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L'union économique et monétaire

Publié le 22/02/2012

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1er juillet 1990 - Tout se passe comme si le président de la Commission européenne, s'appuyant ( à moins que ce ne soit le contraire) sur une détermination au moins égale à celle du président de la République française, s'était juré d'exorciser le précédent de 1972. Cette année-là, les pays formant la Communauté européenne avaient fait leurs les conclusions du rapport Werner, qui tirait son nom du premier ministre et ministre des finances du Luxembourg. Pierre Werner et les experts dont il présidait les travaux avaient proposé aux pays membres rien de moins que la formation d'une union économique et monétaire complète et irrévocable pour ... 1980. A la date près, la même recommandation est au coeur du rapport publié en avril 1988 par le comité que présidait Jacques Delors. Sur la base de ce document, s'est forgé, à la faveur des conseils européens successifs ( Madrid, juin 1989 Rome, octobre 1990, notamment), un accord à onze-la Grande-Bretagne s'est jusqu'à ce jour tenue sur la réserve-pour parvenir en trois étapes, et dans un délai qu'on espère atteindre avant l'an 2000, à l'objectif qui s'était une première fois dérobé. La première de ces étapes a commencé le 1e juillet 1990 d'autant plus facilement qu'elle n'a par elle-même pratiquement rien introduit qui n'aurait été fait sans elle. L'innovation principale qu'elle comportait pour la France et l'Italie était la libération des mouvements de capitaux, conformément à la pratique existant en Allemagne depuis plus de quarante ans et en Grande-Bretagne depuis dix ans. Il est clair que cette libération s'inscrit dans un cadre mondial et ne présente aucune caractéristique proprement communautaire. La deuxième étape, dont le point de départ est prévu en principe pour le 1e janvier 1994, ne bouleversera pas non plus l'actuel fonctionnement des institutions communautaires. Il est entendu par tous, Français et Allemands à l'unisson, qu'aucun transfert de souveraineté n'aura encore lieu à ce stade. La querelle porte sur le point de savoir si l'on créera, comme le veulent les Français, dès ce moment la future banque centrale européenne ou bien si l'on attendra pour cela la décision de passer à la troisième étape. C'est finalement sur cette troisième étape que l'attention du public a été presque exclusivement dirigée. Au cours de cette " dernière " étape ( la fin de l'histoire en Europe, en quelque sorte !), on émettra une monnaie unique pour la Communauté ou, ce qui revient ( presque) au même, les monnaies y seront liées " irrévocablement " par des parités rigides. Sans examen, les partisans de l'union monétaire la plus étroite possible dans le laps de temps le plus court possible ont accepté l'explication qui avait été donnée par les services de relations publiques de la Communauté : l'impulsion que les chefs d'Etat et de gouvernement avaient, l'espace d'une conférence, voulu donner il y a dix-huit ans à la construction européenne avait fait long feu à cause du manque de " volonté politique ". La volonté politique, l'Acte unique ( qui s'inscrivait dans la perspective d'une union économique et monétaire), lancé et négocié-sinon rédigé-de main de maître, l'a incontestablement fait revivre dans l'opinion. Les hommes politiques se sont sentis obligés de continuer. Cependant le plan Werner n'était que l'expression d'une velléité. L'une des raisons, évidemment pas la principale, pour laquelle celle-ci, n'a été suivie que de réalisations plus modestes ( le " serpent " européen, puis le SME), ne serait-elle pas que les auteurs du programme grandiose, au lieu de fournir des indications sur la manière pratique d'arriver au but-cela aurait exigé d'eux un début d'analyse monétaire,-s'étaient contentés de décrire l'appareil institutionnel nouveau qu'il conviendrait de créer pour gérer la future union ? Ce qui a rendu possible la pérennité du traité de Rome signé en 1957, c'est d'abord son impeccable rédaction inspirée par une rigueur juridique sans faille. Pas un concept n'y est introduit auquel on ne puisse attribuer une signification en droit constitutionnel ou en droit tout court. Tel n'est pas le cas pour les projets de textes qui ont été remis aux négociateurs de la conférence intergouvernementale. Dans la " contribution " de la Commission, on lit par exemple ceci : " L'union économique et monétaire repose sur une forte intégration économique... " La même expression se retrouve dans le projet français. Le mot intégration a pris, comme on le sait, au fil des ans, une forte connotation émotionnelle dans le vocabulaire européen. Ce n'est pas être " anti-intégrationniste " que d'observer que, juridiquement, ce substantif n'a aucune portée précise. Le canton de Vaud et le canton de Genève sont-ils fortement intégrés ? A cette question, on peut imaginer une infinité de réponses différentes. La Commission veut encore, parmi d'autres choses, inscrire sur le marbre du traité qu'elle soumettra au conseil des ministres européens des " orientations pluriannuelles " relatives à l'évolution des soldes budgétaires. En résumé, la méthode choisie par Jacques Delors et ses services semble être celle-ci : profitons de l'atmosphère de négociation pour forcer les Etats à prendre des engagements dont ils ne pourront plus se défaire. Encore faudrait-il que ces engagements soient inspirés par autre chose que les préjugés ambiants. Si le traité de Rome portait la trace des idées à la mode à la fin des années 50, il serait illisible aujourd'hui. Il ne porte pratiquement aucune ride. Que ces détails ne fassent pas oublier les progrès que la négociation a déjà fait accomplir. Le principe d'une banque centrale européenne " indépendante " est admis désormais par tous. L'objectif prioritaire qui lui est assigné est la stabilité des prix. La banque centrale européenne justifierait son indépendance en étant comptable de sa mission envers une opinion publique vigilante et les parlementaires de Strasbourg. Forts de cette logique, les Allemands n'envisagent sérieusement, semble-t-il, en guise de politique économique commune qu'une étroite surveillance sur les politiques budgétaires. Sur ce point les Français sont prêts, eux aussi, à accepter une discipline communautaire assez stricte. Ne sont-ils pas aujourd'hui " plus sages " que les Allemands sur ce chapitre ? PAUL FABRA Avril 1991

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