés à jouir enfin de la vie, et attendant de leurs gouvernants des gestes de reconnaissance. Les ouvriers qui, de leur côté, ont travaillé d'arrache-pied pour supporter l'effort de guerre, demandent aussi à être payés en retour. Or la société qu'ils retrouvent, si elle a profondément changé, est loin de leur faire une place au soleil. Une catégorie de gens a en effet largement profité du commerce de guerre. C'est le cas des gros industriels, de certains commerçants ou des grands propriétaires terriens. Mais tous les autres se sont appauvris. Dans certains pays, comme en Italie, la réforme agraire envisagée durant la guerre ne se fait pas, alors que, dans le monde ouvrier, les salaires restent dérisoires, tant le travail abonde. Enfin, la petite bourgeoisie, qui vivait de ses rentes avant le conflit, est laminée par l'inflation galopante qui touche toute l'Europe du fait de la reconstruction. Un phénomène qui réduit d'autant le pouvoir d'achat de tous les salariés, à mesure que les prix s'envolent. En France, en Italie et en Allemagne, ces inégalités, que l'expérience de la guerre rend désormais insupportables, engendrent des mouvements de protestations et une radicalisation politique des différents groupes sociaux. Des grèves éclatent un peu partout, se qui profitent aux syndicats et bientôt aux partis communistes dont les effectifs se renforcent. Ce sentiment d'injustice a également pour conséquence, notamment au sein de la petite bourgeoisie et chez certains anciens combattants, de réveiller des sentiments nationalistes d'extrême-droite. Et tout un pan de la société forme bientôt, en Italie et en Allemagne, la clientèle de Mussolini et d'Hitler.