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L'immoralité de Molière - Lettre à d'Alembert sur les spectacles.

Publié le 02/10/2010

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alembert

Voyez comment, pour multiplier ses plaisanteries, (Molière) trouble tout l'ordre de la société; avec quel scandale il renverse tous les rapports les plus sacrés sur lesquels elle est fondée, comment il tourne en dérision les respectables droits des pères sur leurs enfants, des maris sur leurs femmes, des maîtres sur leurs serviteurs! Il fait rire, il est vrai, et n'en devient que plus coupable, en forçant, par un charme invincible, les sages mêmes de se prêter à des railleries qui devraient attirer leur indignation. J'entends dire qu'il attaque les vices; mais je voudrais bien que l'on comparât ceux qu'il attaque avec ceux qu'il favorise. Quel est le plus blâmable, d'un bourgeois sans esprit et vain qui fait sottement le gentilhomme, ou d'un gentilhomme fripon qui le dupe? Dans la pièce dont je parle, ce dernier n'est-il pas l'honnête homme? N'a-t-il pas pour lui l'intérêt? Et le public n'applaudit-il pas à tous les tours qu'il fait à l'autre? Quel est le plus criminel, d'un paysan assez fou pour épouser une demoiselle, ou d'une femme qui cherche à déshonorer son époux? Que penser d'une pièce où le parterre applaudit à l'infidélité, au mensonge, à l'impudence de celle-ci, et rit de la bêtise du manant puni? C'est un grand vice d'être avare et de prêter à usure; mais n'en est-ce pas un plus grand encore à un fils de voler son père, de lui manquer de respect, de lui faire mille insultants reproches, et, quand ce père irrité lui donne sa malédiction, de répondre d'un air goguenard qu'il n'a que faire de ses dons ? Si la plaisanterie est excellente, en est-elle moins punissable? Et la pièce où l'on fait aimer le fils insolent qui l'a faite en est-elle moins une école de mauvaises moeurs ? L'immoralité de Molière - Lettre à d'Alembert sur les spectacles.

Situation du passage. Rousseau vient de dénoncer l'immoralité de la tragédie. Il s'attaque maintenant à la comédie. Pour rendre sa démonstration plus forte, il prend comme exemple l'oeuvre de Molière, « le plus parfait auteur comique dont les ouvrages nous soient connus ». Le texte. Rousseau exprime d'abord son grief sous une forme générale. Pour frapper le lecteur, il emploie des termes violents et manifestement excessifs : Molière trouble tout l'ordre de la société; il renverse tous les rapports les plus sacrés sur lesquels elle est fondée. L'injustice du reproche éclate : à ce protégé du monarque, Rousseau prête une intention subversive qui lui était étrangère. Sans doute songe-t-il à des situations précises de son théâtre, mais il les interprète à faux. Peut-on s'indigner si un père ne parvient pas à se faire obéir, lorsqu'il prétend être, comme Argan, Harpagon, M. Jourdain ou Orgon, le tyran de ses enfants ? Peut-on se révolter, si une femme trahit son mari, lorsque le mari reconnaît qu'en faisant un mariage absurde il a été l'artisan de sa propre disgrâce ? « Tu l'as voulu, George Dandin! » Peut-on blâmer de leur insolence Doline, Nicole ou Toinette ? Elles luttent contre la redoutable manie de leur maître. Molière ne tourne pas en dérision de respectables droits; il flétrit ceux qui font de ces droits un usage absurde ou criminel. Rousseau va plus loin. Trop fin pour contester le génie comique de Molière, il en fait une circonstance aggravante.

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