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Marivaux-Beaumarchais-Moliere

Publié le 02/12/2012

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MARIVAUX, LE JEU DE L'AMOUR ET DU HASARD Le travestissement entre maîtres et valets répond à la volonté de faire coïncider l'identité sociale et ce que dicte l'union des coeurs, c'est-à-dire de soumettre l'exigence sociale à l'épreuve de la "nature", sans laquelle rien n'est vrai, ni solide : c'est ici la démarche d'Orgon, véritable ordonnateur de la comédie. Le texte se fonde sur des valeurs qui seront reprises au cours du siècle (cf Diderot, Rousseau, en particulier).Tout se terminera finalement pour le mieux : les personnages se reconnaîtront selon leur rang. L'ordre social est "reconnu" par les coeurs, mais, au cours de la pièce se posent le problème de la mésalliance, et celui du mérite face la naissance (III 8). La pièce propose une réflexion de fond qui animera toute la société du XVIII° siècle. Par conséquent, même si l'ordre social se trouve confirmé à la fin de la pièce, les préjugés de caste sont cependant dénoncés, le temps du spectacle, parce qu'ils s'opposent au monde des sentiments et à l'exigence de bonheur... sentiments qui priment l'exigence sociale. Dorante et Silvia appartiennent à l'aristocratie, mais leur exigence de transparence et de fidélité est en opposition avec le libertinage de leur milieu (cf Dom Juan, plus tard, Les Liaisons dangereuses). Il s'agit d'une vision bourgeoise idéale du mariage, qu'il faut replacer dans l'émergence de la personne individuelle au XVIII°siècle : Monsieur Orgon n'a rien d'un père de Molière, par exemple.Par conséquent, le discours amoureux reprend et parodie en même temps le code de l'Amour courtois, ainsi que le langage de la préciosité. Cette filiation et cette distance s'expriment dans deux domaines : le discours des maîtres, qui trahit immédiatement leur appartenance sociale, et celui des valets, qui l'imite avec le même insuccès. Dans les deux cas, la condition sociale transparaît à travers le langage. Les valets ont beaucoup des droits des maîtres. Ils peuvent conseiller, moquer et réprimander leurs maîtres. Pourtant, les manières du valet et de la suivante sont sottes et trahissent l'appartenance à une classe inférieuse. Ils ne sont pas raffinés mais impulsifs et assez vulgaires. Les scènes amoureuses entre Arlequin et Lisette montrent la bêtise des valets, selon Marivaux. Ils ne s'occupent longtemps avec le badinage comme leurs maîtres et, quand ils l'utilisent, c'est de vulgaire façon et maladroite. Ils ont une naïveté qui révèle leur ignorance intellectuelle. Par exemple, Arlequin dit à la suivante, "Cher joujou de mon âme! Cela me réjouit comme un vin délicieux, quel dommage de n'en avoir que roquille!" (Acte II, scène 3). Leurs métaphores et images sont sottes et inopportunes. Le fait que les valets proclament si vite leur amour prouve leur infériorité intellectuelle. Arlequin est le valet le plus célèbre de la comédie italienne. C'est un personnage plein de joie et de drôlerie dont la tradition théâtrale et la peinture ont immortalisé le costume losangé et bariolé, le sabre de bois (sa fameuse " batte ") et les pantomimes. Dans Le Jeu de l'amour et du hasard, il a perdu son costume puisqu'il apparaît d'emblée en habit de maître, sous le nom de Dorante, et garde ce déguisement jusqu'à la fin de la pièce. Pourtant, s'il joue les seigneurs, Arlequin n'a rien perdu de son caractère comique, de son babillage et d'un autre trait plus spécifique : la gourmandise. Mais ici elle se manifeste surtout en matière amoureuse par une grande impatience. Arlequin, avant même de voir Lisette-Silvia, est déjà pressé de conclure le mariage et ne dédaigne pas, en passant, d'adresser quelques galanteries à la fausse Lisette ! Avec la vraie Lisette, qu'il pense être une jeune fille de condition, il brûle aussi les étapes : [...] un amour de votre façon ne reste pas longtemps au berceau ; votre premier coup d'oil a fait naître le mien, le second lui a donné des forces, et le troisième l'a rendu grand garçon ; tâchons de l'établir au plus vite [.] " (acte II, sc. 3). Arlequin, toujours pressé, obtiendra rapidement de Lisette l'aveu de son amour. Au-delà du comique qu'elle engendre, cette précipitation est très significative : tout d'abord, elle fait d'Arlequin le personnage du plaisir immédiat et en cela le valet se distingue des maîtres pour qui le bonheur est toujours différé et retardé. Ensuite, cette hâte traduit le désir du valet de profiter de son costume de maître. Il en tire quelque vanité, c'est-à-dire une conscience neuve de ses mérites ; il en use, sans complexes, pour s'établir chez Orgon (acte I, sc. 9), traiter avec rudesse Silvia prise pour une servante (acte II, sc. 6), courtiser Lisette (acte II, sc. 2 à 6) et se moquer de son maître. Tout cela en dépit des convenances et des rappels à l'ordre. Arlequin est précisément le personnage de l'inconvenance, par sa précipitation, ses manières, sa conduite amoureuse, son langage. Il devait être l'allié de Dorante ; il offre, en fait, une caricature de son maître, passant d'une grossièreté joyeuse à une politesse affectée et parodique. Il résiste à son maître et, comme un bouffon, finit par se jouer de lui : lorsque Lisette lui confie que Silvia n'est autre que la jeune fille de la maison, il garde le secret et laisse Dorante dans l'erreur (acte III, sc. 7). Arlequin est moins ici un valet fourbe qu'un valet rival de son maître. Il se prend au jeu d'autant plus volontiers que le jeu le sert. Il est conscient qu'il reste un valet mais il profite du déguisement pour s'affirmer et conquérir le bonheur. Le personnage de Lisette paraît entrer dans un schéma classique de la comédie : elle est la servante qui aide sa maîtresse dans une intrigue amoureuse. Elle doit être à la fois sa confidente et sa complice. Mais cette complicité traditionnelle qui est, en fait, une marque de sujétion, prend un aspect très différent dans Le Jeu. Certes Lisette accepte de participer au stratagème de Silvia et ainsi semble toute dévouée aux intérêts de la jeune fille. Mais cette soumission apparente cache une opposition entre maîtresse et suivante : Lisette ne partage pas l'aversion de sa maîtresse pour le mariage et revendique l'égalité des cours sinon l'égalité du rang (acte I, sc. 1). Lisette n'est donc pas une pâle copie de Silvia : la vivacité de sa parole, son sens de la répartie font d'elle une servante pleine d'esprit qui n'hésite pas à discuter les avis de sa maîtresse (acte II, sc. 7). De plus l'intrigue et le déguisement lui donnent une autonomie dont elle se sert pour rivaliser avec Silvia sur le terrain des sentiments. Ne croit-elle pas " souffler " Dorante à sa maîtresse ? Le schéma de la complicité entre maîtresse et suivante se transforme donc en schéma de rivalité entre femmes sur le terrain de la coquetterie et de la séduction. Pour Lisette l'amour du faux Dorante est inespéré : elle y succombe d'autant plus vite qu'il représente pour elle une sorte de triomphe personnel. Un triomphe d'autant plus éclatant qu'elle croit que sa jeune maîtresse, dans le même temps, n'a su se faire aimer que d'un domestique. Si elle reçoit une sorte de " leçon " de Silvia dans le premier acte (sc. 1), elle prend une revanche. Et particulièrement au cours du deuxième acte où elle accepte de bien mauvaise grâce de réintégrer son rôle de domestique. Elle fait même preuve d'impertinence vis-à-vis de sa maîtresse (acte II, sc. 7). On ne peut donc réduire Lisette à un type figé. Elle est dans Le Jeu autant femme que femme de chambre. Elle reste une servante : elle est l'instrument dont Orgon se sert pour piquer l'amour-propre de sa fille et elle n'épouse finalement qu'un domestique. Pourtant elle est promue par le déguisement et par la symétrie des intrigues au rang de rivale de Silvia (de façon plus convaincante qu'Arlequin vis-à-vis de son maître). Trompée comme Silvia par le jeu des masques mais aussi aimée comme elle, elle est temporairement détentrice d'un pouvoir supérieur à celui de sa maîtresse : elle joue les " grandes dames " quand Silvia reçoit les humiliations réservées aux femmes de chambre. Ce pouvoir nouveau effraye un peu Lisette mais elle l'utilise pour réaliser son bonheur qu'elle atteint avant même sa maîtresse. Elle justifie les paroles qu'elle prononçait dans la première scène pour revendiquer l'égalité en matière de sentiment : " Mon cour est fait comme celui de tout le monde [...] si j'étais votre égale, nous verrions. "  Dorante est le symbole typique d'un amant roccoco. Suivant les théories de l'amour courtois et des amants précieux, Dorante perd son contrôle émotionnel. Il doit adorer la femme tandis qu'il la respecte. L'homme doit se soumettre aux demandes de la femme, être patient et fidèle. Dorante souffre de l'amour parce qu'il doit faire sens de la beauté de Silvia, de son propre désir (que la raison contredit) et de la différence entre la classe apparente de Silvia et sa classe véritable. Dorante est un jeune homme qui joue bien le jeu de la tendresse et qui fait les choses qu'on attend de lui. Il possède une élégance sociale et un esprit vivant. Lisette l'appelle, "Un des plus honnêtes du monde, ...il est bien fait, aimable, de bon mine, ...on ne peut pas avoir plus d'esprit, ...on ne saurait être d'un meilleur caractère" (Acte I, scène i). C'est un homme raisonnable et pratique qui est conscient de ses affaires, de ce qui le concerne. Il lutte contre sa passion mais en vain. Il reste à la merci de Silvia.  Selon Silvia (et selon son père et son frère), les domestiques sont des sots qui ne méritent pas l'égalité sociale. En parlant avec son père et frère, Silvia proclame que "les valets sont naturellement indiscrets, l'amour est babillard, et j'en ferai l'historien de son maître" (Acte I, scène v). La maîtresse montre son orgueil aristocratique quand elle dénonce les paysans en disant, "je n'épouserai jamais qu'un homme de condition" (Acte I, scène vii). Donc elle est étonnée quand elle ressent l'amour pour Dorante "Voilà un garçon qui me surprend malgré que j'en aie" (Acte I, scène vii). Silvia se sent naturellement supérieure à cause de sa mentalité aristocratique. Elle est une personne de qualité, ayant une position et de ressources économiques, et elle le sait.  Malgré son bon sens, Silvia est contrôlée par sa volonté dans Le jeu de l'amour et du hasard. Ses émotions l'étonnent et la conduisent dès qu'elle rencontre le noble Dorante, qu'elle croit être un valet. Elle dit de lui, "Ce garçon-ci n'est pas sot" (Acte I, Au contraire de l'amour de Lisette et d'Arlequin, le "jeu de l'amour" pour Silvia et Dorante est de découvrir la vraie passion qu'ils éprouvent l'un pour l'autre. Il faut déguiser les sentiments amoureux pour exciter le désir; c'est une partie de la séduction. Il est important que Silvia ne cherche pas à transcender l'amour physique, mais plutôt à le remettre pour intensifier les sentiments d'extase et de désir. Le fait que Silvia se soumette à ses désirs à la fin de la pièce fait d'elle une femme de l'époque roccoco. Elle n'est pas du tout libertine, mais elle donne une valeur égale à la passion et à la raison. Il est convenable que ses sentiments et ses moeurs la mènent à la même conclusion: Selon elle, Dorante est suffisamment charmant et logique pour qu'elle puisse lui donner le reste de sa vie. Le "jeu" consiste en badinage amoureux, en déguisements, en jeux de mots. Les mots séparent l'homme de la femme. Comme maîtresse typique de ces temps et de cet endroit, Silvia distingue clairement l'amour-tendresse et l'amour-désir et elle fait usage de l'un pour augmenter l'autre. Ces détours subtils de l'intrigue, des mots, des moeurs religieuses font le style capricieux de la Régence et du règne de Louis XV: le marivaudage. MOLIERE, DOM JUAN Le couple maître-valet Les deux protagonistes principaux sont presque toujours en scène, et ensemble. La plupart des scènes sont organisées autour de leur dialogue. Leurs rapports apparaissent donc en même temps fondamentaux dans la pièce et complexes. 1 - Deux révélateurs La présence de Sganarelle s'explique par des considérations d'ordre dramaturgique : dans une comédie de caractère, le personnage principal ne saurait être isolé ; il a besoin d'un regard extérieur ou d'un faire-valoir. Sganarelle remplit ces deux fonctions. Ainsi Sganarelle exprime-t-il la réprobation morale que lui inspire Don Juan : ce dernier, dans les paroles de son valet, apparaît comme vil, immoral, athée, ... Plus étonnant, l'inverse aussi est vrai : Sganarelle est autant révélé par Don Juan que ce dernier l'est par son valet. Le maître éclaire constamment les traits caractéristiques de la personnalité de son serviteur : verbiage, crédulité, lâcheté, gourmandise, etc. Mais la révélation de l'un par l'autre va plus loin : en révélant l'autre, ils se révèlent eux-mêmes. Lorsque le valet souligne l'impiété de son maître, c'est sa piété frustre qu'il met en valeur ; par le plaisir que Don Juan montre à enfermer Sganarelle dans ses propres contradictions, c'est sa cruauté qu'il met en valeur. 2 - Deux personnages indissolublement liés a - La "soumission" de Sganarelle Il est le valet de Don Juan (c'est du moins ce que dit la distribution, en fait on ne le voit jamais accomplir de besognes serviles, il semble plutôt être plutôt son homme de confiance, un critique a dit « son intendant «) et lui doit donc obéissance. Il a peur de son maître (I, 1 et de nombreux autres endroits de la pièce). Mais en même temps il ne craint pas parfois de le défier, même si cela se produit la plupart du temps en son absence. Il est capable de faire preuve d'une certaine ironie, appliquant les ordres de Don Juan à la lettre sans en respecter l'esprit ("- Traître, tu ne m'avais pas dit qu'elle [Elvire] était ici elle-même - Monsieur, vous ne me l'avez pas demandé" (I, 2)) Il va parfois jusqu'à dire ses quatre vérités à son maître, il est vrai le plus souvent avec l'accord de ce dernier. Il agit même par trois fois contre les intérêts de Don Juan (I, 1 ; II, 3 & II, 4). Une fois même il réussit à fléchir Don Juan (le déguisement entre les actes II & III). En fait Sganarelle est davantage un auxiliaire, un homme de confiance, qu'un valet. Don Juan possède d'autres serviteurs (La Violette, Ragotin, La Ramée) à qui sont confiées les différentes tâches matérielles). Jamais au cours de la pièce, Sganarelle ne se livre à une occupation domestique. Il semble qu'au-delà de sa peur, il ressent de la fierté de servir un maître hors du commun ("Oh ! quel homme ! quel homme !" V, 2) et de le percer à jour ("je sais mon Don Juan sur le bout du doigt" I , 2) b - La dépendance de Don Juan Si Sganarelle semble n'avoir aucune existence en dehors de celle que lui procure son maître, Don Juan, de son côté, a foncièrement besoin de son serviteur. Il ne s'en sépare qu'exceptionnellement ("Je voudrais bien savoir pourquoi Sganarelle ne me suit pas" II, 4). Sganarelle est pour lui un serviteur irremplaçable : c'est lui qui est chargé de l'aider dans ses entreprises amoureuses ; c'est lui sur qui Don Juan essaie de se débarrasser des corvées (l'affrontement avec Elvire I, 3) ; c'est à lui qu'il se confie (V, 2) Mais de plus Don Juan a besoin d'un faire-valoir et d'un témoin : la présence réprobatrice mais impuissante de Sganarelle met en valeur la force de ses théories et l'audace de ses actions. Enfin le libertin semble parfois un peu effrayé par son valet. Il semble avoir conscience que ce dernier représente tout ce qu'il combat, et finalement tout ce qui aura raison de lui. Aussi, s'il lui accorde souvent l'autorisation de parler, il le fait souvent taire assez violemment (I, 2 ; III, 5 ; IV, 1) Conclusion : les sentiments Sganarelle et Don Juan sont donc très divisés dans les sentiments qu'il éprouvent l'un envers l'autre. De l'attachement à la haine, toute la gamme est sollicitée. Le valet ressent pour le maître une véritable affection, ainsi qu'une profonde admiration ; mais il lui est lié par la peur et en arrive aussi à le haïr. De même Don Juan éprouve pour son valet de la familiarité, de la gentillesse, de l'intérêt ; mais que de cruauté aussi ; et parfois que de haine ! Les personnages ne parviennent pas à faire la part de leurs sentiments.Ils se repoussent et s'attirent mutuellement opposés et confondus en même temps. Sans doute ces ambiguïtés fondamentales ne sont-elles que le reflet de l'ambiguïté profonde que Molière ressent pour le personnage-titre. Certes il critique Don Juan ; mais en même temps il ne peut s'empêcher, comme Sganarelle, de l'admirer ; il met ainsi en valeur une certaine grandeur du personnage. S'il juge Don Juan "un grand seigneur méchant homme", il n'en est pas moins, comme le valet, fasciné par lui. I Une relation maître-valet :   A.    Sganarelle, un simple valet de longue date Sganarelle est au service de Don Juan : il le sert à table, reçoit des ordres et se soumet à ses moindres désirs. Il lui obéit et reçoit parfois des soufflets. Don Juan se sert de lui dans toutes les occasions, même lors de ses escapades amoureuses, ainsi il dit, à la scène 3 de l'acte I : « Allons songer à l'exécution de notre entreprise amoureuse «.  Il semblerait que Sganarelle travaille pour lui depuis longtemps, une sorte de complicité, voire même d'intimité s'est créée entre eux. Sganarelle le précise lui même dans l'acte  I, scène 2 (p. 15) : « Eh ! Mon Dieu, je sais mon Don Juan sur le bout des doigts... «. De part sa parfaite connaissance de Don Juan, Sganarelle est devenu bien plus qu'un simple valet : il estmaintenant son confident. B.     Un confident, un juge Sganarelle semble être le seul personnage de la pièce à véritablement connaître les intentions de Don Juan (c'est d'ailleurs lui qui permet aux spectateurs de savoir ce que le tyrannique libertin pense). Ainsi, alors que son père a cru à son repenti sous les yeux de Sganarelle, qui croit aussi en la bonne foi de son maître, celui-ci lui avoue la vérité, dans la scène 2 de l'acte V (p. 115) : « Quoi ? tu prends pour bon argent ce que je viens de dire, et tu crois que ma bouche était d'accord avec mon coeur ? «. Alors qu' Elvire vient de débiter une longue tirade sur l'amour qu'elle porte à Don Juan, Sganarelle est très ému, contrairement à son maître qui lui dit tout le fond de sa pensée : « Sais tu bien que j'ai encore senti quelque peu d'émotions pour elle [...] ? « (Acte IV, scène 6, p. 106). Pourtant, Sganarelle ne se contente pas d'écouter : il tente aussi de le prévenir des conséquences de la vie qu'il mène. A la fin, à l'acte V, scène 2 tellement affolé par le comportement de son maître, il finit par le supplier de changer de vie et tâche de l'affoler : « Après cela, si vous ne vous rendez, tant pis pour vous «, «  vous serez damnez de tous les diables « (p. 119). Don Juan lui même l'amène à prononcer un jugement, à émettre une idée. Comme avec toutes les personnes qui l'entourent, Don Juan est tyrannique avec son valet. II Don Juan, un maître tyrannique : A. Sganarelle, un valet rudoyé Il semblerait que Don Juan prenne du plaisir à tyranniser son valet car cela pourrait prouver sa force, sa domination sur le monde, sur SON monde. Ainsi, il s'amuse à le terroriser alors que la Statue animée du commandeur arrive en plein dîné : « Bois, et chante ta chanson, pour régaler le Commandeur « (IV, 8, p. 111). Pour lui, il ne fait aucun doute que son fidèle valet l'accompagnera au dîné de cet homme qu'il a tué : « Je viendrai accompagné du seul Sganarelle « (idem). L'adjectif « seul « ne prouverai t'il pas son envie de le rudoyer ? Nous comprenons mieux pourquoi Sganarelle dit : «  Il n'y a que moi seul de malheureux « ou « Il me vaudrait mieux d'être au diable que d'être à lui «. Alors que les frères d' Elvire sont à la recherche de Don Juan pour venger l'outrage et donc le tuer, Don Juan veut que son valet prenne ses vêtements, et donc prenne le risque de mourir à sa place : « Allons vite, c'est trop d'honneur que je vous fais, et bien heureux est le valet qui peut avoir la gloire de mourir pour son maître « (II, 5, p. 60). C'est finalement le pauvre Sganarelle qui trouvera une solution. Face au rudoiement de son maître, il semble normal que Sganarelle ne cesse de le critiquer. B.  Sganarelle ou un critique virulent de son maître Le valet critique sans limites son maître, aucuns termes ne semblent assez forts pour le définir : sa hargne s'accumule dans des emportements lourds d'insultes. Face à la tyrannie de son maître, Sganarelle le critique très vivement, souvent lorsqu'il n'est pas là. Ainsi, il le qualifie, dés la scène 1 de l'acte I (p. 12),  de « pourceau d' Epicure « (l. 6) « vrai Sardanapale « (l. 7), « hérétique « (l. 5)... Il présente son maître comme un libertin sans aucune morale : « rien n'est trop chaud ni trop froid pour lui «. Il a tenté de raisonner son maître à propos de ses moeurs qu'il n'approuve pas mais en vain, Don Juan ne suivra pas ses conseils et finira emporter enfer. Il prend parti pour les victimes de Don Juan, et particulièrement pour la pauvre Elvire, séduite puis abandonnée : "Pauvre femme" (IV, 6, p. 105) et va même jusqu'à insulter son maître : "coeur de tigre" (idem).   III Sganarelle, un valet admiratif de son maître : A. La volonté d'imiter son maître Sganarelle est présent tout au long des aventures de Don Juan mais n'approuve pas les actions de son maître. Il feint de ne faire que son travail de valet mais en réalité il l'admire : « Ah quel homme ! Quel homme ! « (après la visite de Dom Juan chez son père). Contrairement à Don Juan, il est ignorant mais essaye de l'imiter en mettant en avant une érudition pédante mal maîtrisée, dés la scène 1 de l'acte I : « pourceau d' Epicure « (l. 6, p. 12) : il n'a pas compris la véritable philosophie d' Epicure qui a montré l'intérêt psychologique du plaisir. Il utilise un langage populaire malgré une longue tirade apparemment bien maîtrisée sur le tabac : il compare son maître à une « bête brute « (I, 1, p. 12, l. 6). Il est incapable de soutenir un raisonnement argumentatif, comme sait si bien le faire Don Juan pour amener ses victimes à reconnaître la loi du plaisir. D'ailleurs, face à Gusman, en soutenant l'interet du tabac, il se présente comme son maîtren en véritable "gentilhomme libertin", il tient même une tabatière qu'il tient probablement de son maître. Certes, il est pieux mais met au même niveau la religion et la superstitions : d'après lui son maître ne croit « ni Ciel, ni Enfer, ni Loup garou « (I, 1, p. 12, l. 5). Il va même jusqu'à pousser le Pauvre de la scène 2 de l'acte III (p. 71, l. 36) à jurer : "va, va, jure un peu, il n'y a pas de mal". B. Un couple inséparable Le couple Don Juan/ Sganarelle est inséparable et c'est bien là que réside le paradoxe de leurs relations : en la présence de son maître, le valet oublie qu'il n'est qu'un "pauvre type". Il a besoin de le voir pour l'imiter, de le suivre pour avoir l'impression de lui ressembler. Sganarelle vit à travers de Don Juan : il est très rare qu'il utilise la première personne du singulier et il se définit à travers lui et ce dés la scène 1 de l'acte I. Il est fasciné par son maître et ne pourrait plus se passer de lui. Nous comprenons mieux sa tristesse à la mort de Don Juan à la scène 6 de l'acte V (p. 127) : "Il n'y a que moi de malheureux". Don Juan, lui, a besoin de Sganarelle car, à force de provocations et de médisance, il finit par être détesté de tous, ce que nous pouvons voir dans les dernières paroles de son valet : "Voilà par sa mort un chacun satisfait" (p. 127). Seul son fidèle valet est à son écoute et est là pour lui, ce qui renforce son rôle de confident. Don Juan et Sganarelle sont donc complémentaires et c'est bien pour cette raison que l'un ne peut pas se passer de l'autre.   Les relations Don Juan/Sganarelle mettent en lumière l'habileté et le génie moliéresque. A la fois opposés et complémentaires, les deux hommes finissent par ne plus pouvoir se passer l'un de l'autre. Comme nous pouvions nous l'imaginer, à la mort de Don Juan, Sganarelle, d'ailleurs joué par Molière lui-même, est triste mais, ici encore, leurs relations paradoxales sont encore représentées : malgré sa tristesse, le valet semble plus préoccupé par ses gages non payés. Ses cris "Mes gages ! Mes gages" cloent la pièce. BEAUMARCHAIS, LE MARIAGE DE FIGARO  Dans le "Mariage de Figaro" la relation entre les deux personnages évolue : Figaro travaille officiellement au service du Comte, il est concierge du château et vient même d'être promu au grade de "courrier de dépêche"à l'ambassade du Comte à Londres. A priori,le maître a soin de l'ascension sociale de son valet et on pourrait voir dans cette attitude une tendance à gommer les différences sociales en reconnaissant la valeur des plus humbles; Mais, cette promotion relève d'une stratégie qui est conforme à la supériorité du maître. En effet, Suzanne nous apprend dés la première scène que le Comte a résolu d'en faire sa maîtresse. Aussi,  la relation entre le maître et le valet va-t-elle devenir conflictuelle au point que le but de la pièce n'est autre que de confondre le Comte et de le prendre à son propre piège : Une relation d'opposition, de rivalité très précisément, s'installe dés le début de la pièce et il faudra attendre " La Mère coupable" pour que les relations de complicité s'installent à nouveau entre Figaro et son maître. Les propos de M.Gudin, censeur de la pièce de Beaumarchais, réduit d'ailleurs la comédie à cet aspect : " Cette pièce, où l'on peint un insolent valet / disputant sans pudeur, son épouse à son maître." Dés lors, Figaro va mettre son talent au service de son propre intérêt et la stratégie figaresque l'emportera sur celle du comte : ce n'est plus le maître qui va dominer le valet mais le contraire. Il sera craint par le Comte qui devra toujours se méfier de lui à défaut de pouvoir l'évincer. Au nom de sa liberté qu'il est en train de conquérir, au nom de son amour pour Suzanne, il démasquera son maître et rétablira l'ordre social et sentimental . Son rôle dans l'action est prépondérant et il sera un adjuvant actif au service de la comtesse . Lorsqu'elle affirme à Suzanne, d'un ton péremptoire :" tu épouseras Figaro..", c'est certes par affection sincère pour sa camériste mais aussi parce qu'elle est consciente que son mari " ne [l]'aime plus du tout" et sauver le mariage de Figaro et de Suzanne, c'est sauver le sien. Tout naturellement, elle reconnaît l'importance de Figaro dans cette entreprise : "Lui seul peut nous [...] aider."( II, 1) Figaro joue alors le rôle d'un" agent double" ( Jacques Scherrer dans : "la dramaturgie de Beaumarchais") et s'affranchit de sa subordination au Comte. C'est un personnage qui occupe le devant de la scène : personnage de la parole débridée, capable du plus long monologue jamais mis dans une comédie, gai, courant de droite et de gauche, échafaudant stratégies et pièges, Figaro est partout là où on ne l'attend pas. Si Beaumarchais a préféré "La folle journée ou le mariage de Figaro" au titre initialement prévu "L'époux suborneur", c'est qu'il voulait faire du valet le personnage principal de sa comédie et montrer que le mariage des valets est un véritable sujet de comédie. Enfin, Figaro a un rôle moral : il est le redresseur de tort. S'opposer au comte pour sauver son couple c'est faire abolir le "droit du seigneur" et faire admettre que la condition sociale n'est pas un viatique pour tromper sa femme et ravir celle des autres. La "disconvenance sociale", tel est bien le sujet qui occupe cette comédie en apparence légère, est dénoncée farouchement par le valet, personnage qui, tradition oblige, était habitué à subir sans rien dire, ou presque. Figaro sauve son couple et celui de son maître et si " tout fini-it par des chansons..." c'est bien grâce à Figaro, personnage aux multiples facettes : " Jamais fâché ; toujours en belle humeur ; ... ; sémillant, généreux" selon Marceline ( I, 4), "un maraud, ..., un fripon" (III,8) selon le comte, tantôt faisant rire, tantôt faisant réfléchir ( V,3), rusé, inventif : c'est de loin le personnage le plus sympathique de la piece    Loin de considérer la pièce de Beaumarchais comme une avancée vers la révolution, loin de penser que Beaumarchais est un révolutionnaire parce qu'il fait dire à figaro dans son monologue : "  [...] Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie ! ... noblesse, fortune, un rang, des places ; tout cela rend si fier ! qu'avez-vous fait pour tant de biens ! Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. Du reste homme assez ordinaire ! tandis que moi, morbleu..." il convient toutefois de reconnaître que les relations sociales ont évolué. En 1785, date de la première représentation du " Mariage de Figaro", ( même si le contexte historique de la pièce est celui de 1768), les classes sociales sont en mutation et les titres de noblesse héréditaires sont largement contestés : on prend peu à peu conscience que la valeur de l'individu est indépendante de la fortune et que la position sociale n'est que le fruit du hasard de la naissance. Gardons-nous de faire de cette comédie une pièce politique et considérons, comme le précise l'auteur lui-même que : "[ses] deux comédies espagnoles ne furent faites que pour préparer" la dernière pièce de la trilogie "La mère coupable"pour dénoncer "l'autre Tartufe" et faire du Comte "un être bon". Certes le drame se passe en 1790, après la révolution française, le comte s'appelle "Monsieur" et vit non plus dans un château près de Séville mais dans un hôtel particulier à Paris, mais il ne se plaint pas d'avoir perdu ses privilèges, au contraire,  ce sont ses domestiques, Figaro et Suzanne qui déplorent que le comte ne se fasse plus appeler Monseigneur ! ( I,3 " La mère coupable") 1)      jeu du tutoiement et du vouvoiement Figaro est respectueux envers le comte, par les mots, il le vouvoie, il l'appelle « monseigneur « . C'est un beau parleur et un serviteur zélé. Il dévalorise le comte avec son sens de la répartie. C'est un « serviteur rusé «. Il a réponse à tout. Figaro incarne l'image d'un homme qui trompe son maître, et qui est en rivalité avec lui-même sur le plan de l'amour (Suzanne). Le comte est dans le doute. Il adresse des phrases blessantes à Figaro(« une réputation détestable «). Il est agacé par les interventions du valet, il est impatient, il a l'habitude qu'on lui obéisse. Dans leur duel verbal, il tutoie Figaro pour le rabaisser, alors qu'au début de la scène, il le vouvoyait. Il existe une véritable relation de compétition entre le comte et Figaro. Le valet juge son maître sans indulgence, et n'hésite pas à faire part de ses jugements. Figaro veut faire preuve d'autonomie, affirmer sa personnalité, il ne veut pas être soumis. Figaro a souvent des répliques insolentes (« n'humilions pas l'homme qui vous sert «). Le comte lance les sujets, Figaro, lui, réplique ou les détourne habilement ( Il limite un reproche indirect, en passant par le vouvoiement). Vérité générale avec « on « : "Vous lui donnez, mais vous êtes infidèle. Sait-on..."). Figaro a une position dominante. 2)      L'affrontement de deux groupes sociaux L'affrontement verbal va se doubler d'une affirmation sociale. En effet, la noblesse, représentée par le comte, et le peuple, représenté par Figaro s'opposent. Figaro impose ses idées en temps qu'homme du peuple, effronté, courageux et intelligent. Il défend les valets. Le comte est un seigneur libertin et dominateur, il est noble, et a tout eu à sa naissance, il n'a pas de mérite réel. De plus, il montre un certain mépris envers les serviteurs. Pour lui ce sont des gens que l'on peut acheter, car ils sont inférieurs. Figaro va s'intéresser à la classe ouvrière, et va rappeler que malgré leur rang social, les domestiques sont aussi des être humains. Le comte et Figaro ont en commun de convoiter la même femme, d'être menacé de cocuage, et tous deux cherchent un moyen pour duper l'autre. Figaro, même s'il défend son intérêt personnel, est aussi le porte-parole des hommes du peuple. L'enjeu personnel se double d'un enjeu social.  Conclu :Cette scène est très représentative de la tonalité des relations entre le comte et Figaro. La complicité qui les rapprochait dans le Barbier de Séville s'est transformée en rivalité. Chacun se demande ce que devient l'autre, mais seul Figaro connaît les intentions de son adversaire. Lors du duel verbal, le comte se heurte à une « défense serrée «. Dans cette scène, on assiste au jeu du valet lucide, authentique et intelligent face à un maître dont l'image pâlit. 

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