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Les sens et la connaissance.

Publié le 26/01/2011

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La sensibilité permet d’être en contact avec le réel, selon les cinq sens que sont la vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher et le gouter. Elle est aussi ce qui entretient de la façon la plus simple notre rapport au monde. Le réel ainsi se donne, et ce dès la naissance, sans que nous ayons à fournir le moindre effort. La sensibilité est donc une fonction de réceptivité brute et passive, tout autre procédé n’étant pas nécessaire. Cette fonction minimale est-elle pour autant suffisante pour connaître véritablement ce qu’est notre environnement ? Existe-t-il une différence entre un simple contact avec le réel et la connaissance ? Quelle est d’ailleurs la valeur de cette dernière par rapport à la sensation ? L’usage des sens apporte-t-il une assurance épistémologique validant toute perception comme instrument de connaissance ? Pour y répondre, il nous faut déterminer les différentes formes de connaissance, entre la subjectivité et l’objectivité, puis selon cette distinction, poser l’éventualité d’un lien suffisant et nécessaire entre les sens et la connaissance, nonobstant tout autre procédé, pour enfin s’assurer de la solidité de cette combinaison.

 

La connaissance sous différentes formes…

 

La connaissance existe sous différentes formes, selon la situation dans laquelle elle s’insert. Il y a tout d’abord les choses dont nous prenons connaissance par ouïe dire, ce qui ne nécessite aucune observation ni expérimentation. Le discours, l’immersion, le contact, les signes, sont suffisants ici pour connaître. Il s’agit de recevoir ce qui est dit ou fait par d’autres. Cette réception est d’ailleurs impérative, étant entendu qu’il est impossible à tout à chacun d’éprouver la totalité de ce qui est requis pour évoluer dans son milieu, ni de connaître la somme de ce que l’homme a pu produire ou vivre. Dans ce domaine, la parole reçue constitue une opinion, à laquelle certains philosophes reconnaissent la qualité de connaissance, comme Leibniz : « L’opinion, fondée dans le vraisemblable, mérite peut-être aussi le nom de connaissance ; autrement presque toute connaissance historique et beaucoup d’autres tomberont » (Nouveaux essais sur l’entendement humain – Leibniz). Dans cet essai, l’auteur s’oppose à John Locke, celui-ci affirmant que toute connaissance est issue d’une expérience sensible, et qu’en conséquence je ne puis connaître que ce je vis, que ce soit grâce aux sens à propos des objets extérieurs, ou par des opérations de l’esprit, autrement dit la réflexion, concernant la connaissance de soi. La connaissance par ouïe dire se distingue ainsi sur le plan épistémologique de toute approche strictement empiriste. Connaître sur la base de discours induit des représentations se substituant à la confrontation du sujet au réel, à l’expérience sensible. L’immersion également est une autre voie menant vers le savoir, en consistant à assimiler l’existant pour reproduire les façons de faire et d’être d’une population côtoyée. Le contact avec autrui est source d’enseignement, d’enrichissement, donc d’accroissement des connaissances, le tout étant de rester lucide par rapport à ce qui est reçu et de ne pas attribuer à la connaissance par ouïe dire un rapport absolu avec la vérité, comme l’avertit Leibniz : « Et l’on peut dire que celui qui aura vu attentivement plus de portraits de plantes et d’animaux, plus de figures de machines, plus de descriptions ou de représentations de maisons et de forteresses, qui aura lu plus de romans ingénieux, entendu plus de narrations curieuses, celui-là, dis-je, aura plus de connaissances qu’un autre, quand il n’y aurait pas un mot de vérité en tout ce qu’on lui a dépeint ou raconté ; car l’usage qu’il a de se représenter dans l’esprit beaucoup de conceptions ou d’idées expresses et actuelles le rend plus propre à concevoir ce qu’on lui propose, et il est sûr qu’il sera plus instruit, plus rompu et plus capable qu’un autre, qui n’a rien vu ni lu ni entendu, pourvu que dans ces histoires et représentations il ne prenne point pour vrai ce qui n’est point, et que ces impressions ne l’empêchent point d’ailleurs de discerner le réel de l’imaginaire, ou l’existant du possible » (Nouveaux essais sur l’entendement humain – Leibniz). Il faut donc être prudent avec les énoncés reçus lorsqu’il s’agit de leur reconnaître une valeur en matière de vérité. Ce qui est certain, c’est que la connaissance par ouïe dire nécessite l’usage des sens pour entendre ou voir. Le caractère d’objectivité de ce qui est transmis n’est par contre pas impératif dans ce cas. Mais il n’empêche que ce qui est reçu par d’autres contribue à la construction de l’esprit, prépare le champ pour accueillir la connaissance comme une vérité. C’est en quelque sorte une étape qui mène vers une démarche d’appréciation objective du réel et qui détermine pour la connaissance différents degrés la concernant, soit du général au plus étroit, fixant la vérité comme un étalon afin de distinguer ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas. Ainsi, pour ce qui est de la connaissance par ouïe dire, dont l’objet rappelons-le est de connaître un savoir-faire ou un savoir-être, la recherche de l’objectivité n’est pas le but. La subjectivité est d’ailleurs l’instrument le plus efficace pour absorber tout contenu livré par immersion. Ce type de connaissance ne pose donc pas de problème quant à savoir si les sens sont suffisants ou non pour connaître. Par contre, en ce qui concerne les acquis par le bais d’un système langagier, la prétention à l’objectivité est établie, notamment dans les domaines de l’enseignement et de la culture. Le discours a d’ailleurs une portée instructive en permettant de distinguer, via l’analyse, une chose par élimination de ce qui ne lui appartient pas. Discourir conduit à affiner la vue, à séparer, à identifier, soit à mieux percevoir et ainsi centrer l’objet de la connaissance. Le discours dispose également d’une valeur encyclopédique, de par l’organisation et la généralisation qu’il autorise en matière de diffusion des connaissances, contrairement à l’expérience sensible qui s’applique au cas par cas. Est-ce pour autant que le discours, à la différence de l’immersion, offre une garantie incontestable en matière d’objectivité ? Certes non, car le contenu de la parole transmise peut être imaginaire, ou illusoire, voire truffé d’erreurs, volontaires ou pas. Il s’agit surtout d’une connaissance acquise par opinion ou croyance : ce qui m’est dit devient une opinion une fois que j’y crois. La confiance joue alors un rôle primordial dans l’instruction et l’enseignement du fait qu’ils reposent sur le témoignage d’autrui. Mais cette confiance n’est possible qu’à condition d’estimer l’objet de la connaissance comme potentiellement expérimentable, ou à savoir qu’il ait déjà été confronté au réel. Ainsi, un travail de rapprochement entre ce qui nous est dit et ce que nous connaissons déjà, selon d’autres expériences connues ou vécues, entre également en ligne de compte quant à la crédibilité que l’on souhaite accorder à ce qui nous est transmis. Toujours est-il que les sens, en ce qui concerne le témoignage oral, se présentent comme l’ultime garant de la véracité des propos tenus. L’expérience sensible constitue par conséquent le socle pour ce qui est de qualifier d’objectif le contenu d’une connaissance instruite. Mais à ce propos, quand en est-il de l’objectivité ? Qu’est-ce qui la différencie de son contraire, la subjectivité ? Quelles sont les conditions requises pour dire d’une connaissance qu’elle est objective ?

 

L’objectivité a comme socle l’expérience sensible

 

Toute connaissance repose sur le lien entre l’objet, ce qui est à connaître, et le sujet, celui qui connaît. Une distance s’établit ainsi entre objet et sujet. L’objectivité nécessite une distinction suffisamment grande entre les deux agents, de façon à ce que seules les propriétés de l’objet soient constitutives du contenu de la connaissance, sans interférence du sujet. L’objectivité requiert donc distance, mais également indépendance. Ces conditions ne sont pas exigées concernant la connaissance par ouï-dire. L’immersion nécessite de la subjectivité, car il s’agit de s’immerger, donc d’entrer dans une relation étroite, éloignée de toute distanciation. L’expérience sensible est-elle alors exclue d’une démarche objectivant du fait de l’appartenance des sens par le sujet en tant que faculté ? Non, car tout énoncé prétendant à l’objectivité doit être validé par contact avec le réel. Et ce sont les sens, comme nous l’avons dit, qui permettent de réaliser ce contact. Ainsi, le discours et l’expérience sensible se complètent dans la recherche de la vérité, le premier autorisant la distance entre l’objet et le sujet, la seconde validant une proposition par confrontation avec le réel. Seule l’expérience sensible peut montrer ce qui existe réellement, car sinon il serait impossible de distinguer le réel de l’imaginaire. D’ailleurs, un propos peut être construit selon une cohérence et une logique implacables, sans pour autant être vrai. La conformité à la réalité n’est pas spécifique d’un raisonnement rigoureux. Il ne s’agit là que d’une étape, consistant à penser un lien entre une idée et le réel. La mise en relation effective est par contre du domaine de l’expérience sensible. Ainsi, comme Kant, il est possible de différencier la pensée de la connaissance. La pensée est intérieure et elle le reste, alors que la connaissance porte sur un objet extérieur. La métaphysique par exemple n’est pas considérée comme une connaissance car elle ne peut pas être éprouvée. Elle se maintient donc à l’état de pensée, en tant que représentation de ce qui est possible sans qu’aucune démonstration n’ait pu établir la réalité de cette possibilité. Il existe néanmoins une exception à ce principe défini qui est de qualifier comme connaissance ce qui peut faire l’objet d’une expérience sensible : les mathématiques. Elles sont une construction strictement rationnelle mais elles ne sont pas classables en tant qu’activité métaphysique. Leur nécessité s’exonère de toute confrontation avec le réel en se suffisant à elle-même. Cela n’empêche que des résultats mathématiques puissent êtres pris en considération dans des expérimentations sensibles, mais toutes ses conclusions n’ont pas besoin de validation pour disposer du statut d’objectivité. Les mathématiques tiennent ce caractère d’exception en tant qu’étude portant exclusivement sur l’universel, ce qui revient à leur assurer une certaine indépendance à l’égard du particulier, ce que nous dit Leibniz : « La force de la démonstration est indépendante de la figure tracée, qui n’est que pour faciliter l’intelligence de ce qu’on veut dire et forcer l’attention ; ce sont les propositions universelles, c’est-à-dire les définitions, les axiomes et les théorèmes déjà démontrés qui font le raisonnement et le soutiendraient quand la figure n’y serait pas » (Nouveaux essais sur l’entendement humain – Leibniz). Ainsi, les mathématiques n’ont pas besoin de la forme pour exister. Leur point de départ correspond à des axiomes, soient des vérités qui s’imposent par elles-mêmes selon des constructions de l’esprit et qui ne sont nullement expérimentables, et des définitions, c’est-à-dire des conventions adoptées et qui engagent les travaux à venir. Le raisonnement mathématique s’inscrit donc dans l’abstraction pure, sans qu’il existe d’équivalent naturel. Il travaille des principes, suffisamment généraux, pour que chaque cas particulier, soit l’existant, s’y inscrive. Le réel confirme ainsi ce que les mathématiques peuvent produire, mais cette confirmation n’est pas conditionnelle pour leur attribuer toute la valeur qui leur revient en tant que connaissance. Les mathématiques sont une science n’ayant pas besoin de l’expérience sensible pour exister et progresser, et cela en toute objectivité. Par contre, pour ce qui est des autres matières, les conclusions sont objectives à condition d’être confirmées par une expérience sensible. Mais les sens sont-ils toujours suffisants ? N’y a-t-il pas certaines précautions à prendre quant à les intégrer dans une démarche scientifique ? La vérité est-elle toujours établie sur la base d’un contact sensible avec le réel ?

 

Les sens ne sont pas toujours suffisants pour garantir toute objectivité

 

La capacité des sens à entrer en contact avec le réel n’est pas suffisante dès lors que l’objet échappe aux facultés sensorielles dont le sujet dispose. Cette limite s’applique essentiellement en cas d’investigation portant sur l’infiniment petit ou l’infiniment grand. Il s’agit là de domaines d’étude qui dépassent nos dispositions naturelles quant à la perception du réel. On peut très bien connaître différentes parties du monde, mais il est impossible à l’être humain d’avoir une vision du monde dans sa globalité, en tant que tout. Nos connaissances sont ainsi fractionnées. Et l’homme est incapable, en s’appuyant uniquement sur ses ressources physiologiques, de voir l’infiniment petit. Faut-il conclure que ces deux dimensions de l’infini sont parfaitement insensibles pour que nous ne puissions pas les aborder dans l’immédiat et ce directement ? Pas tout à fait, car sinon l’infini aurait échappé à toute représentation humaine. En conséquence, le réel se compose aussi de matières ni sensibles, ni insensibles, mais quasi-imperceptibles. Nous les sentons à peine, ou peut-être inconsciemment, parce qu’à défaut il nous serait impossible de lier toutes les parties du réel qui s’ouvrent à notre connaissance. Autrement dit, il manquerait quelque chose pour envisager le monde dans toute sa cohérence. Les sens ainsi ne sont pas suffisants pour saisir la totalité de ce qui se présente aussi bien devant nous, qu’au-dessus ou en-dessous. L’inconscient participe également à toute construction intellectuelle, et la connaissance ne peut s’y soustraire. Sauf que ce qui est inconscient ne peut être expérimenté, tout au plus peut-il être révélé dans l’hypothèse que la psychanalyse soit efficace. Ainsi, une partie de nous-mêmes nous échappe, y compris dans une démarche attentive et concentrée s’essayant à la découverte d’une vérité objective. L’imperceptible est donc au cœur de la perception, tout comme l’invisible est mêlée au visible. Une chose qui apparaît ne se révèle jamais dans sa totalité. On ne la voit pas tout entière, s’agissant seulement d’une apparence cachant ce qui est derrière elle et en elle. C’est d’ailleurs le propre de la perception que de délimiter un objet, d’opérer un tri pour mieux distinguer. La distinction par les sens ne peut donc être exhaustive. Il lui faut un supplément si l’on veut s’accorder sur la détermination d’une réalité dite objective, qui par définition ne peut se satisfaire de ce qui est incomplet. Ce complément supplétif correspond à la méthode. Il s’agit d’attribuer aux sens des accessoires pour être en mesure de percevoir la chose dans sa totalité. Il est donc question d’ajouter une démarche méthodique, laquelle s’appuie sur un raisonnement définissant l’étendue et les moyens associés. Le travail scientifique ne se fait pas au hasard. Il prend pour point de départ ce qui est possible, lequel se traduit sous la forme d’hypothèses recensées et synthétisées dans une théorie. Se constitue ainsi un socle sur lequel il est admis de s’appuyer pour déterminer les outils dont il faudra disposer quant à l’expérimentation. La raison se mêlent donc aux sens, afin d’orienter l’expérience sensible et aussi éviter, grâce à une méthode, de tomber dans le piège d’une illusion que les sens seuls ne peuvent contredire. Il n’empêche que les instruments observant, en faisant partie intégrante de l’expérience sensible, influent sur la qualité d’observation. C’est ainsi qu’Heisenberg, physicien allemand du XXème siècle et précurseur de la mécanique quantique, a émis un principe d’incertitude reposant sur l’interférence des propriétés attachées aux moyens employés sur le rendu de ce qui est observé. Dans le domaine de l’infiniment petit, il n’est pas envisageable d’observer à la fois la vitesse et la position d’un électron car le microscope, en armant l’expérience sensible, utilise pour observer des particules dont la taille est proche de ce qui est observé, donc ajoute ses propriétés à celles de la chose expérimentée. La distance entre l’objet et le sujet s’en trouve alors altérée. La méthode, au-delà de l’erreur, ne garantit pas une assurance absolue quant à son efficacité et peut ainsi créer une illusion. Une fois encore, c’est la raison qui corrige, même si elle ne parvient pas à une conclusion définitive.

L’insuffisance des sens peut également être imputable au sujet. La connaissance n’est pas simplement le fait de reconnaître une chose. Elle tient également sur l’identification des causes justifiant les effets observés. Au-delà du comment, il s’agit de comprendre et de connaître le pourquoi, de sorte que ce qui est connu objectivement soit applicable à l’ensemble des cas particuliers impactant l’objet considéré. Mais pour déterminer un lien de causalité, la sensibilité n’est pas requise. Il faut en appeler à des fonctions de l’esprit pour identifier, analyser, comparer et généraliser. Ce travail intellectuel s’appuie sur la mémoire, l’imagination, le jugement, le raisonnement, soient des procédés bien différents de la sensibilité. Il faut, en plus de sentir, concevoir la chose, produire des idées, comme l’indique Descartes : « J’appelle généralement du nom d’idée tout ce qui est dans notre esprit lorsque nous concevons une chose, de quelque manière que nous la concevons » (Lettre à Mersenne de juillet 1641 – Descartes). Il existe donc quelque chose dans notre esprit, des idées qui échappent à la sensibilité, et qui sont pourtant nécessaires à la connaissance.

 

 

La connaissance ne peut être objective qu’en respectant certaines conditions, qui sont la distance et l’indépendance entre l’objet et le sujet. Cependant, l’objectivité exige aussi de confronter au réel ce qui est énoncé, et c’est là qu’intervient l’expérience sensible. Seulement celle-ci doit être armée, car les sens ne sont pas suffisants pour percevoir la totalité de l’objet observé. Une méthode est donc nécessaire, laquelle est déduite d’un raisonnement pour être efficace. La raison se mêle ainsi aux sens quant à affirmer la vérité d’une théorie. Mais en amont du procédé d’expérimentation, il existe dans l’esprit des fonctions permettant de donner à l’observation toute la dimension nécessaire pour aboutir à une connaissance objective, laquelle n’est pas simplement un constat mais aussi une conclusion sur le lien entre cause et effet. La causalité nécessite une capacité abstractive chez le sujet, en plus d’une prise de contact avec le réel par les sens appuyée par une démarche méthodique. Ainsi, un autre débat s’ouvre : ces facultés de mémoire, d’imagination, de jugement et de raisonnement sont-elles innées, comme le prétendent les rationalistes, ou au contraire nous sont-elles fournies au gré des expériences selon les empiristes, redonnant ainsi aux sens toute leur prédominance sur le chemin de la connaissance ?

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