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Marguerite de Navarre, Heptaméron (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Marguerite de Navarre, Heptaméron (extrait). Extrait de la douzième nouvelle d'un recueil qui en comporte soixante-douze, ce passage fait suite au récit d'une des histoires que les convives se racontent pour se distraire de leur séjour. La structure de l'oeuvre obéit toujours à ce dédoublement, l'histoire racontée se prolongeant en un débat moral et psychologique sur la conduite des protagonistes. Ici, les mérites comparés d'Alexandre de Médicis et de Lorenzo font l'objet d'une dispute sur la valeur respective de la notion d'honneur ; dispute au sens classique du terme, « débat « auquel participent avec un engagement évident les différents interlocuteurs, chacun argumentant en mêlant exemples personnels et considérations abstraites, mais toujours avec chaleur. Heptaméron, de Marguerite de Navarre (extrait) Cette histoire fut bien écoutée de toute la compagnie, mais elle lui engendra diverses opinions. Car les uns soutenaient que le gentilhomme avait fait son devoir de sauver sa vie et l'honneur de sa soeur, ensemble d'avoir délivré sa patrie d'un tel tyran. Les autres disaient que non, mais que c'était trop grande ingratitude de mettre à mort celui qui lui avait fait tant de bien et d'honneur. Les dames disaient qu'il était bon frère et vertueux citoyen ; les hommes, au contraire, qu'il était traître et méchant serviteur. Et faisait fort bon ouïr les raisons alléguées des deux côtés. Mais les dames, selon leur coutume, parlaient autant par passion que par raison, disant que le duc était si digne de mort que bien heureux était celui qui avait fait le coup. Par quoi, voyant Dagoucin le grand débat qu'il avait ému, leur dit : « Pour Dieu, mesdames, ne prenez point querelle d'une chose déjà passée, mais gardez que vos beautés ne fassent point faire de plus cruels meurtres que celui que j'ai conté. « Parlemente leur dit : « La Belle Dame sans Merci nous a appris à dire que si gracieuse maladie ne met guère de gens à mort ! « -- « Plût à Dieu, madame, ce lui dit Dagoucin, que toutes celles qui sont en cette compagnie sussent combien cette opinion est fausse ! Et je crois qu'elles ne voudraient point avoir le nom d'être sans merci, ni ressembler à cette incrédule qui laissa mourir un bon serviteur par faute d'une gracieuse réponse. « -- « Vous voudriez donc, dit Parlemente, pour sauver la vie d'un qui dit nous aimer, que nous missions notre bonheur et notre conscience en danger ? « -- « Ce n'est pas ce que je vous dis, répondit Dagoucin, car celui qui aime parfaitement craindrait plus de blesser l'honneur de sa dame qu'elle-même. Par quoi il me semble bien qu'une réponse honnête et gracieuse, telle que parfaite et honnête amitié requiert, ne pourrait qu'accroître l'honneur et amender la conscience. Car il n'est pas vrai serviteur qui cherche le contraire. « -- « Toutefois, dit Ennasuite, si est-ce toujours la fin de vos oraisons, qui commencent par l'honneur et finissent par le contraire. Et si tous ceux qui sont ici en veulent dire la vérité, je les en crois en leur serment. « Hircan jura, quant à lui, qu'il n'avait jamais aimé femme, hormis la sienne, à qui il ne désirât faire offenser Dieu bien lourdement. Autant en dit Simontaut, et ajouta qu'il avait souvent souhaité toutes les femmes méchantes, hormis la sienne. Géburon lui dit : « Vraiment, vous méritez que la vôtre soit telle que vous désirez les autres ! Mais quant à moi je puis bien vous jurer que j'ai tant aimé une femme que j'eusse mieux aimé mourir que pour moi elle eût fait chose dont je l'eusse moins estimée. Car mon amour était fondé en ses vertus, tant que, pour quelque bien que j'en eusse su avoir, je n'y eusse voulu voir une tache. « Saffredent se prit à rire en lui disant : « Géburon, je pensais que l'amour de votre femme et le bon sens que vous avez vous eussent mis hors du danger d'être amoureux, mais je vois bien que non. Car vous usez encore des termes dont nous avons accoutumé de tromper les plus fines et d'être écoutés des plus sages. Car qui est celle qui nous fermera ses oreilles quand nous commencerons à l'honneur et à la vertu ? Mais, si nous leur montrons notre coeur tel qu'il est, il y en a beaucoup de bienvenus entre les dames de qui elles ne tiendront compte. Mais nous couvrons notre diable du plus bel ange que nous pouvons trouver. Et sous cette couverture, avant que d'être connus, recevons beaucoup de bonnes chères. Et peut-être tirons les coeurs des dames si avant que, pensant aller droit à la vertu, quand elles connaissent le vice elles n'ont le moyen ni le plaisir de retirer leurs pieds. « -- « Vraiment, dit Géburon, je vous pensais autre que vous ne dites, et que la vertu vous fût plus plaisante que le plaisir. « -- « Comment ! dit Saffredent, est-il plus grande vertu que d'aimer, comme Dieu le commande ? Il me semble que c'est beaucoup mieux fait d'aimer une femme comme femme que d'en idolâtrer plusieurs comme on fait d'une image. Et quant à moi, je tiens cette opinion ferme qu'il vaut mieux en user que d'en abuser. « Les dames furent toutes du côté de Géburon et contraignirent Saffredent de se taire. Lequel dit : « Il m'est bien aisé de n'en parler plus, car j'en ai été si mal traité que je n'y veux plus retourner. « -- « Votre malice, celui dit Longarine, est cause de votre mauvais traitement, car qui est l'honnête femme qui vous voudrait pour serviteur, après les propos que vous avez tenus ? « -- « Celles qui ne m'ont point trouvé fâcheux, dit Saffredent, ne changeraient pas leur honnêteté à la vôtre. Mais n'en parlons plus... « Source : Beaumarchais (Jean-Pierre de) et Couty (Daniel), Anthologie des littératures de langue française, Paris, Bordas, 1988. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

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