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Marc JEANNEROD (1935-) Le contrôle chimique des émotions

Publié le 19/10/2016

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Marc JEANNEROD (1935-)

Le contrôle chimique des émotions

Une part importante des connaissances sur le contrôle cérébral des émotions a été acquise grâce à la stimulation électrique du cerveau. Les stimulations de l'hypothalamus chez le chat ont clairement mis en évidence l'existence de zones distinctes où elles provoquent soit des réactions de peur ou de rage (qui correspondent à la zone antérieure dont nous avons parlé au chapitre précédent), soit des réactions de contentement, comme le ronronnement (la zone postérieure). Chez le sujet humain, les crises épileptiques qui ont leur point de départ dans l'une des composantes du système limbique, et qui représentent une sorte de stimulation du cerveau par lui-même, sont très souvent précédées de manifestations émotives, comme des impressions d'angoisse ou de peur. Les stimulations électriques pratiquées au cours d'interventions chirurgicales produisent souvent l'expression d'émotions. On peut citer à titre d'exemple le cas d'une malade chez qui la stimulation électrique du cortex cingulaire antérieur (une région médiane et ventrale du cortex frontal appartenant aux circuits limbiques) provoquait une sensation agréable et des éclats de rire. La malade demeurait incapable d'expliquer les raisons de ce comportement et ne pouvait trouver que des justifications ad hoc : « Vous êtes trop drôle ! », disait-elle au médecin. On peut rapprocher cette observation des résultats d'une étude en neuro-imagerie chez des sujets normaux. L'activité cérébrale était enregistrée au cours de séances où les sujets écoutaient des histoires humoristiques : une forte activation était observée dans une zone située elle aussi dans la région du cortex cingulaire antérieur. Les lésions cérébrales provoquent également des modifications du comportement émotionnel. Les lésions du cortex temporal et des zones adjacentes (l'amygdale) provoquent la disparition du comportement lié à la peur et du comportement agressif : le singe qui a subi cette lésion ne reconnaît plus les stimulations qui déclenchent habituellement chez lui des réactions de peur, comme la vue d'un serpent. Les lésions du cortex frontal diminuent l'expression des émotions, ainsi que l'expérience affective qui les accompagne. [...] Le système anatomique responsable des émotions fonctionne, comme le reste du cerveau, par l'intermédiaire de corps chimiques, les neuromédiateurs, dont l'action s'exerce sur des récepteurs synaptiques. Dans le cas des émotions, la connaissance de ces neuromédiateurs revêt une importance particulière : c'est en agissant sur eux qu'on peut contrôler dans une certaine mesure le déclenchement et l'expression des émotions. On retrouve principalement dans le système limbique les trois neuromédiateurs du groupe des monoamines, dopamine, sérotonine et noradrénaline. La dopamine, synthétisée par des neurones situés dans la substance noire et qui se projettent sur les structures limbiques par l'intermédiaire du faisceau médian du télencéphale, intervient préférentiellement dans la série des émotions et des affects positifs. On en a fait l'« hormone du plaisir », définition que nous tenterons de mieux cerner par la suite. Les médicaments qui renforcent l'action de la dopamine (médicaments dopaminergiques) ont un rôle sédatif et calmant. La sérotonine intervient plus particulièrement comme inhibiteur du comportement. Enfin, la noradrénaline, synthétisée dans des groupes de neurones situés dans le tronc cérébral et qui parvient au niveau du système limbique par le faisceau médian du télencéphale, intervient au contraire en créant un état d'excitation du système limbique : elle favorise l'éveil, augmente l'attention et la réceptivité aux stimulations extérieures. On peut agir sur le système des émotions en manipulant l'action de ces neuromédiateurs, en favorisant ou en bloquant leur synthèse, en augmentant ou en empêchant leur « recapture » au niveau de la synapse.

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