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L'importance dramaturgique du langage dans Hamlet.

Publié le 30/09/2010

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langage

 

Introduction : 

 

Il est une dimension importante dans la tragédie shakespearienne, c’est l’intérêt du langage en vue de rendre compte du monde. Théâtre baroque qui plus est, les drames de Shakespeare sont donc polyphoniques, et partant, le langage revêt une richesse extraordinaire. Or, ce monde est difficile à connaître parce que nos sens ne nous livrent qu’une image truquée. Aussi, le langage, dans Hamlet comme dans d’autres tragédies, est-il un moyen de s’approprier le monde puisque c’est en lui que s’élabore le savoir que le personnage se fait du monde.

Ce langage est un moyen privilégié sur une scène de théâtre pour dire la réalité, ou tout au moins tenter de la circonscrire dans des paroles qui la contiennent plus ou moins.

Mais la réalité dans Hamlet, et Hamlet le confirme, est sujette à diverses interprétations et le langage qui les contient est différent pour chacune des interprétations : pour le dire autrement la réalité de Hamlet n’est pas celle de Claudius qui n’est pas celle de Polonius et ainsi de suite...Chaque représentation de la réalité contraint le personnage qui la génère de composer un rôle. Le langage d’un personnage n’est pas forcément celui d’un autre. Si le langage reste un moyen de connaître, il se peut aussi qu’il acquiert d’autres fonctions qui ont un rôle décisif sur l’action dramatique.  Il existe donc plusieurs niveaux d’utilisation du langage parce qu’il existe plusieurs niveaux dans le  jeu dramatique.

Ainsi peut-on réfléchir sur l’importance du langage dans Hamlet selon 3 axes principaux :

 

1) La parole comme moyen de dire le monde

2) La parole -masque

3) Le langage du faux pour connaître le vrai.

 

1) La parole comme moyen de dire le monde 

 

Le discours est souvent, dans Hamlet, un unique bavardage. Il peut-être comique, parfois plein de bon sens (cf. les propos des fossoyeurs). Il s’agit là d’une parole neutre qui reflète ce qui est dans l’exacte mesure où cela existe. Ainsi, l’éloquence verbeuse des courtisans, la grandiloquence de Polonius donnent-elles à voir une peinture réaliste d’une cours qui peut être n’importe quelle cours de l’époque. Les titres ronflants, les expressions de totales soumissions sont celles d’une société qui repose pour une bonne part sur le rapport dominant / dominé, suzerain / vassal, nobles / roturier. Cette dernière relation est d’ailleurs nettement visible dans le texte lui-même : les fossoyeurs, gens de basse condition, ne s’expriment pas en vers (réservés aux personnages nobles propres à la tragédie) mais en prose censée être la langue du vulgaire.

Ce langage, qui dit le monde tel qu’il est, le cristallise et devient un indice d’une réalité sociale et politique établie.

Cette parole neutre, aussi surprenant que cela puisse être, c’est aussi celle d’Ophélie qui sombre dans la folie, mais au contraire d’Hamlet une folie non feinte. La déraison est exprimée à travers un discours qui n’est qu’un bavardage, parfois vide de sens, parce que la réalité de la folie, c’est d’être contenue dans une langue qui déraisonne. C’est de là que vient tout le pathétique d’Ophélie : le discours de celle-ci devient insaisissable puisque la folie la rend désormais insaisissable pour les autres.

Ce langage du neutre ne contient aucun sous-entendus, aucune équivoques : il est à la réalité ce que la réalité est à elle-même : palpable, tangible, évident. C’est pour cela que tous les personnages y ont systématiquement recours. Ce n’est donc pas celui-là qui pose le problème de fond, celui, nous le verrons, de la vérité, mais un autre langage plus subtil, qui fait du langage un moyen de parvenir à un but personnel que l’on ne veut divulguer à personne.

 

2) Le langage devient alors un masque que l’on utilise pour se cacher, se dissimuler et fourbir ses coups. Il est l’arme intellectuelle de celui qui tend des pièges pour mettre l’autre “ échec et mat ”.

Dans cette optique le langage acquiert une grande autonomie par ce qu’il est le propre d’un personnage. Si l’on considère à juste titre qu’Hamlet est un drame politique, qui pose la question du pouvoir et les moyens par lesquels un être peut se l’approprier, le langage sert tout aussi bien à dissimuler ce que l’on est qu’à se dissimuler soi-même à ses propres yeux. Ainsi, dans la scène 2 de l’acte I, le long discours de Claudius est d’ordre politique et il masque par de faux-semblants l’identité exacte de Polonius. En se donnant pour légitime, aux yeux de tous, il détourne par les mots sa condition réelle : celle d’un usurpateur.

Pour Hamlet, la parole masque fonctionne tout autant. En avouant à la fin de l’acte I qu’il va “ revêtir le manteau de la folie ”, Hamlet se condamne à opter pour un jeu double où il va devoir composer un autre personnage. Mais cette aliénation qui n’est qu’un simulacre repose sur un langage qui présente cette folie comme vrai aux oreilles de ceux qui l’écoutent. Polonius s’y laisse prendre et Claudius tout aussi bien. Or ce langage qui supporte la folie ne doit pas être révélé à ceux qui doivent être piégés. Voilà pourquoi Hamlet demandent instamment à Horatio et à ses compagnons de confier les événements nocturnes “ à l’esprit non à la langue ”.

La parole-masque passe par un langage du double: ce qui est dit ne dit pas tout ce qui est. Et cette parole -masque occulte toujours celui qui l’utilise. Ainsi lorsque Hamlet traite Polonius de “ maquereau ”, ce dernier ne retient de Hamlet que ce que le langage de Hamlet l’oblige à retenir: la condition de fol qui est celle du prince de Danemark parlant comme un fou. L’ambiguïté du langage, pour le spectateur comme pour le lecteur révèle l’ambiguïté du personnage. C’est donc un stratagème, grâce auquel le monde est joué: à la fois représenté et trompé dans le même moment. Quand Claudius s’écrie (acteIV, 7):

“ Nul sanctuaire en effet pour sauver le meurtre

   Nulle barrière pour la vengeance ”

il joue sur deux réalités: celle qui commande, dans l’instant, ces paroles (soutenir Laërte dans sa haine contre Hamlet), et celle qui est la sienne et celle d’Hamlet puisque ces propos font référence a des crimes encore que cachés que Hamlet cherche à mettre au grand jour.

Le langage, donc, est un masque derrière lequel se réfugie celui qui en a nécessité. Raison pour laquelle seuls 2 protagonistes y ont recours: Hamlet d’une part et Claudius d’autre part. Et ils en usent avec plus ou moins de talent : lorsque les masques tomberont à l’acte V, la parole-masque se brisera, puisque devenue inutile ce qu' Hamlet confie dans un ultime soupir: “ tout le reste est silence ”. L’essentiel reste de bien voir que dans le cas de la parole-masque ce n’est pas l’individu qui fabrique son langage, mais plutôt le langage qui construit un personnage.

 

3) Stratagème donc, mais aussi support d’une quête: celle de la recherche de la vérité qui est le thème central du drame. Vient alors une question : comment une vérité peut-elle procéder de son contraire, comment le mensonge peut-il accoucher d’une vérité ?

Quand Hamlet demande aux comédiens de jouer “ La mort de Gonzague ”, il précise qu’il faut jouer juste ! Comment des acteurs dont le métier est de toujours feindre pourraient-ils, par essence, jouer juste ? En fait, Hamlet leur demande de faire vrai en utilisant une situation irréelle. Et le langage, les mots qui vont soutenir ce théâtre dans le théâtre, seront pris au premier degré par tout le monde pour un bavardage ludique- sauf par Claudius. De fait, Hamlet réussit en utilisant un langage du faux (celui de toute représentation théâtrale) à faire éclater une part de vérité ce que confirme la fuite du roi. Le langage trompeur d’une représentation fait surgir la vérité. 

Cette utilisation particulière du langage est justifiée par un besoin qui la dépasse. Et le célèbre monologue “ to or not to be ”, véritable introspection intérieure, celle d’une conscience qui se cherche, met en scène un Hamlet authentique, qui pèse le bien-fondé de son action : faut-il être et aller jusqu’au bout de ses actes, ou feindre d’ignorer la vérité ? En somme le dilemme est réel : accepter la vérité, c’est chercher le moyen de la révéler, c’est accepter de savoir que l’on sait des choses que les autres ne doivent pas savoir si l’on ne veut pas s’exposer à leurs coups. Dès, dire la vérité, vouloir la vérité exige que l’on passe par son contraire qui est le mensonge. Et il devient évident que vérité et mensonge sont les deux visages d’une même chose.

Pour cela, reste à trouver les supports de ce langage du faux. Hamlet en retient 2:

la folie qui masque son identité par une autre. C’est une aliénation et elle conduit à choisir un langage qui lui permet de dire n’importe quoi, vrai ou faux, en toute quiétude., puisque le fou sait qu’il ne l’est pas. Mais le faisant, il trompe ceux qui le prennent réellement pour un fou.

 

l’ironie qui masque non pas l’identité mais la pensée. C’est un moyen de préserver l’authenticité de son être quand il ne peut ou veut jouer la folie.

Dans les deux cas, la dramaturgie opérera dans la langue même une séparation vers / prose.

 

Conclusion : 

 

Ainsi, au déploiement des motifs et des mobiles qui forme Hamlet, correspond l’extraordinaire variété du langage qui amène à la connaissance de la vérité. D'ailleurs, il est essentiel de remarquer que lors de son premier monologue, Hamlet a rejeté tous les plaisirs de ce monde, sauf un : le plaisir du langage, qui permet d'agir. Il importe donc de ne jamais oublier que ce langage n’est pas seulement le support de l’action qui se joue sur la scène, il n’est pas uniquement un moyen d’expression, il est l’action elle-même, puisque toute l’action dépend de ses métamorphoses successives.

Enfin, il est un personnage possible, qui prend corps dans le personnage, qui fabrique ce personnage et qui l’abandonne quand son rôle est terminé. “ Le reste n’est que silence... ”

 

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