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Lettre 141, Les Liaisons Dangereuses, Laclos, ANALYSE

Publié le 24/11/2014

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liaisons dangereuses
Lettre CXLI p. 417, de « Un homme de ma connaissance… » à la fin de la lettre.   Introduction :   Situation : le XVIIIe s, Laclos, le roman par lettres, l’intrigue des Liaisons D. (rapidement). Juste avant ce texte :   La tension est en train de monter entre Valmont (V) et la marquise de Merteuil (M) : Valmont veut prouver à M qu’il n’est pas amoureux de Mme de Tourvel, afin de préparer M à lui céder – il  le croit au reste sincèrement ; M lui répond qu’il est amoureux, et n’est pas convaincue. Puis, elle laisse une lettre de V (CXXXVIII) sans réponse : V s’en irrite, écrit une nouvelle lettre (CXL), où il le lui dit, puis lui parle de Cécile, mais par quelques formules, laisse entendre que seule Mme de T l’intéresse (les deux lettres sont distantes de six jours). La réponse de Mme de M (L CXLI,  dont est extrait le texte) est froide et agacée ; après avoir montré à Valmont combien il s’aveugle, et combien elle est offensée par la préférence marquée qu’il donne à Mme de T, M lui raconte une petite histoire, qui contient une lettre fictive, et  est une invitation à rompre.               Problématique : PB : la lettre a un double objectif, convaincre Valmont de l’envoyer, et porter un coup mortel à Mme de Tourvel. Il s’agit donc de voir comment Mme de Merteuil, en manipulant Valmont, tente de remplir ce double  objectif.               Plan : cette lettre scelle le destin de trois personnages, Mme de Merteuil, Mme de Tourvel et Valmont. Je propose donc de voir l’un après l’autre la manière dont chacun d’eux apparaît dans cette histoire, en lien avec ce qu’il est dans le roman.  D’où les trois parties :   I, Mme de Merteuil,  manipulatrice experte. II Mme de Tourvel, victime sacrifiée. III Valmont, amant incertain et manipulé.     I Mme de Merteuil   1)      L’amie « généreuse » de la lettre se comporte comme Mme de Merteuil : l. 16-18 : « cet homme avait une amie qui fut tentée un moment de le livrer au  public en cet état  d’ivresse … Mais pourtant, plus généreuse que maligne… »   cf lettre V : « … rougissez-vous-même et revenez à vous. Je vous promets le  secret. »  Elle veut « tenter un dernier moyen » (l.21) pour cet homme qui « passait ainsi sa vie, ne cessant de faire des sottises. » (l.15). De même Mme de Merteuil représente-t-elle V souvent comme irréfléchi, et prétend-elle raisonner à sa place : Cf Lettre V : « Amie généreuse et sensible, j’oublie mon injure pour ne me soucier que de votre danger ; et quelque ennuyeux qu’il soit de raisonner, je cède au besoin que vous en avez dans ce moment. » L CXXXIV : » »Vous êtes bien comme les enfants… Est-il donc généreux de me laisser supporter seule tout le fardeau de la prudence ? » L. CLII : « Eh bien, je vais raisonner pour vous… »        2)      Cette petite histoire, apparemment légère, s’insère à un moment extrêmement tendu du roman, dans une lettre très froide de Mme de Merteuil. Juste avant d’introduire son histoire, M menace Valmont de lui répondre, définitivement sur ce qui les unit (La question de V, qu’elle cite, était «Y a-t-il encore quelque intérêt commun entre vous et moi ?») – c’est-à-dire, de briser tout lien intime avec lui, et de  rompre le pacte selon lequel elle doit se donner à lui. Elle feint de quitter le sujet, par l’antiphrase « je n’en veux absolument plus parler », au moment même où elle indique à V qu’elle exige qu’il rompe, et lui indique comment. Les phrases par lesquelles elle introduit son histoire sont des antiphrases - communes dans le langage poli : elle signale en fait à Valmont l’ « attention » qu’il doit prêter à cette histoire.   3)      A la fin de  la lettre, M prend deux congés de V : à la fin de l’histoire, « Jusque-là, adieu tout simplement… » et après la réponse sur la fausse couche de Cécile, où elle en profite pour se moquer de Valmont, « Bonsoir, Vicomte. » Reprendre la parole aussi vite après un adieu est, comme au début, une légèreté jouée. Mais Mme de M. a annoncé son ultimatum – le refus de céder à V, qui impliquerait la fin de leurs relations. Mme de Merteuil se maintient donc toujours dans un ton ambigu, rempli d’ironie – mais ici, le message est clair. Ce double congé est une manière de marquer deux fois de la distance, par la gravité de l’adieu, et par la brusquerie sèche du « Bonsoir, Vicomte.» Il y a là un message d’hostilité – et une maniipulation pour pousser Valmont à rompre. Conclusion partielle : Mme de Merteuil est donc ici très intéressée, malgré son apparent détachement. Ses relations avec Valmont se jouent ici, et elle tente une dernière manipulation, par laquelle elle compte triompher de Valmont lui-même, comme elle le lui dit dès qu’elle apprend qu’il a rompu (Lettre CXLV).     II Mme de Tourvel, victime sacrifiée :   1)      Mme de Merteuil parle peu de la femme aimée dans cette histoire : elle est simplement « une femme qui lui faisait peu d’honneur. » Malgré l’euphémisme (= une femme ridicule), c’est le même point de vue que celui qu’elle donnait sur Mme de Tourvel dans la lettre V « Vous, avoir la Présidente de Tourvel ! Mais quel ridicule caprice ! … Qu’est-ce donc que cette femme ? etc » Cependant, par son portrait  violemment moqueur, M s’était attiré une réponse de V, qui était un éloge vibrant d’amour de Mme de Tourvel. Elle ne recommence pas la même erreur,  et passe très vite sur cette femme.   2)      La lettre suggérée par Mme de Merteuil est d’une grande violence, dès le début – Mme de Merteuil la décrit ainsi dans une lettre suivante (CXLV) : « Ah, croyez-moi, Vicomte, quand une femme frappe dans le cœur d’une autre, elle manque rarement de trouver l’endroit sensible, et la blessure est incurable. » Elle ménage ses effets par un crescendo dans l’humiliation : d’abord, l’ennui ; puis la fin de l’amour de Valmont ; puis le fait qu’il l’ait trompée ; puis, qu’il « aime éperdument » une autre femme (ce qui est  plus grave qu’une tromperie) ; enfin, en l’invitant à choisir un  autre amant, c’est son amour à elle qu’il nie – montrant qu’il n’en a rien reconnu (Mme de Merteuil tombe juste : Valmont, dans la lettre suivante, envisage lui-même cette hypothèse : Lettre CXLIV : « je compterais pour rien tous mes autres triomphes, si jamais je devais avoir auprès de cette femme un rival préféré. ») ; enfin, avec l’annonce qu’il pourra la reprendre, c’est sa personne même qui est niée, et qui devient le simple objet des caprices de l’homme. Tout cela est dit sans aucune périphrase, ni atténuation ; des raisons fausses ou grandiloquentes, guère crédibles, et qui ne veulent pas être crues, sont avancées – « j’ai eu autant  d’amour que toi de vertu » ; « ton impitoyable tendresse » ; « la Nature n’a accordé aux hommes… » ;  « Ainsi va le monde… » : la lettre veut humilier Mme de T en lui faisant sentir que sentir que son amant a pu la croire assez inconsistante pour admettre cela. Enfin, tout cela est dit avec une familiarité ignoble : « Mon  ange », au début et à la fin, où le surnom d’amour est réduit à  celui qu’on pourrait donner à une femme facile, qu’on prend, délaisse et reprend comme on veut – pour abîmer le soouvenir de Valmont  jusque dans ses tendresses. C’est la seule lettre où  Mme de T est tutoyée  - ce qui reprend par écrit la familiarité des tête-à-tête amoureux, pour la  salir également.   3)      Mais le procédé le plus marquant est la répétition, à la fin de chaque paragraphe, du refrain « Ce n’est pas ma faute ». Ainsi, l’auteur de la lettre ne laisse aucune prise à une réponse : on ne discute qu’avec quelqu’un qui assume ses actes ; on ne discute qu’avec une personne qui réfléchit, pas avec quelqu’un qui répète de façon mécanique une phrase. C’est une manière de dévoiler insolemment  le caractère formel et vain des arguments. Non seulement ils sont violents, mais ils sont sans importance, puisque V  n’est pas présenté comme responsable de ses actes. D’où l’humiliation,  pour Mme de T, de s’être donnée à un homme qui à la fois nie tout ce qu’elle est, à la fois, apparaît devant elle, délibérément, comme sans consistance. Ainsi est parachevée la mauvaise foi dans cette lettre.       Conclusion partielle : Mme de Tourvel, pour laquelle Mme de Merteuil n’a pas plus de considération que dans le reste du roman, est donc humiliée au plus profond par cette lettre, qui nie tout ce qu’elle est, et tout ce que Valmont est pour elle.   III. Valmont, un amant aveugle et manipulé :   1)      Valmont est supposé s’identifier  au héros de cette histoire : « Un homme de ma connaissance s’était empêtré, comme vous … » Surtout : la lettre est une réponse  indirecte à Valmont : l’expression « Ce n’est pas ma faute » qui en fait le cœur est empruntée à Valmont lui-même : L. CXXXVIII, début : « Non, je ne suis pas amoureux, et ce n’est pas ma faute si les circonstances me forcent d’en jouer le rôle. » Valmont s’autorisait ainsi à se comporter comme un amoureux, ce qui blesse M.  Elle lui répond en faisant de lui, de l’homme dont « ce n’est pas la faute » un portrait humiliant, qui a pour elle le double avantage de blesser Valmont, et de le mettre dans la posture où il est le plus aisé à manipuler, celui du vaniteux rempli de l’idée de sa réputation.   2)      Le personnage de la lettre est un libertin rempli de contradictions, lucide, mais faible : « Mais quoiqu’il en rougît, il n’avait pas le pouvoir de rompre. » Ce n’est pas exactement  l’impression qu’on a de V dans ses lettres, mais c’est ainsi que M feint de comprendre son attitude - pour l’humilier, et suggérant que d’autres pourraient le voir ainsi, le pousser à rompre : cf Lettre CXLV,p. 424-425 : « Vous l’aimiez comme un fou : mais parce que je m’amusais à vous en faire honte, vous l’avez bravement  sacrifiée. Vous en auriez sacrifié mille plutôt que  de souffrir une plaisanterie.  Où nous conduit pourtant la vanité ! » Le ridicule qu’il risque, et dont le sauve son amie, est bien celui que risque Valmont : « Il avait bien le bon esprit de savoir que, tôt ou tard, cette aventure lui ferait tort. » Cf lettre CXIII, début : « Je crois devoir vous prévenir, Vicomte, qu’on commence à s’occuper de vous à Paris… » Il y a donc dans cette petite histoire un nouvel avertissement.   3)      L’amoureux de la lettre n’est pas Valmont, mais le personnage que Valmont  joue devant Mme de Merteuil.. « Je m’ennuie aujourd’hui » ; « quatre mortels mois » - alors qu’au contraire, Valmont n’avait jamais rien goûté de tel. Il l’a trompée, non parce que « ton impitoyable tendresse m’y forçait», mais parce que les femmes avec lesquelles il la trompait (Cécile, Émilie) n’existaient quasiment pas pour lui, et que, par vanité, il n’avait pas changé son mode de vie. Au contraire, la tendresse de Mme de Tourvel le ravit. Si « J’ai eu juste autant d’amour que toi de vertu, et c’est sûrement beaucoup dire… » Au  contraire, Mme de T n’est pas devenue une débauchée, et jusque dans la faute, elle continue  à se rattacher au système de valeurs qui était le sien (Cf ses lettres à Mme de Rosemonde). C’est justement ce que Valmont voulait  (lettre VI) et ce que Mme de Rosemonde comprend très bien (Cf la lettre CXXX ; notamment : « …une foule de vertus peut racheter une faiblesse. »). Et l’amour de Valmont n’a pas cessé – cf la lettre CXLV) Conclusion partielle : Cette lettre illustre doublement le propos de Mme de Merteuil, un peu plus haut dans la lettre : « « …jamais vous n’êtes ni l’amant ni l’ami d’une femme, mais toujours son tyran ou son esclave. » Ici, Valmont est le tyran de Mme de Tourvel, et l’esclave de Mme de Merteuil ; plus tard, lorsqu’il voudra la forcer à céder, il changera de position, et tentera à nouveau de devenir le tyran de Mme de Merteuil.     CONCLUSION :             Cette lettre constitue l’avant-dernière étape dans la montée de la tension entre Valmont et Mme de Merteuil, et l’événement décisif, qui amènera à la guerre entre eux.             L’anecdote contée, légère apparemment, s’attache à un seul des traits de caractère de Valmont, sa vanité. Or, c’est justement celui-là qu’il met en avant face à Mme de Merteuil ; c’est ce qu’il veut faire valoir dans le monde de sa personnalité contradictoire (libertin, et amoureux) ; là est la faille par où il peut être manipulée. La lettre de Mme de Merteuil réécrit toute l’intrigue de Valmont avec Mme de Tourvel, afin de la présenter sous le jour favorable à la manipulation qu’elle tente, et en même temps, à blesser mortellement Mme de Tourvel. Elle méconnaît complètement qui est Mme de Tourvel, et partiellement, qui est Valmont. L’effet sera complet : Valmont envoie la lettre ; Mme de Tourvel rentre au convent pour y mourir. Mais en rompant ainsi, Valmont  a été poussé dans ses retranchements, d’où l’extrême tension et la violence avec laquelle il réclame à Mme de Merteuil la nuit qu’il croit lui être due. De ce refus, viendra la perte des deux partenaires devenus ennemis, et le dénouement du roman.    
liaisons dangereuses

« propose donc de voir l'un après l'autre la manière dont chacun d'eux apparaît dans cette histoire, en lien avec ce qu'il est dans le roman.  D'où les trois parties :   I, Mme de Merteuil,  manipulatrice experte. II Mme de Tourvel, victime sacrifiée. III Valmont, amant incertain et manipulé.     I Mme de Merteuil   1)      L'amie « généreuse » de la lettre se comporte comme Mme de Merteuil : l.

16-18 : « cet homme avait une amie qui fut tentée un moment de le livrer au  public en cet état  d'ivresse ...

Mais pourtant, plus généreuse que maligne... »   cf lettre V : « ...

rougissez-vous-même et revenez à vous.

Je vous promets le  secret. »  Elle veut « tenter un dernier moyen » (l.21) pour cet homme qui « passait ainsi sa vie, ne cessant de faire des sottises. » (l.15).

De même Mme de Merteuil représente-t-elle V souvent comme irréfléchi, et prétend-elle raisonner à sa place : Cf Lettre V : « Amie généreuse et sensible, j'oublie mon injure pour ne me soucier que de votre danger ; et quelque ennuyeux qu'il soit de raisonner, je cède au besoin que vous en avez dans ce moment. » L CXXXIV : » »Vous êtes bien comme les enfants...

Est-il donc généreux de me laisser supporter seule tout le fardeau de la prudence ? » L.

CLII : « Eh bien, je vais raisonner pour vous... »        2)      Cette petite histoire, apparemment légère, s'insère à un moment extrêmement tendu du roman, dans une lettre très froide de Mme de Merteuil.

Juste avant d'introduire son histoire, M menace Valmont de lui répondre, définitivement sur ce qui les unit (La question de V, qu'elle cite, était «Y a-t-il encore quelque intérêt commun entre vous et moi ?») - c'est-à-dire, de briser tout lien intime avec lui, et de  rompre le pacte selon lequel elle doit se donner à lui.

Elle feint de quitter le sujet, par l'antiphrase « je n'en veux absolument plus parler », au. »

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