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Les missions de la poésie

Publié le 25/04/2012

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Les missions de la poésie

 

1. Décrire :

Horace disait « ut pictura poesis », la poésie est une peinture, c'est-à-dire que la poésie prend pour sujets ceux de la description et utilise les formes (poésie plastique), les couleurs (cf. Pittoresque) et les sons (cf. Musique) C'est celle qu'ont pratiquée la Pléiade, Régnier, Boileau (cf. Satires, II, VI, X, etc.), La Fontaine, l'abbé Delille (XVIIIe siècle, sur « Le Café », par exemple : Il est une liqueur, au poète plus chère, Qui manquait à Virgile, et qu'adorait Voltaire ; C'est toi, divin café, dont l'aimable liqueur Sans altérer la tête épanouit le coeur. Aussi, quand mon palais est émoussé par l'âge, Avec plaisir encor je goûte ton breuvage. Que j'aime à préparer ton nectar précieux ! Nul n'usurpe chez moi ce soin délicieux. Sur le réchaud brûlant moi seul tournant ta graine, À l'or de ta couleur fais succéder l'ébène ; Moi seul contre la noix, qu'arment ses dents de fer, Je fais, en le broyant, crier ton fruit amer, Charmé de ton parfum, c'est moi seul qui dans l'onde Infuse à mon foyer ta poussière féconde ; Qui, tour à tour calmant, excitant tes bouillons, Suis d'un oeil attentif tes légers tourbillons. Enfin, de ta liqueur lentement reposée, Dans le vase fumant la lie est déposée ; Ma coupe, ton nectar, le miel américain, Que du suc des roseaux exprima l'Africain, Tout est prêt : du Japon l'émail reçoit tes ondes, Et seul tu réunis les tributs des deux mondes…)., le pittoresque romantique, Hugo (cf. Les Orientales, La Légende des siècles), Musset, Gautier, les poètes intimistes (ex. Sainte-Beuve, Coppée), le Parnasse, Baudelaire (pour les êtres et paysages parisiens), Mallarmé, Prévert, Francis Ponge (pour les Objets : poème sur l’huître ou l’éponge). • comment juger cette poésie descriptive ? — elle a contre elle ceux qui assignent d'autres buts à la poésie, et en particulier ceux qui pensent que la poésie décrit mal, car « mesure et rime » (Buffon) gênent la liberté du pinceau, alors que la prose est plus précise, variée et colorée. En cherchant l'exactitude, la poésie devient prosaïque et perd son prestige, qui est de faire rêver ou d'exprimer l'essence des choses et non l'apparence. De plus, « la poésie est une chanson selon le poète et qui exprime premièrement la nature du poète et disons même son corps. Cette chanson ne se soumet jamais à la chose extérieure ; au contraire, elle la plie et la déforme selon l'inflexible chant » (Alain) ; — mais la poésie descriptive n'est pas condamnée à être, comme elle le fut par l'abbé Delille par exemple, une « poésie qui décrit beaucoup sans faire rien paraître » (Alain). Les moyens de la poésie permettent de faire apparaître, de « dévoiler », de faire voir les choses pour la première fois et pour toujours (cf. les images descriptives de Chénier, Hugo ; le réalisme poétique des modernes comme Prévert, pour qui il n'y a pas d' «objets poétiques », toute chose pouvant devenir poésie par la manière dont on l'exprime). Le poète peut aussi passer de la description à l'idée, à l’essence (ex. Baudelaire) ou à la suggestion.

2. Orner et mettre en valeur une pensée claire : • c'est la conception du XVIIe et du XVIIIe s. (ex. Corneille, Racine, La Fontaine, Boileau, Voltaire), la pensée pourrait appartenir à la prose, la poésie est dans la forme (valeur mnémotechnique du vers, images, rythme oratoire, musique des mots) ; • la poésie philosophique en est une illustration particulière : elle met en valeur des maximes, un système organisé (ex. Lucrèce, Voltaire, Chénier) ; c'est une poésie vibrant d'une passion philosophique (Un animal dans la Lune), qui se sert des symboles (cf. Vigny, Moïse ; La Bouteille à la mer) ; elle condense alors la pensée, lui donne plus de force et d'éclat • cette poésie trouve sa grandeur dans la richesse et la beauté des idées ; (ex. Hésiode, Virgile, Dante, et, au XXe, Aragon ; cf. La Diane française), mais elle est critiquée par les partisans des autres missions de la poésie (cf. infra) et les Modernes du XVIIIe s., qui pensent que les ornements irrationnels de la poésie affaiblissent la rigueur de la pensée.

 

3. Exprimer les émois du coeur, comme le fait la poésie lyrique telle que l'ont surtout conçue les Romantiques :

le poète exprime son monde intérieur et sert en même temps d'« écho sonore » à tous les sentiments humains (cf. Lyrisme) ; • comme pour la conception 2, la forme est surtout un ornement (cf. Eloquence) ; mais la sensibilité, par son caractère irrationnel, devient une attitude poétique qui saisit ce qui échappe à la raison claire ; • elle rencontre l'opposition de ceux qui considèrent que la sensibilité n'a rien à voir avec la poésie (cf. Inspiration) ou qui penchent pour les autres conceptions (cf. infra).

 

4. La poésie est connaissance, ou plutôt « co-naissance », selon Claudel (cf. Littérature) :

c'est-à-dire qu'en revenant à l'étymologie du mot, elle « fait » (poïen, en grec), elle recrée les choses ; • elle « est un moyen de connaissance, un des moyens d'apprendre le monde » (Guillevic). L'attitude poétique ne consiste pas seulement à exprimer les choses dans un certain style, mais à les voir d'une façon fondamentalement différente de celle du prosateur. La poésie est la «connaissance du réel incréé » (R. Char). Au monde logique que peuvent connaître science, raison, esprit de finesse, la poésie préfère le domaine de l'irrationnel qu'elle seule peut explorer, car l'état poétique est voisin de l'état mystique, et donc essentiellement différent de l'émoi de la sensibilité et de la pensée claire) ; par ailleurs, seule la poésie peut, sinon éclairer, du moins faire entrevoir par intuition, grâce à la magie irrationnelle de son langage ; • le poète est un « voyant » (l’expression est de Rimbaud); par conséquent, il nous offre un monde qui n'est que «merveilles» (c'est la position d'Eluard). Cette conception est partagée par Platon, la Pléiade qui, en théorie du moins, voient dans le poète un « vates » (en latin, un devin) (en fait, la poésie de la Pléiade se rapproche plutôt des conceptions 1, 2, 3 ou 5) ; c'est aussi le poète voyant ou mage de Hugo hanté par des visions qui lui donnent une intuition du mystère qu'il transcrit en images ou en idées (cf. « La Pente de la rêverie », « Ce que dit la bouche d'ombre », La Fin de Satan, Dieu), ou le poète symboliste, alors que chez les Romantiques on trouvait déjà Nerval, explorateur du rêve, et que Baudelaire cherchait à déchiffrer la surnature et les correspondances. • elle est aussi connaissance des hommes, en particulier dans ses zones obscures, irrationnelles (cf. Rimbaud : « Je fixais des délires »), et connaissance de l'absolu, d'un au-delà dont la poésie ouvre la porte (ex. Baudelaire ; cf. « Correspondances »). La tentation est alors celle de la poésie pure qui, débarrassée de l'inutile besoin de signifier, hante certains écrivains (ex. Mallarmé) : on privilégie alors l'image et le rythme. « La poésie, surtout la poésie moderne, n'a nullement pour mobile la pensée (...) alors qu'en prose on cherche à fixer, à immobiliser la pensée. » (Supervielle). Mais cette conception risque de détourner la poésie de l'humain et de l'éloigner du grand public par son aspect obscur.

 

5. Elle est un chant de l'âme : le poète n'intellectualise pas ses sentiments, mais rend musicalement un certain nombre de rythmes profonds qu'il sent en lui ;

• la poésie est donc musique et accessoirement image, la pensée claire importe peu et le sens ne se rattache que vaguement à l'effet suggestif de l'ensemble (ex. Verlaine, Apollinaire) ou même n'existe pas, la poésie n'étant que libération de l'inconscient (cf. Surréalisme) ; • cette conception présente le danger de limiter l'univers à celui du poète ; la communication devient alors difficile, la poésie renonce à ses autres missions et on pourrait même penser qu'il y a, chez les Surréalistes, disparition de tout travail artistique. 6. La poésie engagée cherche à entraîner, à pousser à l'action, à éveiller l'enthousiasme. C'est une forme de la poésie qui exprime le coeur (cf. 3) mais qui se veut active ; • la poésie a longtemps été didactique, cad qui veut enseigner qqch, (cf. Ronsard, Les Hymnes, Discours ; La Fontaine, Fables) et se veut de nouveau pédagogique au XIXe s., en particulier avec Lamartine (elle « doit se faire et devenir populaire ») et Hugo (cf. Les Châtiments). Au xx s. les oeuvres de Claudel, Péguy militent pour leur foi alors qu'un des plus beaux exemples de cette poésie engagée est sans conteste celle de la Résistance (ex. Aragon, Eluard, Char). Le poète chilien Neruda va même jusqu'à dire : « La poésie est une insurrection » et, effectivement, elle est souvent un moyen d'expression privilégié pour les opposants aux régimes totalitaires ; • ses procédés favoris sont le recours aux sentiments simples, aux thèmes mobilisateurs (la liberté, la justice...), aux images frappantes (cf. Les Châtiments), aux symboles élémentaires, à l'obsession du rythme ; • on a beaucoup critiqué cette poésie, depuis les Classiques (qui prônent le bon sens, la discrétion, la litote), jusqu'à ceux qui jugent l'engagement comme une régression, une prostitution de la muse : Gautier et le Parnasse, Baudelaire, Mallarmé (pour qui la vulgarisation de l'art est une impiété, un gâchis), Valéry, Pasternak (« Le poète est comme un arbre dont les feuilles bruissent dans le vent, mais qui n'a le pouvoir de conduire personne. »)...

 

Le poète et la cité ; l'utilité sociale du poète

 

1. Il est dangereux : on doit le bannir, car il a trop de puissance occulte pour figurer dans un ordre qui doit être raisonnable (cf. Platon, La République).

 

2. Il est inutile pour l'Etat : • c'est la conception de Malherbe (« Un poète n’est pas plus utile à l’Etat qu’un bon joueur de quilles ») et des Classiques, et cela correspond à leur idée que l'art n'a pas à innover, mais à célébrer ou à divertir : le poète peut avoir une fonction morale, mais non sociale ; • même en admettant que les écrivains aient leur mot à dire dans l'Etat, la poésie n'ajoute rien d'utile à la prose : idée des Modernes, du XVIIIe s., combattue par Chénier et par Vigny ; • le domaine de la poésie est autre que celui de la politique : c'est la beauté (cf. Parnasse ; Art pour l'art), l'amusement, ou la connaissance de l'irrationnel (cf. Poésie).

 

3. Il est utile : • parce que sa nature inspirée le rend capable de susciter les sentiments nationaux, de conseiller les rois (ex. la Pléiade) ; • grâce à la valeur civilisatrice de la poésie : le moral sert le social (cf. Fénelon, Lettre à l'Académie ; les Classiques) ; • comme « écho sonore » qui cristallise le sentiment national ou social (ex. Hugo, poète de la patrie, du progrès ; la poésie de la Résistance) ; • comme « penseur » : sans s'engager directement dans la politique, il découvre ou rappelle les grandes vérités utiles à l'humanité et leur donne une forme éclatante et durable, c'est un pilote (cf. Vigny, La Maison du Berger, II ; Chatterton) ; mais le poète est aussi un « Prométhée » qui nous incite à la révolte (ex. la poésie de la Résistance ; Pablo Neruda) ;

 

La poésie en question

1. Elle est rejetée par: • ceux qui se méfient de sa puissance (ex. Platon qui veut exclure le poète de la cité car il est en rapport avec les dieux) ; • ceux qui sont exaspérés par ses formes dégénérées (cf. Vigny, La Maison du Berger, II), ses débordements (Flaubert, dans son Dictionnaire des idées reçues, définit « poète » comme un «synonyme noble de nigaud ») ; • ceux qui lui reprochent son caractère ésotérique, peu compréhensible, qui semble en faire un art aristocratique, élitiste ; • ceux qui la méprisent parce qu'ils sont rationalistes et que seules comptent pour eux les idées claires (ex. Montesquieu) ; • tous les « béotiens » (mot soutenu pour imbéciles car les Grecs tenaient les habitants de la Béotie pour crétins) sensibles uniquement à l'utilité pratique.

2. Elle est utile car : • elle procure un plaisir : • physique, par sa cadence, sa musique, son chant, son émotion... ; • de l'imagination (évasion, fantaisie, mystère, rêve, etc.) ; • elle crée la beauté en renouvelant la vision des choses rendues plus essentielles, plus neuves ; • elle offre un accès aux choses intellectuelles, aux idées, aux mondes obscurs, aux profondeurs de soi-même (cf. Claudel lisant Rimbaud) ; à ce qui dans autrui n'est pas rationnellement communicable et ne peut être suggéré que par intuition ; • elle affine et enrichit la sensibilité ; l'enflamme et l'incite à l'action ; console, apaise (cf. « La Nuit de Décembre » de Musset , où celui-ci reçoit la visite de son double, de son frère « vêtu de noir ») ; permet la communication entre les hommes ; • elle a donc une valeur morale, car elle purifie les passions, exalte l'héroïsme, le dévouement national ou social ; • elle a aussi une valeur civilisatrice comme en témoigne l'importance de la poésie dans les civilisations antiques.

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