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L'Europe au chevet du Rhin

Publié le 22/02/2012

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1er novembre 1986 - Dix jours après l'incendie de la Toussaint, l'entreprise Sandoz de Schweizerhalle est encore un champ de bataille : empilement de fûts rouillés par le feu et l'eau, sacs de plastique emplis d'une pâte blanche à demi-consumée, sol rougi par les colorants, le tout prisonnier d'un enchevêtrement de poutrelles métalliques, qui ont fondu comme beurre. Perchés sur les pans de toitures branlantes, des ouvriers, munis de masques à gaz, s'emploient à démonter la couverture de fibro-ciment. Sur le chantier plane une forte odeur soufrée, qui prend à la gorge... Sur le Rhin, une vedette des pompiers de Bâle croise à la hauteur des trois conduites de déversement de l'usine Sandoz. Les hommes en tenue noire et masque à gaz procèdent à des prélèvements réguliers, qu'ils embouteillent soigneusement pour analyse. Les échantillons prélevés seront envoyés au laboratoire central de la police de Zurich, chargé des analyses et de l'enquête. On ne sait toujours pas si l'incendie a été provoqué par un court-circuit électrique, une réaction chimique ou un acte criminel. Le plus urgent, cependant, reste l'évaluation du danger de pollution et des risques pour la santé humaine. Le nuage chimique produit par l'incendie n'a, semble-t-il, rien provoqué d'autre que des irritations dues au soufre contenu dans les esters d'acide phosphorique ( dérivés de mercaptan). Les exploitations agricoles riveraines de la centrale n'ont subi aucun dommage. Les 400 tonnes de produits parties en fumée ont donc fait moins de dégâts que les quelques dizaines de tonnes de liquides déversées dans le Rhin. C'est que " les produits de base rejetés au fleuve sont beaucoup plus virulents que les insecticides du commerce ", constate Alfred Exinger, spécialiste de chimie organique et thérapeutique, directeur du laboratoire d'hydrologie de la faculté de pharmacie de Strasbourg. Pour lui cependant, les tonnes de disulfoton et de thiometon sont " à court terme " beaucoup plus dangereuses pour la faune et la flore du Rhin que le mercure. Côté allemand, on est plus sévère : " 95 % des produits écoulés dans le Rhin sont hautement toxiques, affirme Walter Littke, docteur en chimie à l'université de Fribourg-en-Brisgau. Même le bleu de Prusse peut se décomposer en cyanure. " Ce chimiste de renom, qui, avec l'aide de la NASA, fabrique des cristaux de protéine dans l'espace, est indigné par le comportement des industriels : " Quand je fais une erreur dans mes manipulations, je préviens tout le monde. Mais Sandoz ne dit rien. Ils sont très arrogants. " Chez Sandoz, où l'on fait remarquer que les préfectures du Bas-Rhin et du Haut-Rhin ont reçu la liste des produits stockés dès le 3 novembre, on se justifie comme on peut : " Rien n'a brûlé complètement. C'est donc un mélange de produits qui ne permet aucune simulation. On en est réduit à recueillir les filtres des masques et des climatiseurs pour en extraire les produits et établir un spectre fiable. " Sandoz désarmé ? Peut-être. Mais les chimistes suisses sont surtout discrets, pour ne pas dire secrets. Ce sont des Allemands d'Offenburg qui ont alerté leurs collègues strasbourgeois, au vu des relevés sur leur spectromètre de masse. Les autorités françaises, trop heureuses que les analyses d'eau potable soient rassurantes, s'emploient localement à ne poser aucune question gênante, alors même que l'entrepôt de Schweizerhalle n'est qu'en cours d'inventaire et que le ministre de l'environnement à Paris souligne la gravité de la pollution... ROGER CANS Le Monde du 12 novembre 1986

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