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Lesage, Turcaret (1709) : Acte III, scène 7. "Turcaret à l'oeuvre"

Publié le 21/07/2010

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Explication    Chaque personnage dispose d’une scène au moins où il peut faire la preuve de " talents ", en général condamnés par la morale ou la justice. Dans cette scène, Turcaret est au sommet de son art : ridiculisé jusque là, il acquiert un pouvoir qui le rend d’autant plus effrayant qu’il en jouit. Peinture réaliste du monde des finances et de son impitoyable maître, ce passage parvient pourtant à faire rire le public.    I - Le monde des finances    A. L’argent contre les sentiments  Les deux hommes sont dépourvus de sentiments et n’agissent qu’au nom de l’argent. La bonté est ridiculisée : " Trop bon, trop bon ! Eh ! pourquoi diable s’est-il donc mis dans les affaires ? " La pitié est repoussée : " Papier perdu, lettre inutile ". Quant à l’amour conjugal, il est devenu chantage pour les anciens époux: " Elle ne s’en retournera point qu’elle ne soit payée ". La nature humaine paraît rongée par l’argent, qui impose une nouvelle hiérarchie : seul a du pouvoir celui qui est riche.  CCL I : Une humanité cynique, gouvernée par ses intérêts et non par ses émotions. Le règne de l’avoir et non de l’être.    II - Portrait du financier    A. De la réalité à la scène  Dans les actes précédents, Turcaret ressemblait aux personnages caricaturaux de Molière. Pour cette scène " technique ", Lesage s’est inspiré de la réalité. Plusieurs modèles ont existé, parmi lesquels le financier Samuel Bernard. D’origine modeste, il est anobli après son entrée dans les affaires. " Banquier de la cour ", il prêta des sommes considérables à Louis XIV et à Louis XV. En l’échange, bien sûr, de preuves publiques de reconnaissance. L’autre financier célèbre est Nicolas Desmarets, neveu de Colbert qui devint contrôleur général des Finances de 1708 à 1715 : on raconte que sa fortune était fondée sur des spéculations inouïes. Turcaret n’est pas une caricature : au contraire, Lesage décrit avec réalisme les milieux financiers de l’époque.    B. Turcaret tout-puissant  Face à son commis et à ceux qui dépendent financièrement de lui, Turcaret jouit de son pouvoir décisionnaire. Ses interjections et ses intonations (" Eh bien ! ", " Quoi ?, ", " Papier perdu, lettre inutile ", " Non, parbleu! "), ses injonctions (" Allez me le chercher ", " Vous lui porterez "), l’abondance du " je " (" Je ferai ", " je le donnerai ", " J’agirais ", " je mériterais ", " je lui ferai ", " je serai ") le prouvent.  CCL II : Turcaret révèle son insensibilité, son mépris pour ceux qui ne savent pas les affaires. Et démontre aussi ses talents malhonnêtes.    III - Une scène de comédie    A. M. Rafle, ou la mauvaise conscience du traitant  Ce commis a été évoqué en III 4 et Turcaret a tout fait pour s’en distinguer : il le traite de " fripon " et prétend l’avoir chassé. De fait, ses affaires avec M. Rafle ne sont guère avouables : c’est la face cachée du métier. Or ce même personnage revient en III 6 et 7, qui plus est chez la Baronne. Effet comique du retour de l’indésirable. Il est en effet le témoin des manigances du traitant. A noter qu’il a, lui aussi, un statut de valet (= commis), mais de type servile, impatient de rendre service à son maître et de flatter ses défauts.    B. Une scène bien réglée  Évoquer des manipulations financières est a priori fastidieux. Pourtant, Lesage a construit une scène très animée. Comique de geste tout d’abord : M. Rafle plonge mécaniquement le nez dans son bordereau à plusieurs reprises, il fait une fausse sortie (" s’en allant et revenant "). Les mots aussi ont des effets comiques. M. Rafle s’arrange pour ménager le suspens : " Il lui est arrivé un malheur " / " Quoi ? ", " J’oubliais la principale affaire " / " Qu’est-ce que c’est que cette principale affaire ? " Enfin, il n’hésite pas à mentir en parlant des " cinq mille francs qu’un honnête serrurier de /sa/ connaissance a amassés par son travail et par ses épargnes ". Au public de saisir qu’il s’agit sans doute d’un cambrioleur habile qui cherche à placer au mieux son butin.    C. L’irruption de l’inattendue  Turcaret perd sa superbe quand il apprend " la principale affaire " (curieux vocabulaire !) qui amène M. Rafle : l’arrivée de Mme Turcaret à Paris. D’un coup, il change d’attitude : " Parlez bas, monsieur Rafle ". L’amusant est que cet homme, qui a repoussé toute émotion dans les négociations financières, s’affole à l’idée de croiser son épouse (" Oh ! ventrebleu ! "). Il a fait croire à la Baronne qu’il est veuf. De crainte que sa romance avec elle tombe à l’eau, il paye sur le champ une partie de la pension de sa femme (" cette créature-là "), et sans même discuter : " Vous lui porterez dès aujourd’hui les cinq cents pistoles ". Ressort comique et dramatique, l’arrivée impromptue de Mme Turcaret est une menace et contribue à rendre le traitant toujours plus ridicule : gonflé de puissance au début de la scène, il la termine affolé ! D’autant plus que Mme Turcaret était accompagnée d’un " jeune seigneur dont le visage ne m’est pas tout à fait inconnu " (= le Marquis). Lesage prépare déjà des retrouvailles tumultueuses.  CCL III : Des effets comiques, dans une scène qui aurait pu être abstraite et compliquée.    CCL : " La " scène de Turcaret tourne court. Effrayant de cynisme et de cupidité au début, il se trouve de nouveau en situation d’amant et de mari ridicule à la fin du passage. Il est la cible de Lesage, qui s’amuse ici à dévoiler les secrets des traitants de la Ferme Générale. On comprend que ceux-ci aient tout fait pour l’en empêcher !

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