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Les Révoltes Paysannes Sous L'ancien Régime

Publié le 17/01/2011

Extrait du document

Introduction

 

La paysannerie est une catégorie sociale qui représente des millions d'individus durant l'Ancien Régime (XVI-XVIIIème), répartis sur un territoire de centaines milliers de km² en croissance continue, sur une longue durée de trois siècles. Ainsi, pour reprendre une formule souvent utilisée, l’histoire des campagnes est bien la véritable histoire du royaume .

 

La paysannerie constitue l'écrasante majorité, soit plus de 85% de la population (estimée) d'environ 13 millions de personnes au début du XVIème, et de 15 millions à sa fin. Elle retombe ensuite à 14 millions de personnes à la fin du règne de Louis XIV, pour atteindre 23 millions au début de la révolution. L'économie est consacrée presque exclusivement à l'agriculture à vocation céréalière, mais avec un outillage à l'efficacité limitée, ce qui induit une grande part d'efforts humains pour assurer la production, qui demeure assez faible. L'agriculture est propre à des pratiques communautaires : assolement triennal sur champs ouverts, ou encore vaine pâture) qui laisse environ 40% du sol non productif. Les cadres institutionnels de ces villageois paysans sont la paroisse et la seigneurie.

 

A l'échelle nationale, la France achève de remettre sous l'autorité directe du roi des pays vassaux dont les seigneurs avaient fait des nations, tels le duché de Bourgogne en 1493 et le duché de Bretagne en 1532. On voit cesser les guerres féodales : dorénavant les seigneurs portent leurs différends devant la justice royale. Le roi est le monarque d'un Etat-nation et non plus seulement le seigneur suprême de principautés féodales. Le souverain développe une administration royale onéreuse, qu'il ne peut financer avec ses revenus personnels : le recours à l'impôt royal est donc une innovation « extraordinaire « à l'origine, s'établissant rapidement dans la permanence. L'ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539 réalise l'unification administrative du territoire et impose le Français comme langue officielle.

L'expansion territoriale menée par les Capétiens « rassembleurs de la terre française « reste inachevée. Louis XIV n'aura de cesse « d'agrandir le pré carré « mais les « frontières naturelles « ne sont pas encore atteintes en 1789.

 

L'Ancien Régime a des structures en apparence immuables, mais cependant en lente mutation présentant un triple aspect :

Tout d'abord, au niveau politique. En effet, le pouvoir monarchique vise l'absolutisme en éliminant ou dominant les contre-pouvoirs,  grâce à son administration de plus en plus centralisée.

Quant à l'économie, elle est consacrée en priorité à l'agriculture vivrière.

D'un point de vue social pour finir, on remarque que le corps social conserve son héritage indoeuropéen consacré par la Chrétienté médiévale. Il est divisé et  hiérarchisé en trois ordres spécialisé et fonctionnels : les clercs prient pour assurer le Salut éternel, les chevaliers combattent pour assurer la protection, les paysans travaillent pour assurer la subsistance.

Cette société d'ordres repose sur un double fondement : l'inégalité juridique, source de dépendance de la masse rurale et paysanne conduisant à son exploitation économique par les deux ordres privilégiés. Dans cette société d'ordres de conception mutuelle, chacun des trois états doit fournir aux autres des services supposés équitables, ou reconnus comme tels. La partie la plus nombreuse, représentée par les Masses paysannes, assume la charge la plus pénible. Pourquoi a t elle accepté si longtemps ce statut avant de le remettre en cause en 1789 ? S'y est elle pliée de gré ou de force ?

 

En définitive, l'on examinera pour quelles raisons se sont elles rebellées, et la manière dont se sont manifestées ces révoltes.

 

I Les raisons de la colère paysanne

 

La chronologie des révoltes laisse transparaître la complexité et la multiplicité de leurs causes. Les troubles et violences ne s'inscrivent pas dans un déroulement linéaire du temps historique. Aux paroxysmes des crises répond l'atrocité de la répression et la terreur des représailles ramène le calme. Ces oscillations entre rébellion et répression n'ont pas un caractère cyclique, elles correspondent à des bouffées de fièvre lorsque la situation paraît intolérable aux yeux des paysans. En second lieu, celles ci n'affectent pas de façon uniforme les différentes provinces. Même aux pires moments, lorsqu'un quart ou un tiers du royaume se soulève, les riches plateaux céréaliers d'Ile de France conservent leur calme. Une dichotomie s'affirme (avec certes des exceptions à l'échelle de la région ou des pays) entre Nord Est et Sud Ouest du royaume de France : « l'ordre règne « sur les plateaux limoneux d'openfield au septentrion, alors que le bocage, occidental et méridional s'agite.

Il n'y a donc pas de géographie ou d'histoire uniforme des révoltes paysannes même si le poids, jugé excessif, de la fiscalité, en est la cause majeure ou tout du moins le déclencheur. 

 

a) L'allergie fiscale

 

L'injustice de la fiscalité royale est une évidence pour la mentalité de l'époque, surtout en milieu rural, d'esprit conservateur car marqué par le respect de la tradition.

 

Le roi, seigneur suprême, se devrait de se comporter en seigneur et donc « vivre du sien «, c'est à dire uniquement de ses revenus personnels ou privés. Ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles (comparable à « l'aide au quatre cas « de la chevalerie médiévale) que le roi peut solliciter l'aide financière de ses sujets par la convocation des Etats Généraux. Devenu monarque d'un état géré par une administration de plus en plus étoffée et donc de plus en plus onéreuse, le roi exige de façon de plus en plus ordinaire la participation financière de la population : l'impôt devient permanent. Cette innovation est étrangère à la société d'ordres. Toutes ces révoltes ont donc un caractère antifiscal et antiétatique.

Cette intrusion de la fiscalité royale est plus mal acceptée dans les provinces plus récemment rattachées à la couronne, perçue comme une atteinte intolérable aux « coutumes, libertés et franchises  immémoriales «. Aux yeux des masses rurales, les meilleurs défenseurs de l'exemption traditionnelle seront les nobles. Conséquence paradoxale de la modernité de l'impôt : tout en minant l'équilibre entre les trois ordres de la société traditionnelle puisque les privilégiés sauront se libérer de cette charge fiscale, les liens, de type vassaliques, unissant paysans et privilégiés s'en trouvent renforcés. Innovation dérangeant la tradition, imposant une charge supplémentaire aux paysans, l'impôt royal frappe les esprits par son inégalité selon les régions. La gabelle atteint, en ce domaine, des sommets d'incohérence et d'injustice : outre des écarts de taux ahurissants, l'obligation d'acheter des quantités déterminées de sel imposent une charge intolérable à certaines provinces alors que d'autres connaissent une véritable pénurie imposée.

=> Innovation intolérable, traitement inégal ressenti comme injuste, l'impôt royal est fondamentalement un impôt de répartition.

L'administration royale, encore embryonnaire malgré son développement a opté pour la solution de facilité : la répartition (et non la quantité qui nécessite le calcul individuel du montant de la contribution). Ainsi sont levées les tailles, impôt paysan par excellence. Une somme prédestinée est exigée d'une communauté de paysans. Par souci de simplicité, la cellule fiscale retenue n'est ni la paroisse ni la seigneurie, mais la communauté qui doit s'en acquitter solidairement, la répartition entre chacun des assujettis étant laissée à la discrétion de l'assemblée des villageois. D'où jalousies et rancœurs entre paysans du village inégalement mais obligatoirement mis à contribution . D'où la révolte aussi lorsque les montants requis dépassent les capacités pécuniaires des villageois. Révolte collective et violente contre le fisc -accompagnée fréquemment de fuites individuelles des paysans les plus démunis qui choisissent de « déguerpir « en abandonnant le peu de biens qu'ils détiennent pour échapper à la voracité fiscale du roi. En France cependant rares sont les villages abandonnés et disparus suite à la désertion massive de leurs habitations. Ces fuyards, totalement démunis, vont grossir les rangs des vagabonds; bandes hétéroclites rassemblant sur les routes mendiants, saisonniers en quête de travail hors de leur domicile (savoyards par exemple), soldats sans emploi. Mendicité et brigandage vont de pair et s'associent aux révoltes paysannes en cas de pillage des collecteurs d'impôts. 

Peut on mesurer la charge fiscale ? Plus que la masse ce qui importe pour les paysans, c'est la pression qu'ils subissent, notamment en cas d'accroissement des anciennes redevances ou de l'introduction de nouvelles redevances.

Doublement des tailles, triplement des gabelles par Henri III (1574-1589) conduisent dans diverses provinces au soulèvement des campagnes aussi bien contre les nobles et les bourgeois ligueurs que contre les agents du fisc et les armées de tout bord. Avec le retour de la paix, Henri IV et Sully contiennent les prélèvements et restaurent la paix civile dans les campagnes.  L'intervention directe de la France, voulue par Richelieu, dans la guerre de Trente Ans aggrave la pression fiscale et déclenche la guerre civile : Jacquerie de 1636-1637 dans tout l'Ouest et le Sud de la Loire.

Suite à ça l'introduction de la gabelle en Normandie qui fait lever contre elle, en 1639, l'armée de Jean-va-nu-pieds forte de 20 000 hommes. Pas une année du règne de Louis XIV ne se passera sans connaître des soulèvements très graves. Ainsi au début du règne personnel, le soulèvement de 6000 paysans du Boulonnais contre l'introduction de la gabelle. A la fin du siècle la révolte gronde à l'état chronique à la suite des coûteuses guerres européennes ponctuées de mauvaises récoltes de 1693-1694 puis 1709-1710. Un exemple de l'âpreté du fisc royal : le cas de la Comté. Après une première invasion en 1668, la Comté avait consenti un effort d'un montant jamais atteint jusqu'alors pour assurer sa défense contre la menace française. En vain, puisqu'elle ne put empêcher la seconde conquête-définitive cette fois ci-en 1674. L'imposition ordinaire alors décidée par le vainqueur fut fixée à 730 000 livres, montant déterminé très exactement par la conversion en monnaie française de l'imposition extraordinaire si mal supportée à l'époque par les Comtois : dès 1683, il passa à 830 000 livres.

 

Le règne de Louis XV fut moins troublé. Les finances publiques alimentées par des expédients laissèrent se creuser le déficit dont hérita Louis XVI.

 

b) Un environnement naturel contraignant

 

Pour arracher sa subsistance (et celle des ordres dominants), le paysan d'Ancien Régime n'a pas innové en France et perpétue l'héritage médiéval. Entre 1300 et 1700 le temps des progrès importants semblent passé. Sur le plan des techniques, la charrue à roue, coutre et versoir attelé au cheval, qui a les sabots ferrés et le collier d'épaule, a conquis à partir du XIIe et XIIIe siècle les plateaux limoneux du Bassin Parisien, mais l'usage de l'araire tiré par des bœufs perdure dans l'Ouest, le Centre et le Midi du royaume. Aux deux techniques de labour correspondent deux systèmes culturaux : assolement triennal au Nord, biennal au Sud : au total les emblavures dépassent rarement la moitié de la surface.

Les défricheurs vers 1300 ont atteint une sorte de limite qu'ils dépassent certes par la suite, mais d'assez peu et seulement au XVIII et XIX. Le cercle vert des forêts subsistantes ne reculera plus beaucoup désormais, au profit des grandes clairières. Espace agricole figé, techniques sans innovation, orientation quasi exclusive vers la production céréalière de subsistance est au total une production juste suffisante pour couvrir les besoins. C'est que les rendements ne croissent pas et restent à un bas niveau : environ 5 grains récoltés pour un semé. Les valeurs recors sont atteintes en Picardie et autour de Paris avec 15 à 20 hl/ha soit 8à 10 pour une semence dès la fin du Moyen Age et pendant toute la période moderne.

Accidents météorologiques ou changement climatique ? La primauté donnée à la culture des céréales soumet encore davantage aux aléas climatiques la subsistance de la population. En raison de la faiblesse des rendements obtenus, les paysans invoquent une foule de Saints pour s'assurer la pluie et le beau temps au moment opportun. La moindre baisse des récoltes est catastrophique : hausse brutale du prix des céréales qui sont pourtant la base de l'alimentation. Même les campagnes sont touchées : les petits exploitants même producteurs doivent acheter un complément de nourriture. Aussi se répandent disettes, famines et aussi des épidémies, terreau de la colère et de la révolte contre les « accapareurs «.

Diverses études permettent de préciser les conditions climatiques régnant durant l'Ancien Régime. Celles ci connaissent de grandes oscillations séculaires. Une phase de refroidissement s'amorce après 1200, elle est suivie depuis 1850 de la phase actuelle de réchauffement. La pire période du « little ice age « connaît ses phases de froid ou de fraîcheur les plus intenses lors des années 1590, 1640 et surtout 1690. On peut affirmer que les grandes crises du XVII-XVIII comme celle de la Fronde, ou celle des années 1690-1700 ont sans doute été déclenchées par des séries d'années climatiquement et écologiquement défavorables.

Mais les crises dépendent aussi d'autres facteurs : démographique et économique.

 

c) La pression démographique sur la terre

 

Du fait même de ses structures de production, la population rurale tend à la portion stable. En cas de dérèglements accidentels ou momentanés du système, la population peut s'écarter largement de cette portion d'équilibre pour ensuite y retourner de façon graduelle. Paysanne essentiellement, la population « française «, évaluée dans le cadre frontières actuelles, dépassait 17 millions d'habitants vers 1320/1330 avant les catastrophes : pestes, guerre de Cent Ans, famines. Elle tombe alors à moins de 10 millions d'âmes vers 1440. Du coup, des mécanismes compensateurs se révèlent dans l'économie rurale vers 1460/1480. Le sort des survivants s'améliorent notablement. D'abord par la concentration des héritages dans certaines zones semblant vidées, les terres paysannes s'agrandissent. D'autre part, la main d'œuvre fait défaut et les terres en friches sont nombreuses. Pour attirer ou retenir leurs paysans, les seigneurs doivent consentir à la hausse des salaires et à la modicité des loyers fonciers. Cette situation favorable qui culmine vers 1480 a une tendance logique mais fâcheuse à se renverser. Le niveau de vie correct dont jouissait la paysannerie conduit au recul de la mortalité et finalement à la hausse démographique. Se mettent alors en place des mécanismes inverses de ceux que nous venons de décrire.

Au XVIème, au fur et à mesure qu'augmente la population rurale, les exploitations paysannes s'émiettent, la demande de terre s'accroit, on parle de la faim de terre. La catégorie des propriétaires réduit les salaires et augmente ses exigences sur les prélèvements financiers. La petite tenure paysanne est écrasée par la rente foncière de la noblesse, la dîme du clergé et les ponctions fiscales de l'Etat. Le niveau de vie de la masse des cultivateurs s'effondre, le paupérisme devient général entre 1550 et 1660. La Bruyère, en 1689, livre une vision quasi-désespérée du monde paysan : « L’on voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles, rependus par la campagne, noirs, livides, et tout brûlés de soleil, attachés à la terre qu’ils fouillent et qu’ils remuent avec une opiniâtreté invincible […]. Ils se retirent la nuit dans des terriers, où ils vivent de pain noir, d’eau et de racines «. Dans ce contexte de famines et d'épidémies, les révoltes paysannes agitent les provinces de façon chronique. Poussée de la mortalité, recul de l'âge au mariage et diminution des naissances ramènent la population à sa position d'équilibre à la fin du XVI et XVII. A coup de souffrance et d'ascétisme, elle s'avère capable d'obtenir la croissance démographique zéro et démontre qu'elle porte en elle même l'énergie nécessaire à son auto stabilisation. Le deuxième quart du XVIII connaît quant à lui une nouvelle et indiscutable poussée démographique.

 

d)  Masse monétaire et conjoncture

 

Les métaux précieux des mines d'Europe centrale et d'Auvergne contribuèrent à déterminer une forte hausse des prix. L'essor du crédit, en multipliant les moyens de paiement, ne fut pas étranger à la hausse qui commença partout dès la fin du XVe siècle. Les contemporains ne la comprirent pas mais furent impressionnés par les difficultés financières qu'elle causa aux Etats et par les bouleversements sociaux qu'elle provoqua. Dans l'ensemble, il est possible qu'elle ait été moins une cause de troubles économiques qu'une incitation à produire davantage par l'appât d'un bénéfice très accru. Cette recherche du profit provoqua un bouleversement des exploitations paysannes. L'investissement des seigneurs consista à racheter les petites tenures paysannes, les regrouper en exploitations beaucoup plus vastes, à les cultiver non plus à la main mais par des attelages de bœufs ou de chevaux. L'unité d'exploitation nouvelle disposa de plus de force, de plus d'engrais, d'une productivité supérieure. L'excédent de de récolte négociable bénéficia de la hausse des prix pour le plus grand profit du seigneur-investisseur. En contrepartie de nombreux paysans endettés après une mauvaise récolte furent forcer de céder leurs petites tenures, et durent s'employer comme métayers ou domestiques avec des conditions de vie dégradées.

L'apport décroissant de métal précieux inverse le mouvement des prix. Alors que le stock de métal précieux a probablement décuplé au XVIème, il ne fait que doubler au XVII alors que le besoins de monnaie pour les échanges commerciaux croissent plus vite. Dans l'ensemble, en Europe, il y a donc hausse beaucoup plus lente jusque vers 1625/1630 puis un palier et enfin une baisse lente qui s'accentue après 1660 et 1680. Il y a une légère remontée de 1680 à 1700 puis à nouveau une légère baisse de 1700 à 1715. Le XVII est aussi une période d'effarante instabilité des prix, d'oscillations d'amplitude démesurée. Les causes de ces brutales variations ne sont pas uniquement les guerres ; il faut tenir compte des circonstances atmosphériques défavorables pendant plusieurs années. Il faut prendre également en compte l'accroissement de la population qui multiplie les bouches à nourrir et qui provoque une violente hausse des prix jusqu'à ce qu'une mortalité réduise la demande et fasse retomber les prix. (grandes famines en France en 1629/1630, 1648/1651, 1660, 1661, 1693, 1694, 1709/1710). La reprise économique en France a lieu après la faillite de Law en 1720 qui efface une partie de la dette publique et la stabilisation de la livre en 1726.

 

 

Les révoltes paysannes expriment par la violence la réaction des masses rurales à l'annonce du renforcement de la pression fiscale. Mais l'allergie fiscale -bien réelle- est exacerbée par les conditions générales d'existence : pouvoir d'achat rogué par le mouvement de hausse des prix,  nombreuses bouches à nourrir dans les familles devenues pléthore, caprices du temps amenuisant les récoltes, et  exigences renforcées des possesseurs du sol.

Ainsi, les plus violents mouvements de révoltes seront nourris de ces multiples causes.

 

II Anatomie des révoltes paysannes

 

Les révoltes paysannes relèvent-elles d’un modèle unique ou sont-elles de natures différentes ? Comment se déclenche un révolte, pourquoi ? 

Pourquoi pendant trois siècles n’ont-elles pour issu que l’échec et la répression ? 

 

a) Identification malaisée

 

Depuis environ cinquante ans, plusieurs générations d’historiens ont déchiffré les profondeurs du monde rural qui étaient jusque là restées dans l’ombre des évènements politiques. 

Les masses  populaires ne nous ayant pas laissé de témoignages directs, l‘immense majorité étant analphabète, on ne les connaît guère que par leurs réactions, leurs révoltes et aussi par les plaintes que les classes éclairées leur prêtent. Ainsi en va-t-il du témoignage de Nicolas Versoris, avocat au parlement de Paris durant le règne de François Ier, dont le « journal « est intitulé Le monde qui est crucifié . Pour le fin du XVIe siècle, Pierre de L’Estoile évoque dans son journal les guerres de religions, la ligue et l’avènement d’Henri IV. 

Dans leurs rapports, les intendants font état tout au long du XVIIe siècle de la répression souvent atroce qu’ils mènent contre les mouvements populaires. 

On peut aussi ajouter les écrits de témoins effarouchés par la violence des paysans révoltés tout autant que par celle des soldats chargés d’écrases la sédition comme Madame de Sévigné. 

Moins agité, le XVIIIe siècle nous est mieux connu grâce à une administration mieux documentée et à une opinion publique mieux informée.

 

La spécificité des jacqueries n’apparait pas toujours, d’abord parce que les révoltes paysannes et émeutes urbaines vont souvent de paire. De plus, dans une société soudée par les liens personnels, la paysannerie par sa condition de dépendance envers la noblesse sert de masse de manœuvre aux Grands lors de leurs « prises d’armes « et « Fronde « contre l’autorité royale. Comme le remarque Yves-Marie Bercé, ces révoltes sont souvent «noyées dans la banalité et l’anonymat. Bien rares sont les mouvements authentiquement populaires qui ont pu influer sur les faits politiques et mérité , comme on dit, de passer dans l’histoire « . De par cette pauvreté et cette dépendance, les paysans sont souvent condamnés à l’immobilisme. D‘autre part, l’enclavement des campagnes joue contre les mouvements paysans puisque cela isole chaque paysannerie qui mène alors une lutte solitaire vouée à une répression certaine au lieu de les unir dans des revendications communes ( le pain, la terre, la baisse des impôts). Leur poids politique en est d’autant plus faible. 

  Au total, ces connaissances sont délicates à préciser et incomplètes : seules les révoltes de grande amplitude sont passée à la postérité.

 

b) Chronologie (sommaire) des révoltes paysannes

 

1548 : La révolte des Pitauds. La première révolte paysanne de quelque importance a eu lieu au milieu du XVIe siècle. Elle s’est déclenché à la suite d’une tentative d’extension de la gabelle dans l’Ouest du royaume à la mi-juillet 1541 par François Ier dans le cadre d‘une restructuration administrative et fiscale. La revendication principale qui sera le modèle de l’immense majorité des révoltes à suivre peu se résumer par ce slogan simple et significatif : « Vive le Roy sans gabelle! «. La révolte des Pitauds est considérée comme un signe avant-coureur de ce qu’on appellera « le grand refus des humbles «, c’est-à-dire d’un long cycle de révoltes récurrentes. Ce soulèvement est d’une ampleur nouvelle : par exemple, de grandes villes murées, comme Saintes ou Bordeaux, tombent, pour la première fois, aux mains des révoltés ; des milliers de paysans chassent les commis en Angoumois. Cette première manifestation paysanne est écrasée par une répression spectaculaire et cruelle de Montmorency. Les Pitauds obtiennent néanmoins la suppression de la gabelle en 1549.  

1587 : Révoltes des Gautiers de Normandie. 

1594 : Les premiers Croquants dans le Limousin  et le Périgord. C’est alors le commencement d’une « guerre « paysanne quasi-permanente tout au long du XVIIe siècle. Ainsi, pendant environ trente ans de 1624 à 1662, le royaume connaît de vastes jacqueries de plusieurs semaines voire mois menées par les armées paysannes. 

1624 à 1650 : Révolte permanente des Croquants d’Aquitaine. 

1639 : Révolte des Nu-pieds en Normandie. 

1658 : Révolte des Sabotiers en Sologne.

1662 : Révolte des Lustucrus dans le Boulonnais.

Sous le règne de Louis XIV, les révoltes paysannes se trouvent « réduites à l’obéissance «, on assiste à un reflux de la contestation des petites-gens. 

Seule, en 1675, la révolte des Bonnets-rouges en Bretagne, s’inscrit hors période. Elle se distingue complètement du type des révoltes paysannes en cela qu’elle est d’une ampleur et d’une radicalité sans pareille dans une province qui, jusque là, s’était tenue à l’écart des grands mouvements paysans. D’autre part, cette révolte est aussi une exception notable distincte des révoltes antifiscales, car en effet, les Bonnets rouges, eux, incriminent directement le seigneur et les droits seigneuriaux. 

1707 : Révolte des Tard-avisés du Quercy. Cinquante ans après la Fronde, ce soulèvement marque l’ultime soubresaut des « révoltes sauvages «.

L’Etat royal, son armée, sa fiscalité, ont eu raison des résistances paysannes. Assommées par les grandes saignées démographiques des « années de misère « , les campagnes semblent sombrer dans la passivité. 

Le XVIIIe siècle est effectivement moins agité. A peine connaît-on les quelques trente mouvements d’ampleur diverse en Rouergue et les 130 agitations en Provence de 1703 à 1789. Mais de nouvelles formes de lutte se développent pour remplacer les traditionnelles jacqueries. P. Goubert parle d’une « lutte sourde contre l’impôt «. Les paysans mettent en place dans plusieurs régions une grève de l’impôt. Ils font d’incessantes réclamations aux intendants. 

La nouveauté, c’est surtout les acte de petite délinquance (braconnage, bris, vol…) et les émeutes de marchés qui s’opposent clairement aux seigneurs eux-mêmes et non plus aux excès fiscaux.

1720 1730 : Les Bacchanals, grève des moissonneurs en Bourgogne et Ile-de-France.

 

c) Mécanisme de la révolte

 

  L’historien soviétique Boris Porchnev a finement analysé Les soulèvements populaires en France de 1623 à 1648 et ses conclusions éclairent l’ensemble de la période moderne. 

 

1° La révolte de la misère et de l’injustice

Les cartes des soulèvements dressées par B.Porchnev font apparaître un opposition entre les pays de grande culture céréalière du Bassin Parisien, qui sont exemptes de révoltes, et toutes les autres régions tour à tour touchées (et souvent à plusieurs reprises) à l’exception de la Bretagne qui ne le sera que sous Louis XIV en 1675. Pourtant, si les régions céréalières sont économiquement riches, les travailleurs de la terre y sont plus misérables qu’ailleurs, endettés et soumis à de gros fermiers, investisseurs capitalistes; et ces provinces ne sont pas moins lourdement chargées d’impôts que les autres. 

Rappelons que ce sont elles qui ont été affectées par la Grande Jacquerie du XIVe siècle. C’est donc que la révolte ne naît pas seulement de l’extrême misère : elle naît surtout du sentiment de l’injustice c’est-à-dire le sentiment qu’ont les révoltés que leurs droits traditionnels, leurs « libertés « et « franchises « provinciales sont menacées. Or, ces droits, ces privilèges sont plus forts dans les régions tardivement réunies au royaume capétien que dans celles qui, berceau de la monarchie, ont appris plus vite à se plier à l’absolutisme royal et à ses exigences. 

Toutes les classes de la société sont généralement unies pour maintenir ces privilèges locaux. Il en a été ainsi en 1632 lors du soulèvement du Languedoc par son gouverneur, le maréchal de Montmorency. 

 

2° La visée antifiscale

Les cartes de B.Porchnev montrent également que les révoltes affectent des territoires de plus en plus vastes. Cet accroissement est lié à l’impôt. Il apparaît clairement que l’alourdissement de la fiscalité (introduction de nouveaux impôts, aggravation des impositions anciennes) pour financer l’effort de guerre et la politique d’intervention en  Europe, a été la principale cause de ces soulèvements. 

Ces révoltes ne sont pas une guerre de pauvres contre les riches. Elles sont dirigées contre le fisc royal. Leurs victimes : les collecteurs d’impôts, le plus souvent de simples commis mais parfois, dans leurs châteaux ou leurs hôtels, les traitants. Ils afferment au roi la levée des impôts et ils trouvent leurs comptes à l’augmentation des contributions puisqu’une partie leur revient. C’est contre eux que le peuple se soulève, contres ces « accapareurs « dont, croît-on, le roi ignore les agissements. C’est d’ailleurs en affectant la forme des ordres royaux que le peuple lève ses armées. 

Les soulèvements ne sont pas en principe contre le roi, ni en général contre les classes dominantes en tant que telles. Les paysans recherchent au contraire souvent l’alliance de celles-ci. Ils l’obtiennent en 1651 quand l’Assemblée de la noblesse proteste contre les tailles et les gabelles dont le roi accable les fermiers. Contre l’impôt royal, seigneurs et paysans sont d’accord : si la récolte n’est pas bonne, la ponction  royale va empêcher le paiement des redevances seigneuriales. 

3° Retour au calme

- Une répression impitoyable

On fait régner l’ordre par la terreur. En effet, on assiste à des punitions exemplaires comme en juin 1622 où tous les habitants protestants de la ville de Nègrepelisse sont passées au fil de l’épée ou encore à la fin du règne de Louis XIV lorsque les Camisards sont massacrés ou envoyés aux galères. Richelieu s’exprime ainsi à propos de ces répressions sanglantes :  « Qu’ils me haïssent pourvu qu’ils me craignent. «

-Assouplissement des exigences royales frappant les paysans

Pour soulager les paysans, Sully leur fait grâce des arriérés d’impôts et à partir de 1599, il diminue le chiffre des tailles, l’impôt paysan par excellence. Jusqu’à la fin du règne, le chiffre des tailles restera voisin de 14 millions de livres. 

La vénalité des offices se développe alors dans la cadre de la recherche d’expédients. Mais les privilégiés s’y opposent ainsi qu’à toute tentative d’imposition de quotité et ils détournent les impôts de répartition sur le seul tiers-état.

 

d) Typologie des révoltes

 

Nous avons dit la dépendance institutionnelle des masses paysannes envers leurs seigneurs. S’y ajoute l’influence morale ou psychologique qu’exercent les nobles sur leurs tenanciers : les liens vassaliques les unissent fortement. Les révoltes paysannes naissent, souvent à l’instigation ou tout au moins avec la complicité tacite de des gentilshommes et des seigneurs et parfois même avec leur participation active en fournissant l’encadrement militaire aux rebelles. Ces soulèvements rassemblent parfois toutes les classes sociales et d’autres fois les opposent. 

On peut ainsi distinguer deux grands types de révoltes paysannes et y ajouter une exception notoire: les révoltes huguenotes.

 

1° Participation paysanne à des séditions

Il s’agit d’un mouvement exogène au monde paysan dont le déclenchement et la direction dépendent des Grands (princes de sang et haute noblesse). L’ampleur est nationale ou au moins multirégionale. Les paysans n’y interviennent que comme masse de manœuvrent et se trouvent embrigadés dans des mouvements dont les enjeux les dépassent. 

C’est le cas, par exemple, de la ligue catholique qui contrôle la capitale contre le prétendant au trône Henri de Navarre, futur Henri IV.  Le même schéma d’embrigadement des petits pour se constituer une armée se retrouve lors des « prises d’armes des Grands Huguenots « en 1621-22. Enfin, la situation est encore la même pendant la Fronde durant la minorité de Louis XIV où Mazarin fuit à l’étranger. Les paysans de St Ouen sont par exemple requis par leurs seigneurs pour participer à la défense de la capitale rebelle  aux troupes royales. 

Les objectifs y sont toujours éloignés voire étrangers aux préoccupations paysannes. Ces révoltes traduisent la volonté des Grands de jouer un rôle en s’opposant à l’absolutif monarchique. 

 

2° L’exception huguenote

- Extension et implantation de la Réforme

Le rejet du catholicisme officiel tant par les Grands que par les masses paysannes gagne à la Réforme des provinces entières : la Normandie, la Saintonge, le Vivarais, les Cévennes, le Languedoc et le Dauphiné. 

- Les Guerres de religion

L’intransigeance catholique et les persécutions des protestants mènent après 1662 à une guerre civile généralisée dans laquelle les masses paysannes prennent leur part. 

- Les Camisards (1702-1710)

Guerre d’autodéfense des paysans cévenols face aux agressions de Louis XIV dont les armées contrôlent les villes mais ne peuvent réduire totalement les campagnes. Des chefs de bandes tiendront jusqu’en 1710 et le culte calviniste continuera d’être célébré par des « assemblées du déserts «. On verra même un pasteur, Antoine Court, réinstaller des églises calvinistes et tenir un synode près de Nîmes. 

 

Certes le royaume de France ne connaît pas de troubles semblables à la Guerre des Paysans de 1525 en Allemagne où les paysans allemands mènent la lutte sur deux fronts : contre le pouvoir seigneurial qui les opprime et contre l’Eglise qui les accusent d’être infidèles à l’Evangile. Néanmoins, à l’instar de leurs « collègues « germaniques les paysans français passés à la Réforme font la grève contre les dîmes dues au Clergé. 

3° Les jacqueries : révoltes autonomes et spécifiques aux paysans

Rappel sémantique : Partie de Saint Leu en mai 1358, la révolte des Jacques ou Jacques Bonhommes gagne la vallée de l’Oise, le Valois et la Picardie. Mais ils ne surent ni présenter un programme de réformes précises ni s’organiser fortement. Ce ne fut qu’une émeute de la misère noyée dans le sang.

Mouvement spontané animé par les paysans : La décision de lever une révolte est prise par la communauté paysanne. Elle se définit face au seigneur et souvent contre lui ; puis face à l’Etat monarchique et souvent en coopération avec lui puisque le roi l’utilise comme cadre commode de ses ponctions fiscales. Le pouvoir communautaire appartient à l’assemblée de tous les chefs de familles auxquels s’adjoignent pour les circonstances quelques veuves qui de par leur malheur personnel sont investies des fonctions de politique locale, normalement dévolues à feu leur maris. Au son du tocsin, le village se réunit pour entamer le mouvement.

Objectifs : Prosaïques, les révoltes rurales visent surtout à récupérer, au profit des villages, une partie du pouvoir détenu par la société dominante (Etat, Eglise, seigneurie, villes) ; elles visent à diminuer ainsi, voire à annuler certains des prélèvements qu’effectue celle-ci. La révolte est éminemment conservatrice, elle s’oppose aux impôts nouveaux qui bouleversent les traditions. 

Victimologie : La victime favorite est donc le gabeleur et les officiers. Ainsi, les Pitauds , le 21 août 1548, font trente meurtres  dont vingt à Bordeaux même. Parmi eux, trois véritables officiers des gabelles ; deux malheureux (un cordelier et un procureur fiscal de village) accusés d’être gabeleurs puisqu’ils avaient des papiers à la main ; Monneins, commandant général de Bordeaux, un étranger dont on était méfiant ; cinq officiers de justice ; trois commis à des recettes fiscales ; trois marchands ; trois gentilshommes accusés de complicité avec les gabeleurs. Ces chiffres rapportés par Guillaume Paradin (1510-1590), religieux bourguignon, dans Histoire de notre temps, témoignent bien de la fureur aveugle des paysans révoltés. Cependant, ils font montre de logique en ne s’en prenant (techniquement) qu’à une catégorie institutionnelle précise qui résume pour eux tous les malheurs du temps.

L’animation : Fondamentalement, les révoltes paysannes, quand elles sont importantes, mettent en cause le noyau dur et relativement aisé (tout est relatif) de la communauté villageoise : autrement dit les laboureurs, les exploitants petits et moyens, et quelquefois les gros exploitant quand ils existent. Néanmoins, les paysans trouvent aussi leurs dirigeants parmi eux comme le mythique Jean-va-nu-pieds. 

Les jacqueries s’engagent dans l’assurance d’une victoire facile et prochaine. Les paysans croient en la bonté royale. Ces soulèvements sont souvent joyeux car plein d‘espérance : il ne faut pas y voir des révoltés désespérés et suicidaires. 

Le leadership des révoltes rurales pose problème : le village, en effet, est trop souvent tourné vers son propre nombril, le porche de l’église paroissiale étant, pour les membres de la communauté, l’ombilic de leur petit univers. Les rustres, quand ils ont affaire au monde extérieur, ont tendance à penser leurs leaders parmi ces médiateurs naturels que sont, vis-à-vis des forces étranges de la société dominante, les petits notables, les curés et aussi, quand ils ne sont pas en conflit direct avec les paysans, les seigneurs locaux. Dans tous les cas, la valeur militaire fait souvent défaut. Même en 1636/37, quand le tiers ou le quart du royaume est en rébellion, faute de coordination, les révoltes régionales restent isolées les unes des autres : c’est leur faiblesse et la raison de leur échec.

Nature de la révolte : Le type de soulèvement le plus connu, mais pas nécessairement le plus fréquent, c’est la révolte antiseigneuriale. Nous avons évoqué la révolte éponyme des Jacques en 1358. En 1789, la vieille hostilité des masses paysannes contre les seigneurie et les noblesses, se conjuguera efficacement avec les frustrations anti privilégiées des masses citadines. L’Ancien Régime et sa société d’ordre n’y résisteront pas.

Cependant, la lutte antiseigneuriale n’est pas, il s’en faut de beaucoup, l’élément le plus typique de la contestation paysanne. Pendant une très longue période, du XVe au XVIIIe  siècle, les paysans ont dirigé l’essentielle de leur mince activité militante (quand celle-ci existait) contre l’Etat et contre ses séides, chargés de collecter les impôts.  Eventuellement, par ricochet, ils se sont dressés contre l’armée royale, utilisée par le pouvoir pour la répression de ces révoltes antifiscales et antiétatiques. Une agressivité de ce type est fort logique : dans une société essentiellement paysanne, l’Etat est l’une des clefs de voute ou même quelquefois l’organe essentiel de la partie non-paysanne et dominante de ladite société. Cette dichotomie paysan/ non paysan, dominant/dominé, englobant/englobé, peut donc se traduire en luttes antiétatiques. La chronologie ci-dessus fournit de multiples exemples de soulèvements provoqués par l’annonce, avérée ou supposée, de l’introduction d’une nouvelle imposition, le plus souvent la gabelle. 

Il faut mentionner enfin les révoltes contre la ville. Celle-ci étant accusée de faire monter les prix par le marché noir, de donner asile aux receveurs des impôts et autres maltôtiers, d’être l’antre des rassembleurs de terres qui rachètent le lopin du pauvre monde, d’être la caverne des brigands qui, bien protégés par les murs de la cité, viennent de temps à autres faire des sorties et des raids contre les hameaux sans défense. Les premiers Croquants du Limousin et du Périgord en 1594 s’étaient portés contre leurs ennemis et exploiteurs habitants des villes de Périgueux et Bergerac.

 

D’une façon générale, à l’égard de ces éventuels ennemis de tous les bords - seigneuries, Etat, ville, haut-clergé - le village est fort capable de se battre alternativement ou même simultanément sur tous les fronts. Il pratique dans ces conditions une stratégie « tous azimuts «. 

Mais au total il n’y a pas de contestations véritables de la structure sociale, de l’organisation en trois états, ce ne sont que des troubles conjoncturels. Au contraire, dans la grande majorité des cas, l’ordre social consacré par le passé est considéré comme inaltérable. 

Il en ira autrement sous le règne de Louis XVI : les conditions de fonctionnement de la société d’ordres vont changer avec l‘effondrement du mythe du bon seigneur, les révoltes aussi. 

 

Conclusion développée

 

a) La nouvelle donne du XVIIIe siècle

 

Poussée démographique : La subite multiplication des hommes, au cours du deuxième quart du siècle, a augmenté de 30 à 40% la population du royaume. Rien ne contraste davantage avec la démographie sous Louis XIV que la démographie révolutionnaire des deux règnes qui suivent. Non que la natalité se soit accrue, mais la mortalité a reculé. Et notamment la mortalité des classes populaires, rurales ou urbaines. Il n’y a plus de crises de type famine accompagnées d’écroulement démographique qu’il faut parfois une demi-génération pour réparer. A la crise mortelle, a succédé la crise vénielle, la crise qui fait grâce de la vie mais diffère les problèmes en accumulation la population. Que s’interrompent les conditions climatiques meilleures du XVIIIe siècle et refrappent ces mortalités avec leurs séquelles économiques et sociales. 

Hausse des prix : Toute l’évolution économique du siècle, loin de travailler pour la masse des paysans, travaille au contraire contre elle à la fois par la réduction du pouvoir d’achat familial et par l’extension de la famille. Une hausse séculaire des prix recommença dès 1730, probablement avec la reprise de production des mines d’argent américaines. La stabilisation de la livre opérée en 1726 lui confère une valeur immuable pour un siècle (hormis l’épisode révolutionnaire des Assignats) et participe à ce mouvement de hausse des prix. Mais c’est surtout la surcharge d’hommes, née de la révolution de la mortalité, qui va faire pression sur les prix agricoles. L’agriculture de subsistance cherche à mettre en valeur des terres plus difficiles à travailler pour produire davantage mais à coût croissant articles alimentaires et matières premières agricoles entraînant dans une hausse généralisée tous les autres produits. 

Evolution de la mentalité paysanne : Ainsi tout contribue à faire évoluer la mentalité paysanne. La passivité séculaire fait place désormais à un réel désir d’affranchissement. Louis XVI doit alors faire face à des temps troublés.

Crise sociale latente : Le paysans disposant d’une récolte qui lui permet à la fois de vivre et de vendre est alors l’exception. Dans l’immense majorité des cas la récolte ne suffit pas à  apurer les besoins vitaux de la famille devenue pléthorique. Il faut vendre du travail pour acheter le complément de ration. Notre paysan s’est fait journalier, voiturier, maçon, tisserand : salarié. On connaît dès lors la courbe de sa condition. Les prix montent plus que le salaire. Le chômage rural tend à augmenter. 

 

b) Le règne calamiteux de Louis XVI

 

Le roi est confronté à une coïncidence fâcheuse : son avènement s’accompagne de calamités agricoles (en plus du déficit abyssal des finances publiques). 

L’alerte de la Guerre des Farines :  Les campagnes parisiennes, déjà très pénétrées par le capitalisme, sont le théâtre, isolé, de luttes de classes caractérisées entre riches laboureurs et pauvre manouvriers. C’est un type totalement nouveau de révolte paysanne en dehors de la société d’Ordres. La Guerre des Farines s’inscrit dans un contexte de retournement de la conjoncture. En effet, la longue période de hausse des prix est interrompue par la mauvaise récolte de 1774 qui engendrera cette « guerre «. Le 2 mai 1775, l’armée des « Jean-Farine «  est aux portes du château de Versailles. Il faut 25000 hommes à Turgot pour rétablir la situation. S’ensuit, depuis 1776 jusqu’en 1786, une phase de baisse des prix. Pour la paysannerie, cela correspond à une baisse des revenus alors que les prélèvements nobiliaires s’accroissent. 

La crise agricole : A une longue période de hausse des prix ont succédé depuis 1776 deux mauvaises récoltes. En 1788, à cause d’un excès d’humidité, la récolte de blé est d’un quart au-dessous de la moyenne. L’hiver 1789, à son tour, est trop rigoureux, et la nouvelle récolte de blé est médiocre. La crise est la même dans le domaine viticole et sylvicole. Ces récoltes déficitaires entraînent une brutale hausse des prix dont ne profite pas le petit paysan faute d’un excédent négociable alors que les prélèvements seigneuriaux et nature enrichissent davantage noblesse et clergé. La crise agricole de sous-production débouche sur une crise industrielle de sous-consommation et de chômage surtout urbain mais aussi dans l’artisanat rural. 

La crise sociale :  Les campagnards réagissent vivement à la cherté de ses années disetteuses. Protestations et émeutes naissent communément dans les petits centres ruraux avec le concours de tout le plat pays. Troubles qui traduisent entre autres une réaction contre les droits seigneuriaux. Ainsi dans de  nombreuses régions, les paysans refusent spontanément de s’acquitter des redevances seigneuriales et de la dîme. C’est la première fois que la révolte vise la société d’ordres en elle-même. 

 

c) La Grande Peur

 

La révolution parisienne du 14 juillet marque les esprits dans les campagnes. Chômage et disette jettent sur les routes des bandes de mendiants et de vagabonds. L’existence de ces bandes fait naitre la peur des  « brigands «. Contre leur présence, moins réelle que supposée, les villageois s’arment, font sonner le tocsin, battent la campagne et déclenchent la peur dans les communautés voisines. A cette peur s’ajoute l’inquiétude de voir émigrer les nobles, à qui l’on prête l’intention de ramener des troupes étrangères. C’est le « complot aristocratique «. Faute de trouver les « brigands «, les paysans excités se retournent contre les châteaux et les abbayes pour faire livrer et brûler les chartriers ou documents établissant les droits des seigneurs à percevoir les redevances féodales. En cas de résistance, on met le feu au château ou à l’abbaye. 

La nuit du 4 août, dans l’enthousiasme unanime, l’Assemblée nationale déclare entièrement détruit le régime féodal. En réalité, les décrets des 5 et 11 août font la distinction entre droits sur les personnes (mainmorte, servage, corvées et privilèges honorifiques) abolis sans indemnité, et les droits contractuels (cens, champarts, et rentes) déclarés rachetables. La féodalité n’a pas été totalement abattue, il faudra pour cela attendre la Convention. Mais la grande victoire, c’est la proclamation de l’égalité juridique et le changement majeur, c’est le passage définitif d’une société d’ordres à une société de classes.

 

La victoire de la Révolution ne peut donc pas faire oublier les multiples et sanglants échecs aux cours des trois siècles.

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