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L'homme peut-il réaliser son humanité dans le travail ?

Publié le 06/12/2010

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travail

 Le travail est l'activité par laquelle l’homme produit des biens et des services qui assurent la satisfaction de ses besoins naturels mais aussi sociaux (en transformant la nature). C'est une activité rémunérée, obligatoire et souvent pénible.

Le loisir est une activité non rémunérée, qui se définit négativement par rapport au travail ; c’est le " temps libre ", le temps passé hors du travail.

L'humanité c'est ce qui nous différencie de l’animal. On peut préciser qu’en général, on distingue l’homme de l’animal par tout ce qui nous paraît être le signe de la culture et de l’esprit : la conscience, le langage, mais aussi, la liberté. Elle n’est pas naturelle mais construite (cf.Rousseau), du fait même qu’elle n’est pas naturelle avant tout, mais culturelle. On acquiert l’humanité, on naît humain en puissance mais on l’a en acte en allant contre la nature. C’est bien ce que présuppose d’ailleurs l’expression, centrale dans le sujet, de " réaliser son humanité ".

On doit donc se demander si le travail a une valeur en soi, pas seulement sociale mais au sens où il serait ce qui nous rendrait plus humain ou humain tout court. Le travail est-il pour l’homme, non pas seulement un moyen en vue d’une fin extérieure (survivre, manger) mais aussi et surtout une fin en soi ? Fait-il partie des phénomènes culturels/ spirituels ?

 

Un animal ne travaille pas et le travail va contre la nature : il est bien ce qui nous extrait du règne naturel, ce qui nous différencie de l’animal.. Le mythe de Prométhée (Platon, Protagoras, 320c-321c) questionne l’origine des techniques (et du travail lui-même). Le mythe raconte que deux dieux, nommés Epiméthée et Prométhée, avaient eu pour tâche de doter toutes les espèces d’attributs nécessaires à leur survie. Or, arrivé à la fin, il resta à Epiméthée, qui avait tout voulu faire seul, l’homme; or, il avait déjà donné tous les attributs dont il disposait. L’homme était donc initialement nu, sans armes, sans couvertures, alors que l’animal, lui, était doté naturellement de tout ce qu’il lui fallait pour satisfaire tous ses besoins (instinct, griffes, poils, etc.). Pour que l’homme puisse survivre, Prométhée, le deuxième dieu, vola le feu aux dieux. Par la suite, du feu naquirent les techniques , par lesquelles l’homme compensa son inadaptation au milieu. Ainsi, Prométhée, en offrant aux hommes le feu, et les techniques, leur offrit le travail, puisque les techniques ne valent que dans le cadre du travail. Si l’homme travaille, c’est parce que nous ne pouvons nous procurer ce dont nous avons besoin pour vivre qu’en le fabriquant. Par le travail, l’homme adapte la nature à ses besoins, la transforme, agit sur elle, etc.

Cela revient à voir le travail comme une punition (= c'est un châtiment de Zeus que Prométhée a trompé), mais en même temps, comme le propre de l’homme ; que nous, en tant qu’ individus, vivions le travail de façon pénible, ne veut rien dire quand à la signification réelle du travail par rapport à l’humanité elle-même

 

D'après Marx, le capital, le travail est l’essence de l’homme. Mais en quoi plus précisément le travail est-il spécifiquement humain ? Car si on se contente de dire que si l’homme est l’être qui travaille (" homo laborans "), c’est parce qu’il doit créer lui-même ses conditions d’existence,on n’a pas de caractère suffisant pour vraiment différencier par lui l’homme de l’animal. Marx distingue le travail de la nature; puis de l'activité de l'animal. Ce qui fait que l'animal ne peut être dit "travailler", c'est qu'il ne réalise pas dans la matière une idée préconçue, le résultat n'est pas le fruit d'une activité de pensée. Ce que l'araignée ou l'abeille font, et de manière plus parfaite que l'homme, relève de l'instinct, alors que ce que l'homme a fait relève de l'esprit. (L'animal n'est pas conscient de ce qu'il fait).

 

De plus, ne serait-ce pas l’activité par laquelle on est (devient) un homme ? Non seulement le travail définit l’homme, ou lui est propre, mais encore, l’homme se réalise en travaillant 

Rousseau, De l’origine de l’inégalité parmi les hommes  : l’humanité se construit au cours du temps, n’est pas quelque chose de tout fait. Tout ce qui est humain est acquis au cours du temps, est historique. L’humanité de l’homme est bien innée, mais au sens de " virtuelle ". Elle existe en puissance mais n’existe effectivement , n’est en " exercice " qu’après coup. 

 

Kant, Idée d’une histoire universelle, : la paresse contre la réalisation de l’homme. Kant reprend cette idée d’une humanité qui n’existe pas immédiatement en acte. Il démontre que si la nature a donné à l’homme la raison, c’est qu’elle a voulu qu’il travaille parce que cette raison n’est pas immédiatement en exercice et demande des efforts, etc.

 

Dès lors, pour reprendre l’exemple de Kant dans Idée d’une histoire universelle, 4e Proposition, une société de bergers d’Arcadie qui se satisferait dans le repos, ne pourrait évoluer. Rien ne distinguerait les bergers des animaux. L’homme resterait toujours dans l’état naturel, ne progresserait pas.

 

 

 N’est-ce pas alors par le travail que l’homme peut réaliser son humanité ? (Hegel, Phénoménologie de l’esprit, la dialectique du maître et de l’esclave). En effet, le travail n’est-il pas une activité de transformation de ce qui est donné/naturel ? N’est-ce pas dès lors ce par quoi on parvient à dépasser la nature et donc à se faire homme ? N’est-ce pas plus précisément par là qu’émerge l’esprit, faculté caractéristique des hommes par rapport aux animaux, si l’on en croit Descartes, Méditations métaphysiques, ou, si on refuse son dualisme trop tranché, la liberté ?

 

C’est ce que nous montre Hegel dans la dialectique du maître et de l’esclave, où il a pour but de montrer comment l’animal devient homme. L’homme lui-même est le résultat de son propre travail, car, en travaillant, il. transforme la nature et, par là, se transforme lui-même. C’est par le travail que l’homme acquière un attribut éminemment humain : la conscience. Celui qui ne travaille pas, et qui se croit plus libre que celui qui travaille (le " maître "), qui a une vie de loisir (sous-entendu =d’oisiveté) est reste trop proche de la nature, car il ne fait rien pour se distinguer d’elle, il n’y pense même pas, puisque, passant son temps à jouir de lui-même, il ne sait même pas que la nature est problème. L’esclave, lui, se rend bien compte que la nature lui résiste, et lutte contre elle. Au bout du compte, il va s’en distinguer. Le travail n’est donc abêtissant et déshumanisant, parce qu’il ne s’oppose pas à ce qui est le plus proprement humain : l’intellect. En conclusion, l’homme se réalise donc bien dans le travail, il y trouve tout ce qu’il lui faut pour réaliser l’humanité. Le travail n’est pas seulement une nécessité sociale contingente, n’ayant lieu d’être que pour assurer nos besoins et n’existant par exemple que parce que la nature n’est pas abondante ou pas pourvue d’objets pré-construits. Si la nature a besoin d’être travaillée, c’est afin que l’homme se fasse lui-même. 

 

L'ouvrier s'appauvrit d'autant plus qu'il produit plus de richesse, que sa production croît en puissance et en volume. L'ouvrier devient une marchandise. Plus le monde des choses augmente en valeur, plus le monde des hommes se dévalorise; l'un est en raison directe de l'autre. Le travail ne produit pas seulement des marchandises; il se produit lui-même et produit l'ouvrier comme une marchandise dans la mesure même où il produit des marchandises en général. Cela revient à dire que le produit du travail vient s'opposer au travail comme un être étranger, comme une puissance indépendante du producteur. Le produit du travail est le travail qui s'est fixé, matérialisé dans un objet, il est la transformation du travail en objet, matérialisation du travail. La réalisation du travail est sa matérialisation. Dans les conditions de l'économie politique, cette réalisation du travail apparaît comme la déperdition de l'ouvrier, la matérialisation comme perte et servitude matérielles, l'appropriation comme aliénation, comme dépouillement.

Toutes ces conséquences découlent d'un seul fait: l'ouvrier se trouve devant le produit de son travail dans le même rapport qu'avec un objet étranger Cela posé, il est évident que plus l'ouvrier se dépense dans son travail, plus le monde étranger, le monde des objets qu'il crée en face de lui devient puissant, et que plus il s'appauvrit lui-même, plus son monde intérieur devient pauvre, moins il possède en propre. C'est exactement comme dans la religion. Plus l'homme place en Dieu, moins il conserve en lui-même. L'ouvrier met sa vie dans l'objet, et voilà qu'elle ne lui appartient plus, elle est à l'objet. Plus cette activité est grande, plus l'ouvrier est sans objet. Il n'est pas ce qu'est le produit de son travail. Plus son produit est important, moins il est lui-même. La dépossession de l'ouvrier au profit de son produit signifie non seulement que son travail devient un objet, une existence extérieure, mais que son travail existe en dehors de lui, indépendamment de lui, étranger à lui, et qu'il devient une puissance autonome face à lui. La vie qu'il a prêtée à l'objet s'oppose à lui, hostile et étrangère.

 

Le travail moderne, lié à l’émergence du capitalisme, est avant tout le travail à la chaîne, la division du travail ; or, cette forme de travail est aliénante, au sens où elle dépossède l’homme de lui-même, et a pour conséquence qu’il ne s’appartient plus. En effet :

 

    -d’abord, l’ouvrier qui travaille à la chaîne ne se reconnaît pas dans ce qu’il fait (si tant est qu’il a fait quelque chose : il n’a pas fait quelque chose, mais un bout de chose) ; la chose lui est complètement extérieure, il ne peut se reconnaître ni s’épanouir dans son travail, qui n’en est pas un ; il " travaille " seulement pour subsister

 

    -ensuite, l’ouvrier n’est qu’une marchandise pour son patron ; en tout cas, il vend sa force de travail (marchandise) contre de l’argent (le salaire), afin d’acheter des marchandises (nourriture, chaussures, livres, voyages, etc.) dont il fera usage pour produire sa vie ; et quelqu’un d’autre que lui va en tirer profit ( on dit que cette force de travail possède une valeur d’échange = ); donc, au bout du compte, on peut dire qu’il se vend lui-même, et qu’il est considéré comme une marchandise (voire même qu’il se considère lui-même comme une marchandise !).

 

 Or, cela revient à dire que cette forme moderne du travail déshumanise l’homme.  On peut se référer, pour le montrer : d’abord, à l’impératif catégorique de Kant : l’homme est une fin en soi, on ne doit jamais le traiter comme une chose qui peut s’échanger contre une autre ; c’est la pire manière de déshumaniser un homme ; ainsi qu’à Rousseau, Contrat Social, I, 4 : si la liberté est ce qui au plus haut point caractérise l’homme, et le différencie de l’animal, alors, il faut dire que la forme moderne du travail est totalement déshumanisante, qu’elle déshumanise l’homme plutôt qu’elle ne l’humanise. Ainsi Marx définit-il le système capitaliste comme étant " le système d’exploitation de l’homme par l’homme ".

 

Or, et ce n’est sans doute pas pour rien : nous, contemporains, nommons plutôt ces activités des loisirs. Pourquoi ? Parce que nous les vivons comme agréables, nous nous épanouissons à travers eux. Or, ce sont bien des activités rentrant dans le genre " travail ". Seul bémol : si nous les nommons loisirs, c’est parce que aujourd’hui, un travail se pense par rapport au gain. Si nous faisons quelque chose sans penser au gain, alors, pour nous, ce n’est pas un travail.

 

En conclusion, on peut peut-être soupçonner que la thèse selon laquelle le travail humanise l’homme, réalise son humanité, est une croyance utile à la société ou bien une illusion " capitaliste ". Cf. sur ce point, le fait que la valorisation du travail est datée historiquement (révolution industrielle, émergence du salariat) ; cf. économistes tels A.Smith, qui a écrit La richesse des nations : peut-être a-t-on cru que le travail avait pour l’homme une valeur en soi, parce que l’on a su démontrer que le travail est source de toute valeur (cf.valeur d’usage, et valeur d’échange : utilité d'un objet quelconque et faculté de celui qui le possède d'acheter d'autres marchandises). Mais, après tout, pourquoi l’homme ne se réaliserait-il pas ailleurs ?

 

 

    l sauf exception et sauf s’il est pour moi vécu comme un loisir.

 

    -ici, on peut donc faire une place au fait que le travail n’est pas vécu comme ce par quoi je parviens au bonheur, je me réalise, m’épanouis, etc. ; mais en prenant bien la précaution de préciser que l’individu peut souffrir pour le bien de l’espèce, du groupe, etc.

 

    -ça peut être utile pour passer à la troisième partie louant une vie de loisir plutôt qu’une vie de travail.

 

Ainsi, ne peut-on pas dès lors soupçonner que c’est plutôt par le loisir que l’homme réalise son humanité ? Le loisir est-il nécessairement l’opposé du travail entendu comme œuvre ? Et n’est-il pas plus enrichissant que le travail entendu comme labeur ? 

 

Pour Aristote, qui est grec, ce qui fait de l’homme un homme, c’est l’intellect, l’esprit. Rien de nouveau par rapport à notre analyse. Seulement, il inverse le rapport travail/ esprit : si l’homme est avant tout un esprit et est homme par cet esprit, il doit le cultiver. Et cela, il ne peut le faire que s’il ne travaille pas. Pour cultiver librement son humanité, son esprit, on doit pouvoir méditer à notre aise, réfléchir, bref, faire de la philo ; pour ce faire, il faut être délivré du souci des contraintes matérielles. Comment penser tranquillement si on doit perdre son temps à faire le repas, à nettoyer la maison, à travailler toute la journée pour se procurer du pain ?

 

Le travail nous asservit à la nécessité, aux besoins du corps, il est donc "vile" et nous rend esclaves du besoin et de la nature; au bout du compte, il nous rend semblable à un animal ou à la pire des brutes. Bref le travail n'humanise pas, car il a rapport avec ce que nous partageons avec les autres animaux.

 

Un travail, certes, abstrait de son côté économique et financier, mais n’oublions pas que le travail n’a pas toujours été tel ; il est avant tout une transformation de la nature, une opposition, même, à la nature. Si bien que le loisir philosophique aristotélicien est un ou est le travail au sens propre du terme. Il consiste à se former soi-même en opposition à la naturalité ou l’animalité puisque ce qui est à réaliser, c’est ce qui fait de nous des hommes, à savoir, l’esprit, la raison. Il n’est possible qu’à condition qu’il y ait des esclaves, qui, eux, travaillent, pour satisfaire les besoins de la maisonnée, et du maître. Ce n’est donc pas possible aujourd'hui de revenir à une telle manière de vivre et de réaliser son humanité, car nous sommes à l'ère des droits de l'homme, donc, du caractère universel et abstrait de l'humanité.

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