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Liaisons Dangereuses : Quelle Est La Place De L'Humour Et De L'Ironie Dans Le Roman Et Dans Le Film ?

Publié le 16/10/2010

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liaisons dangereuses

 

Dans son roman épistolaire Les Liaisons dangereuses, Choderlos de Laclos met en scène deux libertins du XVIII° siècle, la Marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont interprétés respectivement par Glenn Close et John Malkovich dans l’interprétation cinématographique de Frears. Véritables stratèges dans l’art de la séduction et de la corruption, ils manient le langage d’une main de maître et l’ironie constitue leur arme favorite. On s’interrogera sur la place occupée par cette ironie et l’humour dans chacune des deux œuvres. Nous verrons dans un premier temps que l’ironie correspond au langage des libertin à partir duquel s’établit la relation de complicité entre les deux personnages. Puis, nous montrerons que l’ironie est aussi une arme et si ils en sont les destinataires, ils peuvent également en être les victimes. Enfin, on s’interrogera à l’ironie de l’auteur lui-même.

 

Cette ironie, très présente dans l’œuvre de Laclos, est essentiellement visible au sein des lettres du Vicomte ou de la Marquise. En effet, elle correspond à un véritable mode de communication, à un langage à part entière qui est celui des libertins. C’est à partir de ce langage que s’établit la relation de connivence, de complicité qui lie les deux roués. Cela s’illustre par deux aspects.

Tout d’abord, l’ironie est très présente au sein des échanges épistoliers qui se font directement entre le Vicomte et la Marquise. En effet, dans presque chacune de leur lettre, ils se moquent de leur victimes et de leur valeurs de manière implicite. Ainsi, il existe un décalage permanent entre la lettre de l’énoncé et son sens. Si ce décalage peut être déceler par l’autre, c’est parce qu’ils ont tous les deux les mêmes codes. On notera par exemple que les personnages de Danceny et de Cécile sont sans cesse tournés au ridicule par les libertins. L’ironie à leur égard est permanente et ils sont sans cesse traités comme de simples enfants. Cela s’illustre parfaitement dans la lettre 51 où la Marquise s’amuse de Danceny qu’elle présente comme un « Céladon «, idée reprise un peu plus loin par l’expression « pauvre Berger «. Mais il ne s’agit que d’un exemple et tous les personnages, incapables, eux, de maîtriser cette ironie deviennent la cible de la raillerie libertine. Ainsi, ces deux personnages parodient les langages religieux et galants, parodie qui va parfois jusqu’au blasphème et se placent au-dessus de ce qui suscite le respect. L’utilisation presque systématique de l’ironie souligne donc leur connivence et cette maîtrise de l’ironie les place à un niveau supérieur par rapport aux autres personnages, discrédités par les descriptions pleines de sarcasme qu’ils en font. L’italique permet généralement de souligner ce sarcasme. Par exemple, dans la lettre 51, les termes « indécemment « et « merveilleuses « extraits du discours des vieilles dames sont ironiquement mis à distance.

Tout comme Laclos, Frears se moque de certains personnages tels que Cécile ou sa mère. Mais, même si l’on retrouve un peu l’ironie du roman, c’est surtout par l’humour que le réalisateur les ridiculise. En effet, la bêtise de Cécile nous est montrée directement, l’ironie grinçante se transforme alors en parfaite comédie comme l’illustre l’épisode de la clef ou encore le moment où elle demande naïvement à la Marquise si « elle devra faire tout cela avec trois hommes différents «. La maladresse et l’ingénuité dont elle fait preuve ne peuvent en effet que nous faire rire alors que le ton de Laclos reste plus sarcastique. Il en va de même pour Danceny dont les larmes invitent à railler l’excès de sensibilité à l’opéra.

Mais la connivence mise en place entre les libertins par l’ironie ne se limite pas aux lettres qu’ils s’envoient l’un l’autre. Leur complicité est également visible dans les lettres qu’ils écrivent aux autres. L’emploi du double langage permet en effet de donner à certaines lettres plusieurs sens, et donc plusieurs destinataires. Cela est particulièrement vrai pour les lettres de Valmont et notamment  pour la lettre 48 écrite sur les fesses d’Émilie. Si la Présidente de Tourvel, qui par sa franchise et sa sincérité naturelle ne peut pas comprendre ce qu’est l’ironie, ne peut voire dans cette lettre que l’expression de la passion amoureuse ; elle apparaît bien comme l’expression d’une expérience érotique pour la Marquise de Merteuil. Le choix d’un vocabulaire pouvant s’appliquer au corps comme à l’âme lui permet de jouer sur la polysémie. Valmont fait donc une description efficace de l’amour physique à laquelle il donne une dimension spirituelle : « J’ai peine à conserver assez d’empire sur moi pour mettre quelques ordres dans mes idées «. Par conséquent, il parvient à se moquer de la Présidente de Tourvel dans une lettre qui lui est pourtant destinée. En effet, l’emploi de l’ironie et du double langage lui permet non seulement de la tromper mais aussi de faire passer un tout autre message à la Marquise. Encore une fois, l’ironie apparaît comme un langage uniquement compris par les roués qui permet ainsi leur communication au sein de lettres adressées à d’autres.

Frears souligne bien l’ironie dans ce passage par la voix qui dit la lettre de Valmont tandis qu’un montage alterné présente tantôt les images de la nuit de Valmont et d’Émilie, tantôt le visage de la Présidente où se lit son émotion. 

Par conséquent, l’ironie apparaît d’abord comme un moyen de communication entre les libertins. Toujours utilisée dans le but de railler, c’est par son intermédiaire que s’exprime la connivence des deux roués.

 

Néanmoins, même si elle permet la complicité de la Marquise et du Vicomte, l’ironie est aussi à la source de leur rivalité dans la mesure où elle correspond à une arme redoutable.

En effet, les deux libertins qui sont sans cesse dans la surenchère ne cessent de se provoquer par des piques ironiques et ce dès le début du roman. On peut relever l’antiphrase faussement flatteuse de Valmont dans la lettre 4 : « Vos ordres sont charmants, votre façon de les donner est plus aimable encore, vous feriez aimer le despotisme «. C’est à travers cette ironie que s’exercent leurs talents de libertins, elle permet donc de les départager. Elle s’apparente à une forme d’ironie théâtrale : en effet, ils se conçoivent tous les deux comme des acteurs sur le grand théâtre du monde. L’ironie est le moyen par lequel il se donnent en spectacle l’un l’autre. Frears a repris cet aspect dans son film, notamment dans la scène du castra où le scénariste met dans la bouche de Glenn Close des phrases ironiques qui soulignent l’extrême lenteur de l’entreprise mise en place par Valmont.

Dès lors que la guerre se prépare entre eux, le phénomène s’accélère. La Marquise se fait de plus en plus moqueuse vis-à-vis du sentiment amoureux que Valmont dévoile à l’égard de la Présidente de Tourvel et lui reproche de la considérer, elle, comme un simple objet à posséder. A l’inverse, Valmont raille le goût de la Marquise pour le chevalier Danceny. Cette provocation mutuelle sera à l’origine de la chute des deux libertins.

 

Toutefois, l’ironie de l’œuvre ne se limite pas au sarcasme des libertins. En effet, ils ne sont pas les seuls à s’exprimer ici : il y a aussi la voix de l’auteur, ou du réalisateur dans le cas de l’œuvre de Frears. Par conséquent, le lecteur est une cible de l’ironie au même titre que les personnages du roman.

Ainsi, dès le début du roman, l’avertissement de l’éditeur et la préface du rédacteur permettent de tourner en dérision toute lecture univoque. Le lecteur, perdu, ne sait que penser de l’œuvre, s’agit-il d’un reflet de la société du XVIII° siècle ou bien d’une véritable fiction ? En brouillant les pistes, l’auteur s’efface. Il semble difficile de savoir où est la vérité  A quel moment l’auteur est-il ironique ? A quel moment ne l’est-il pas ? En somme, le lecteur reste face à l’œuvre comme on pourrait l’être devant une lettre des libertins : la multiplication des procédés ironiques finit par cacher complètement la réalité.

Il en va de même à la fin du roman, où l’ambiguïté de la morale à tirer du roman tient également de l’ironie de l’auteur. Si la leçon annoncée par Madame de Rosemonde et Madame de Volanges peut paraître complètement morale de premier abord, un certain nombre d’éléments peuvent la remettre en question : « si on était éclairé sur son véritable bonheur, on ne chercherait  jamais hors des bornes prescrites par les Lois et la religion «. Encore une fois, l’ironie de Laclos est difficile à saisir et  laisse le lecteur dans l’embarras.

En supprimant l’ambiguïté , Frears s’écarte du roman de Laclos. A partir du moment où il choisit de suivre des partis-pris, il supprime l’ironie présente chez Laclos. En effet, celle-ci est beaucoup moins présente. A l’inverse, Frears a décidé de développer un côté humoristique qui n’apparaissait qu’à travers l’ironie chez Laclos. Outre le ridicule des personnages qui a déjà été abordé dans la première partie, le montage en cut qui ne ménage pas de transition entre deux scènes laisse apparaître certains traits humoristiques. On peut par exemple noter le passage direct de la scène de lit entre Cécile et Valmont à la scène de la messe, la seule transition correspondant à la phrase latine. L’humour est également traité à travers la musique, notamment dans la scènes des Pauvres. L’humour ménagé dans le film a pour conséquence de rendre certaines situations plus grotesques. La volonté de divertir apparaît donc ici.

Enfin, une certaine ironie du sort est ménagée par l’agencement des lettres. En effet, la lettre 126 où Madame de Rosemonde félicite Madame de Tourvel arrive juste après celle où Valmont annonce sa victoire sur la Présidente. On peut ici voir une ironie dramatique.

 

Ainsi, l’ironie est omniprésente dans le roman de Laclos. Elle est au centre des propos des personnages et de sa construction. C’est à la fois l’instrument de complicité des libertins et de rivalité. Le lecteur, placé à une place privilégié, peut saisir toute l’ironie des personnages, mais celle de l’auteur peut toujours lui échapper. Dans son film, Frears réutilise cette ironie mais elle s’approche d’avantage de l’humour que dans le roman.

 

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