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Les lettres persanes

Publié le 27/02/2008

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INTRODUCTION

 

Les Lettres Persanes est un roman épistolaire publié en 1721. Il s’agit d’une satire. C’est une synthèse brillante de l’esprit de régence, des modes littéraires de l’époque. On pense que ces lettres auraient été écrites en 1717 mais elles font référence à une époque très ciblée qui s’étend sur 8 années : de 1712 à 1720. Ces lettres sont marquées par le vent de libéralisation qui suit la mort de Louis XIV. Y figurent : fantaisie, humour, la manière de prendre les choses à distance et avec une fausse désinvolture. Tout rappelle les caractéristiques d’une vie où l’apparence prend le pas sur la réalité. Importance extrême de l’apparence extérieure : tenue vestimentaire. Métamorphose des modes. Montesquieu s’adapte parfaitement à l’esprit de l’époque. Les modes littéraires de l’époque sont : l’exotisme du goût du jour. On raffole de tous les récits de voyages se référant à l’Orient. Il s’inscrit dans une tradition épistolaire qu’il modifie pour mettre la fiction au service d’une efficacité critique. Il y a aussi la contestation : le regard étranger dépaysé cerne les choses de manière inattendue ; la naïveté va souligner les distorsions au conformisme anesthésiant. Les lettres persanes annoncent l’esprit des lois avec une contestation à la fois sociale, religieuse et politique. Son efficacité peut être atténuée par le caractère brillant et mondain de l’écriture.

 

I- Expression de l’étonnement

 

L’étonnement caractérise l’attitude de Rica et de Rusbeck. Il s’exprime de deux manières : par l’utilisation de termes qui caractérisent l’attitude étonnée traduisant la surprise, et de manière indirecte par la présentation de découvertes étonnantes.

 

1-Expressions directes

 

l.8 : « Tu ne me croirais peut-être pas »

l.18 : « Je n’ai eu à peine le temps m’étonner »

l.31 : « ce que je te dis de ce prince ne doit pas t’étonner… »

 

La récurrence du verbe « étonner » souligne un état de surprise constant.

 

2- Expressions directes

 

Elles passent par l’énumération de tout ce qui va l’étonner.

l.5 : « Les maisons y sont si hautes qu’on en jugerait qu’elles sont habitées par des astrologues », double remarque sur les bâtiments et les astrologues.

La rapidité de mouvement des français : l.8 : « je n’ai encore vu marcher personne », l.10 : « Ils courent, ils volent ». Il fait la comparaison entre l’agitation qui règne à Paris qui contraste avec le rythme oriental.

La richesse du roi de France et l’originalité de ses sources (l.20 à 30) : cf l.23 : « prodige », l.25 : « un grand magicien », l.27 : « il n’a cas ».

Les étranges pouvoirs du pape : l’étonnement de Rica est également provoqué par le comportement d’un autre personnage qu’il situe encore plus haut dans une hiérarchie de « pouvoirs magiques ». Le jeu des comparatifs souligne le jeu d’une surenchère dans le caractère prodigieux des comportements. Ce caractère insolite est présenté par des exemples de magie : l’égalité entre 3 et 1, et le jeu d’affirmation et de négation (l.34) met en relief de véritables pouvoirs surnaturels. Celui-ci est d’ailleurs renforcé par l’expression qui termine l’énumération, laissant entrevoir un pouvoir magique encore plus développé par ce pape.

 

A travers cette mise en relief de l’étonnement, on perçoit le double mouvement qui domine la démarche choisie par Montesquieu : la présentation insolite de ce qui se passe en France correspond à celle de la vision des persans. En décrivant naïvement ce qu’ils voient, ils transmettent une vision qui devient déroutante pour les français. Il est important de rappeler constamment que cette vision est étrangère, c’est pourquoi les allusions à l’orient sont si nombreuses.

 

II- La référence orientale

 

Elle prend plusieurs formes dans le texte, mais elle est toujours là pour rappeler l’origine et la nationalité des supposés auteurs des lettres. Il est important que le lecteur ne perde pas de vue le caractère des épistoliers.

 

1-Des références extérieures au contenu de la lettre

 

Rappel du nom de celui qui écrit et celui du correspondant. On trouve à la fin de chaque lettre l’indication du lieu et la date du calendrier persan (« le 4 de la lune de Rebiab ». Ce qui est typique du genre épistolaire est constamment là pour indiquer qu’il s’agit bien de lettres, qu’elles sont écrites par de vrais persans. Ce souci d’authenticité est révélateur de la volonté de Montesquieu de maintenir toutes les apparences d’une fausse réalité. Dans la préface, Montesquieu s’était présenté comme un simple intermédiaire. Non seulement il veut les respecter mais en plus il les rappelle.

 

2-Des références à l’intérieur de la lettre

 

Il fait constamment des allusions à la perse prise comme référence de base dans les jugements qui sont portés sur la France et sur les français. Elles créent un renversement de valeurs humoristiques. On touche au problème de la relativité. C’est un problème très important dan le domaine de la pensée orientée vers l’humanisme, et la réflexion philosophique de lumières. A noter la réflexion qui fait sourire : « Paris est aussi grand qu’Ispahan » (l.4) ; il fait également allusion à l’Asie : « les voitures lentes d’Asie, le pas réglé de nos chameaux » (l.10). La comparaison est ici mise en relief par une opposition sensible du rythme de la phrase. Rapidité « ils courent, ils volent » et lenteur de « les voitures lentes d’Asie ». On remarque que « comme un chrétien » (l.12) souligne un renversement d’expression plaisant : « juré comme un païen » devient « enragé comme un chrétien ».

 

Ces références orientales, intérieures ou extérieures au texte, sont génératrice d’humour, de fantaisie, ce qui rend la lecture plus attrayante, tout à fait dans l’esprit de régence. Plaisir de lecture mais aussi camouflage !

 

III- La critique de la société française

 

1- La vie à Paris

La critique de la vie à Paris porte sur la rapidité, les difficultés et les ennuis de la circulation. On peut noter un champ lexical de la rapidité et de l’agitation stérile.

l.1 : « un mouvement continuel »

l.7 : « il s’y fait un bel embarras »

l.10 : « ils courent, ils volent »

Ce champ lexical est complété par le récit d’une scène de rue rendue amusante par les jeux de réciprocité et aussi l’insistance de l’inefficacité totale de mouvement. La difficulté à Paris est soulignée par les chocs (l.7 : « coups de coudes »). L’utilisation du présent met en relief le caractère commun et constant des parisiens.

 

2- La critique des français

Elle porte à la fois sur le comportement et sur leur mentalité. Le comportement est envisagé sur la scène de la rue. La mentalité se révèle de façon peu élogieuse dans la relation envers le roi. Rica les présente de manière générale comme doté d’une grande vanité. (l.21 : « la vanité de ses sujets »). Il les présente aussi soumis au pouvoir royal comme de véritables enfants. Cette soumission passive se souligne dans l’expression « il les fait penser comme il veut » (l.26), elle-même soulignée par « il n’a cas » (l.27), insistant sur un pouvoir facilité par l’absence d’esprit critique et de relations chez les français. L’adverbe « aussitôt » et l’affirmation « il va même » aggravent la situation en montrant la rapidité du résultat obtenu, et la surenchère toujours possible.

 

3- La critique du roi et du pape

 

Cette critique se fait en 2 étapes : le roi d’abord puis le pape dans une progression comparative.

La critique du roi : il apparaît comme un magicien. Elle fait de lui un personnage habile à manipuler les esprits pour en tirer profit. C’est comme s’il avait un pouvoir occulte sur eux. Il se dégage une image très dépréciative du roi. Il n’est pas présenté comme un monarque qui dirige le pays mais comme un profiteur qui s’enrichit aux dépends de ses sujets. Cette critique porte sur le régime politique, sur la personne du roi Louis XIV, sur son goût pour la guerre (« S’il a une guerre difficile à soutenir » l.22). Il y a aussi le caractère puéril et incroyable des exemples donnés : « un écu en vaut deux » (l.27). Cela illustre l’affirmation « ce roi en un grand magicien » (l.25). On peut enfin noter le caractère quasi-divin de ce roi puisqu’on lui prête le pouvoir d’accomplir des miracles (« il les guérit de toutes sortes de maux en les touchant » l.29-30).

 

La critique du pape : le rapprochement entre les deux personnages est permis par la dénomination de magicien. Mais il y a entre eux deux une différence hiérarchique. La magie du pape est encore plus merveilleuse que celle du roi. De plus, le pape exerce un pouvoir sur l’esprit du roi. Ainsi se met en place par le jeu des comparaisons de la hiérarchie la classification suivante : tout en haut un super magicien qui est le pape ayant tout pouvoir sur l’esprit du roi. Comme pour le roi, la critique passe par une illustration de pouvoirs magiques. Il s’agit là d’une raillerie très irrévérencieuse (irrespectueuse) à l’encontre de croyances chrétiennes. Le fait de présenter ce que relève du mystère de la foi chrétienne comme un tour de passe-passe est très audacieux et peut-être considéré comme un sacrilège. Mais il ne faut pas oublier que ce sont des persans qui parlent, ce que rappelle la précision de la ligne 32, le mot « pape » mis en italique.

 

CONCLUSION

Cet extrait de la lettre 24 est particulièrement représentatif de la totalité d’une œuvre. On y retrouve tout ce qui permet de comprendre les intentions de Montesquieu et l’originalité de sa

démarche et de ses choix. L’étonnement actif qui modifie fait percevoir les choses autrement. La critique qui est l’objectif politique de l’œuvre masque ses intentions profondes sous les charmes du récit fantaisiste.

 

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