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Lesage, Turcaret, Acte 2, Scène 4

Publié le 16/10/2010

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INTRODUCTION Le public a apprécié, dans les scènes précédentes, les talents de Frontin. Missionné par son maître le chevalier, il a menti à la Baronne dans le but de lui soutirer de l’argent (Acte. I, Sc.2), soutenu le renvoi de Marine (Acte.I, Sc.8) et se retrouve ici face à Turcaret : la Baronne a en effet eu l’idée de le " donner " (c’est son mot) au traitant pour remplacer Flamand, son ancien laquais un peu naïf. C’est une façon a priori rusée d’avancer ses pions dans l’intérêt de voler Turcaret. Mais Frontin n’est pas un pion : il fait preuve d’un vrai talent de comédien, face à un Turcaret. Le face-à-face du maître suspicieux et du valet naïf : en embauchant Frontin, Turcaret signe sa ruine! I - Le numéro du valet A. La comédie de l’innocence C’est le numéro préféré des valets car il permet d’écarter tous les soupçons et de « travailler » tranquillement. Frontin est d’ailleurs très crédible en niais. On remarque qu’il parle peu (rare, chez lui), que sa première réplique est tardive et interrogative et qu’il appui son ignorance : « pas encore » (l.15), « j’apprendrai » (l.16), « c’est ce mot-là que je cherchais » (l.29). De même, il mime la bonne volonté d’un commis impatient de travailler : « j’apprendrai cela fort facilement » (l.16), « Oh oui, monsieur, je sais même faire... » (l.29). Le tout ponctué de marques de déférence dont l’effet comique va croissant : " monsieur " (présent dans 3 répliques sur 7), dans la bouche de Frontin, a presque valeur d’antiphrase ironique. (Antiphrase = dire le contraire de ce que l’on pense.) B. Une insolence bien réelle L’attitude humble de Frontin va en contresens avec le contenu de certaines de ses répliques, qui sont irrespectueuses et prouvent l’idiotie de son " nouveau maître " : ces mots à double entente sont destinés à la Baronne et au public qui sont du côté du valet dans cette scène. On relève déjà l’ambiguïté de l’expression comptable « parties doubles » (l.20), qui implique l’idée de tromperie. La richesse de Turcaret est fondée sur une fraude qui consiste à empocher l’impôt dû à l’État, il profite d’une marge illicite qui est justement la " partie double " évoquée par Frontin, celle qui sera cachée quand Turcaret rendra officiellement des comptes. La cinquième réplique est très insinuante et s’apparente à la diffamation puisque Frontin affirme que Turcaret commet des faux en écriture « oblique » (l.23) : « une écriture que vous connaissez /.../ qui n’est pas légitime ». L’astuce est bien sûr de laisser Turcaret avouer, à son insu, ses pratiques frauduleuses et c’est ce qu’il fait, il ne conteste pas ! Le coup réussi puisque Frontin paraît niais tout en étant ingénieux. Il sait profiter de l’aveuglement traditionnel des maîtres, incapables de distinguer les apparences de la réalité. II - Fatuité et balourdise du maître (prétention et sottise) A. Le bon maître est paternaliste (autoritaire et bienveillant) C’est une nouvelle facette du personnage, qui contribue à le rendre ridicule car sa domination faussement bienveillante échoue. Noter les apostrophes condescendantes " mon ami "(l.9), les questions simplifiées (ses quatrième et cinquième répliques) et l’habitude de parler de son futur commis, en sa présence, à la Baronne : « Il paraît un peu innocent » (l.5), « Il veut dire de la bâtarde » (l.28), « Ce garçon-là, madame, est bien niais » (l.30). B. Le bon maître est ingénieux Turcaret insiste sur l’ignorance de Frontin (« innocent » (l.5), « ingénuité » (l.30), « niais » (l.31)) pour se mettre en valeur auprès de la Baronne, pour " faire le coq ". L’embauche de Frontin se transforme en entreprise de séduction où la vantardise (« J’ai le coup d’½il infaillible » (l.8), « Hors moi et deux ou trois autres, il n’y a parmi nous que des génies assez communs » (l.35) alterne avec la fausse modestie « voilà toute notre science » (l.40). Turcaret conclut avec la certitude comique de faire une " bonne affaire " « tu es à moi » (l.42). C. Mais le bon maître est un maître dupé Les affirmations de Turcaret sont démenties par ses actes. Malgré son " coup d’½il infaillible " et son génie hors du commun, il tombe dans les pièges tendus par Frontin et révèle ce qu’il aurait fallu tenir caché. Dès la première question, que Frontin l’oblige à développer « Qu’appelez-vous des principes ? » (l.11), le traitant s’oublie et parle trop : « on peut empêcher les fraudes ou les favoriser » (l.13). Idem pour les " parties doubles " et l’écriture " oblique ", c’est-à-dire " bâtarde ". Tous ces mots suggèrent des escroqueries. On verra d’ailleurs Turcaret à l’½uvre en III, 7. Mais il se tend lui-même des pièges. Dans sa plus longue réplique, censée louer son statut de traitant, il avoue malgré lui la réalité de son métier : " prendre ce que le monde a de meilleur ". Au public de traduire " prendre " = " voler " et " meilleur " = " précieux ". Turcaret espère séduire mais se rend ridicule. Sa fatuité (prétention) sacre le règne du valet rebelle. III - Qui est donc le maître ? A. Turcaret ? Tout prouve le contraire : ridiculisé par une femme (la Baronne) à la scène précédente, il est cette fois la dupe de son futur valet. B. La Baronne ? Placer Frontin aux côtés de Turcaret est son idée. Elle a des répliques efficaces fondées sur l’ironie, l’humour noir et la litote (dire moins pour faire entendre plus). La Baronne prouve de nouveau ses talents de comédienne puisqu’elle joue la complicité des maîtres (des puissants) contre le valet (le faible, l’ignorant). Mais une fois placé, Frontin fera cavalier seul : ni le Chevalier, ni la Baronne, ni Turcaret n’auront prise sur lui ! C. Frontin ? Celui qui claironne ironiquement : « Je vous regarde donc, monsieur, comme mon nouveau maître » (l.44) est le plus habile de tous. Il est le maître du langage puisqu’il force Turcaret à trop parler. A ce moment, il bénéficie encore de la sympathie du public même s’il ne semble pas un défenseur acharné de la morale. Le personnage qui joue le mieux la servitude est celui qui s’en joue le plus, faisant un pied de nez aux maîtres qui se croient omnipotents. Le génie du personnage est de dévoiler tous ses talents à ceux qui en seront les victimes. Le " vainqueur " du passage est vite désigné : c’est Frontin, qui illustre ici le sens de son prénom, " effronté ". Scène comique et grave. C’est le moment où Frontin se désolidarise des autres personnages pour tirer seul les ficelles. En fait, au moment même où on le voit multiplier les maîtres (le Chevalier, la Baronne, Turcaret), il se libère de chacun d’eux pour ne plus obéir qu’à ses intérêts personnels.

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