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MENSONGE ROMANTIQUE VERITE ROMANESQUE RENE GIRARD

Publié le 18/10/2010

Extrait du document

mensonge
 
Introduction
 
I. Le désir triangulaire
1.1 La présence de l’autre
 
1.2 .La médiation interne et le désir mimétique
II. La perte des différences entre les hommes
 
1. Les sentiments modernes : la jalousie, l'envie et la haine
2. La médiation double
III. Les fruits du désir métaphysique
 
3. L'ascèse du héros
4. Masochisme et sadisme
 
Conclusion
 
 
 
Introduction
Vous avez craqué pour une nouvelle cravate ou un nouveau sac à main. Vous êtes allé voir «Titanic «. (Et vous avez adoré, il va sans dire).En opérant l’un de ces choix, vous êtes persuadé(e) d’avoir été parfaitement libre et autonome dans votre jugement ou votre décision, de n’avoir été inspiré que par votre goût et vos convictions personnelles. Eh ben NON dit René Girard, dans cet essai philosophico-littéraire intitulé « Mensonge romantique et vérité romanesque «.
Nous nous croyons libres, autonomes dans nos choix, que ce soit celui d’une cravate ou celui d’une femme. Selon René Girard, il s’agit d’une illusion romantique. En réalité, nous ne choisissons que des objets déjà désirés par un autre. René Girard propose, à travers une analyse entièrement originale des romans les plus célèbres de tous les temps, d’élucider un des problèmes les plus controversés de notre temps: quels sont les motifs cachés dans les conduites humaines en apparence les plus libres ?
René Noël Théophile Girard est à la fois Historien, philosophe, homme de lettres français. Il est né le 25 décembre 1923, à Avignon. Et a étudié en France et aux Etats Unis où Il enseigne ensuite la littérature comparée à l’université de Stanford, à la John Hopkins University de Baltimore, puis à l’université de Buffalo. Membre de l’Académie française depuis 2005, René Girard est auteur de nombreux livres.
Selon lui, l’homme n’a pas de désir propre si ce n’est celui qu’il voit s’exprimer chez les autres. C’est « en imitant le désir de mes semblables, écrit-il, que j’introduis la rivalité dans les relations humaines et donc la violence «. Cette rivalité mimétique conduirait donc à l’expulsion de la violence sur une victime émissaire.
Pour Pierre Bottura dans Chronicart «Mensonge romantique et vérité romanesque de René Girard, paru en 1961, un texte indispensable, essentiel et qui pourtant ne dit que trois choses
1-, le désir est social.
2-, l’identité est une imitation d’autrui.
3-, la littérature est un combat du romanesque contre le romantique, c’est-à-dire de la vérité contre le mensonge. «
    René Girard dans Mensonge romantique et Vérité romanesque, analyse les œuvres, les recoupent, tente de créer des liens entre elles et leurs différences. Selon lui, tous les grands personnages romanesques ont des désirs mimétiques.
 
    La lecture du premier chapitre de Mensonge romantique et vérité romanesque a été décisive pour le choix de la thématique de ce travail. René Girard expose dans ce premier chapitre, intitulé Le désir triangulaire, une évolution sommaire du désir métaphysique d'après quelques personnages clefs des romans de Cervantès, Stendhal, Flaubert, Proust et Dostoïevski. Les personnages romanesques de ces auteurs sont, d'après Girard, victimes du désir ontologique, ils ne sont pas libres de formuler leur sentiment, ils aliènent inconsciemment leur liberté métaphysique à un autre, à un médiateur. Nous allons essayer de retracer et d'expliquer ce concept théorique. Cependant (ce travail ne pouvant dépasser une certaine envergure), nous ne pourrons ni prendre en compte tous les auteurs évoqués dans MRVR, ni considérer l'ensemble de l'œuvre des auteurs que nous avons choisi. Notre choix s'est porté sur Cervantès Stendhal et Proust ; d'une part Cervantès dans la mesure qu'il présente avec Don Quichotte un exemple type de médiation externe, d'autre part Stendhal et Proust parce que la mise en lumière des turpitudes engendrées par la médiation interne est indubitablement un point phare de leur création littéraire. Une analyse de l'emprise que la médiation prend sur les couples principaux de ces auteurs constituera donc l'intérêt de ce travail.
    Nous allons dans un premier temps parler du désir triangulaire justifié par la présence de l’autre et le désir mimétique Ensuite des sentiments modernes et de la double médiation et enfin des fruits du désir métaphysique.
    Avant de commencer nous aimerions clarifier certains concepts nécessaires à la compréhension de ce livre Mensonge Romantique : Le mensonge romantique est donc cette tentative de présenter des héros totalement autonomes dans leur capacité de désirer ; ils avancent dans l'existence, s'y déploient solitairement, sans nécessiter le recours au médiateur. Or ce dernier est toujours présent ; on veut nous le cacher et cette tentative n'est rien d'autre qu'une imposture, un mensonge Vérité Romanesque : Dans une œuvre littéraire, si le médiateur est révélé on a affaire à la vérité romanesque sinon il s'agit de mensonge romantique. Jean Cohen dit du roman qu’il est romanesque lorsqu’il dit la vérité de l’homme et romantique lorsqu’il la dissimule. (Aspects nouveaux de l’analyse littéraire p.465)
 
I- Le désir triangulaire
  L'homme ne désire pas l'objet en soi, il copie le désir de l'autre (son"double").
 
     1.1. La présence de l’Autre
 
    Pour René Girard. L'homme est d'une manière ou d'une autre toujours influencé par la création humaine, par les Autres. Les œuvres qui nient cette évidence sont inintéressantes, elles ne permettent aucun travail sur soi-même. Ces œuvres Girard les rassemble sous le terme de romantique. Selon lui, elles la relation aliénante que tout lecteur souffre avec le monde réel. Les grandes œuvres seront donc celles qui dépassent la circonférence de l'univers romantique, celles qui dévoilent aux lecteurs la dépendance de l'autre, obligeant les hommes les uns envers les autres. Une fois le dépassement accompli, l'œuvre sera qualifié de romanesque. Il nous faut donc reconsidérer la terminologie littéraire sous ce nouvel angle. Un roman romantique du début du XIX siècle doit, s'il dévoile l'illusion de l'individualisme et du désir spontané, dès lors être classé dans la catégorie des œuvres romanesques.
Don Quichotte imite Amadis qui choisit pour lui. Il devient son modèle et le médiateur de son désir. Don quichotte devient la victime exemplaire du désir triangulaire ainsi que l’écuyer Sancho de Panza. Dans les romans de Flaubert Emma de Bovary désire à travers les héroïnes romantiques qui remplissent son imagination. Selon Girard elle a lu pendant son adolescence des œuvres que Girard qualifie de médiocres et qui ont détruit en elle toute spontanéité.
Chez Stendhal on retrouve aussi ce rôle de la suggestion et de l’imitation : Mathilde de la Mole imite les modèles de sa famille ; Julien de Sorel imite Napoléon le Prince de Parme imite Louis XIV et le jeune évêque de Parme mime les vieux prélats.
La présence de cet Autre dans le livre entraîne une remise en cause totale de cet individualisme placé au cœur de la modernité, qui montre l'homme comme une entité libre et autonome et qui trouve son épanouissement littéraire dans le type du héros romantique. Dans MRVR, Girard ne fait que révéler la présence de l'Autre au cœur du génie romanesque (c'est l'omniprésence de l'Autre dans le désir qui fait la grandeur de Stendhal ou de Dostoïevski contre le mensonge romantique du héros divin ou surhumain, en tous les cas autosuffisant, qui lui illustrerait la trajectoire linéaire du désir) et la présence de l'Autre se révèle toujours être une simplification - ou plutôt une clarification - des situations. Le mensonge romantique que dénonce René Girard n'est que la tentative d'effacement, de dissimulation du modèle dans le schéma du désir... Le sujet désire, mais il ne sait pas quoi. Dans son errance, il va croiser un être pourvu de quelque chose qui lui fait défaut et qui semble donner à celui-ci une plénitude que lui ne possède pas. Cette apparente plénitude, si proche et si lointaine, va proprement le fasciner. Le désir affamé du sujet semble toujours poser la même question au modèle : "Qu'as-tu de plus que moi ?" (Pour paraître si heureux, pour avoir un si jolie femme, pour être le préféré de la direction, etc.). Fixer son attention admirative sur un modèle, c'est déjà lui reconnaître ou lui accorder un prestige que l'on ne possède pas, ce qui revient à constater sa propre insuffisance d'être. Ce n'est bien évidemment pas une position des plus confortables mais l'homme qui admire, et qui par-delà envie l'Autre, est d'abord quelqu'un qui se méprise profondément. Mais si le modèle est si parfait, c'est qu'il doit détenir quelque chose dont le sujet est pour l'instant démuni : objet matériel, attitude, statut, etc. Les variations sont infinies pour un résultat toujours identique : ce qui le différencie de l'Autre justifie, aux yeux du désir du sujet, la réussite et le prestige qu'il lui accorde.
 
Ce qui frappe, c'est surtout le décalage qu'il y a entre ce qui est annoncé dans la page de couverture et ce qu'on trouve effectivement dans le livre. Voici, en effet, comment les pages de couverture le résument
« L'homme est incapable de désirer par lui seul : il faut que l'objet de son désir lui soit désigné par des tiers [...] Nous nous croyons libres [...], autonomes dans nos choix, que ce soit celui d'une cravate ou celui d'une femme. Illusion romantique ! En réalité nous ne choisissons que des objets désirés par un autre. René Girard retrouve partout ce phénomène de désir triangulaire : dans la publicité, la coquetterie, l'hypocrisie, la rivalité des partis politiques, le masochisme et le sadisme, etc. «
On le voit, la thèse avancée par René Girard ne comporte aucune restriction (« nous ne choisissons que des objets désirés par un autre. Il pense avoir découvert le mécanisme qui régit, sans aucune exception, tous les désirs humains On s'attendrait donc à ce qu'il s'appuyât sur des exemples extrêmement nombreux et variés, on s'attendrait à ce qu'il fît appel à des témoignages empruntés aux sources les plus variées, à des documents qui proviennent de toutes les époques et du plus grand nombre de pays possible. Or il n'en est rien.
Dès qu'on ouvre le livre, on s'aperçoit vite que René Girard s'appuie presque exclusivement sur la littérature. On peut donc se demander pourquoi cette démarche. Intéressons-nous aux œuvres que René Girard invoque à l'appui de sa thèse. En effet, puisque René Girard dit que le désir triangulaire est partout, on se serait attendu à ce qu'il nous démontre que le désir triangulaire était partout dans la littérature, et d'abord dans toutes les œuvres vraiment importantes. Or c'est tout le contraire. De l'ensemble de la littérature, René Girard ne retient quasiment, en effet, que la littérature romanesque. Selon lui, en effet, « seuls les romanciers révèlent la nature imitative du désir « (p. 23). On s'attendrait donc à ce que René Girard fasse appel à un nombre considérable de romans, or il n'en invoque qu'un tout petit nombre empruntés essentiellement à cinq auteurs : Cervantès, Stendhal, Flaubert, Dostoïevski et Proust. Et il reconnait que, même chez ces auteurs, on trouve des exemples de désirs spontanés.
Chez Cervantès, nous dit René Girard, “ le désir spontané est encore la norme ” car “ le désir métaphysique se détache sur un fond de bon sens ” (p. 153). Pourtant, s'il admet ainsi que, dans Don Quichotte, le désir mimétique reste une anomalie, il prétend qu'il n'est pas l'apanage de ce héros, mais qu'il se manifeste aussi chez d'autres personnages du roman et en premier lieu Sancho Pança “ Don Quichotte, dans le roman de Cervantès, est la victime exemplaire du désir triangulaire, mais il est loin d'être la seule. Le plus atteint après lui est l'écuyer Sancho Pança. Certains désirs de Sancho ne sont pas imités; ceux qu'éveille, par exemple, la vue d'un morceau de fromage ou d'une outre de vin. Mais Sancho a d'autres ambitions que celle de remplir son estomac. Depuis qu'il fréquente don Quichotte, il rêve d'une "île" dont il sera gouverneur, il veut un titre de duchesse pour sa fille. Ces désirs-là ne sont pas venus spontanément à l'homme simple qu'est Sancho. C'est Don Quichotte qui les lui a suggérés ” (p. 12). René Girard dit tout d'abord que don Quichotte est “ loin d'être la seule ” victime du désir mimétique, suggérant ainsi qu'un certain nombre d'autres personnages du roman en sont eux aussi les victimes. On aurait donc aimé savoir qui ils étaient. Or il ne cite que le seul Sancho Panza. De plus, en reconnaissant que certains ” désirs de Sancho ne sont pas imités, il suggère que tous les autres le sont. Chez lui, les désirs spontanés seraient donc beaucoup plus rares que les désirs imités. Or c'est tout le contraire : les désirs imités sont évidemment l'exception. René Girard n'en cite d'ailleurs que deux. Peut - être que, s'il avait pu en citer d'autres, il n'aurait pas manqué de le faire.
 
2. La médiation interne et le désir mimétique
 
Avec Stendhal on passe à la forme interne de la médiation. Le modèle est l’égal de l’imitateur. Lorsque la distance culturelle, géographique ou spirituelle entre l’imitateur et le modèle devient négligeable, les deux risquent de désirer les mêmes objets.
Valenod peut enlever son précepteur à M de Rénal. Lorsque le médiateur et le sujet veulent la même chose, la concurrence et le conflit se font présents.« M de Rénal veut engager Julien pour précepteur parce qu’il imagine que Valenod veut en faire autant. Il faut dire en passant que Valenod est l’homme le plus riche et le plus influent après M. de Renal
 
qui est le maire de Verrières.
 
    René Girard est persuadé d'avoir trouvé là, dès le début du roman, un premier exemple de désir triangulaire. Pour qu'il y eût vraiment désir triangulaire, il faudrait d'abord qu'il y eût vraiment désir. Or, à proprement parler, M. de Rénal ne « désire « pas que ses enfants aient un précepteur. S'il veut que Julien devienne le précepteur de ses enfants, « ce n'est pas par sollicitude pour ces derniers ni par amour du savoir «, comme le note lui-même René Girard; c'est seulement pour contrer Valenod. Ce que désire M. de Rénal, c'est rester l'homme le plus important de Verrières et, pour ce faire, il veille à essayer de prévenir tout ce qui pourrait renforcer la position du seul homme susceptible de lui porter ombrage, Valenod. Avoir un précepteur n'est, pour M. de Rénal, aucunement une fin. C'est seulement un moyen parmi d'autres de conserver sa position prédominante. Il est d'ailleurs tout à fait conscient qu'il ne veut avoir un précepteur que pour contrecarrer Valenod. L'interprétation de René Girard aurait été beaucoup plus convaincante, si M. de Rénal avait admiré secrètement Valenod, s'il avait fait le plus grand cas de son jugement et si, en conséquence, la décision supposée de Valenod l'avait convaincu de la nécessité de donner un précepteur à ses enfants pour leur assurer la meilleure éducation possible. Mais M. de Rénal n'admire aucunement Valenod, bien au contraire, et le fait de croire qu'il veut donner un précepteur à ses enfants n'est aucunement de nature à le convaincre que ses propres enfants ont besoin d'un en avoir un. Nous ne sommes pas dans le domaine du désir, mais dans celui du calcul. Un commerçant, un industriel, un financier qui apprend ou qui suppose qu'un de ses concurrents les plus dangereux cherche à réaliser une opération susceptible de renforcer sa position, essaiera naturellement de l'empêcher de la réaliser, ou, s'il le peut, de le faire à sa place. Cela n'a rien à voir avec le désir triangulaire. Il n'y a rien de « métaphysique « là-dedans. C'est simplement le jeu normal, le jeu logique de la concurrence.
 
II. La perte des différences entre les hommes
 
  1. Les sentiments modernes : la jalousie, l'envie et la haine
« La jalousie et l’envie supposent une triple présence : présence de l’objet, présence du sujet, présence de celui que l’on jalouse ou de celui que l’on envie. Ces deux sentiments (jalousie et envie) sont donc triangulaires : toutefois, nous ne voyons pas un modèle dans celui que l’on jalouse parce que nous prenons toujours sur la jalousie le point de vue du jaloux lui-même. Celui-ci se persuade aisément que son désir est spontané, c’est-à-dire qu’il s’enracine dans l’objet et dans cet objet seulement. Le jaloux soutient toujours, par conséquent, que son désir a précédé l’intervention du médiateur. Il nous présente celui-ci comme un intrus qui vient interrompre un délicieux tête-à-tête. La jalousie se ramènerait donc à l’irritation que nous éprouvons tous lorsqu’un de nos désirs est accidentellement contrarié. La véritable jalousie est infiniment plus riche et plus complexe que cela. Elle comporte toujours un élément de fascination à l’égard du rival insolent. Nous parlons de « tempérament jaloux « ou de « nature envieuse «.
 
    Max Scheler dans « l’homme du ressentiment « fait figurer « l’envie, la jalousie et la rivalité « parmi les sources du ressentiment. Il définit l’envie comme « le sentiment d’impuissance qui vient s’opposer à l’effort que nous faisons pour acquérir telle chose, du fait qu’elle appartient à autrui «. Il observe, d’autre part, qu’il n’y aurait pas envie, au sens fort du terme, si l’imagination de l’envieux ne transformait en une opposition concertée l’obstacle passif que le possesseur de l’objet lui oppose, du fait même de sa possession. « Le seul regret de ne pas posséder ce qu’un autre possède et ce que je désire, ne suffit pas, en soi, à…faire naître (l’envie) puisqu’aussi bien ce regret peut me déterminer à l’acquisition de la chose désirée ou d’une chose analogue…L’envie ne naît que si l’effort requis que le sujet met en œuvre échoue et laisse un sentiment d’impuissance. « Le sujet voudrait se croire victime d’une atroce injustice mais il se demande avec angoisse si la condamnation qui semble peser sur lui n’est pas justifiée. La rivalité ne peut donc qu’exaspérer la médiation ; elle accroît le prestige du médiateur et elle renforce le lien qui unit l’objet à ce médiateur, en contraignant ce dernier à affirmer hautement son droit, ou son désir, de possession. Le sujet est donc moins capable que jamais de se détourner de l’objet inaccessible : c’est à cet objet et à lui seul que le médiateur communique son prestige, en le possédant ou en désirant le posséder. Les autres objets n’ont aucune valeur aux yeux de l’envieux, seraient-ils identiques à l’objet « médiatisé «.
 
  2. La médiation double
La médiation double est une forme de la médiation interne. Ici le triangle n’a que 2 sommets parce que l’un des 2 s’est dédoublé. Chacun des deux sommets est à la fois sujet désirant par imitation et modèle-obstacle au désir de l’autre, tandis que l’objet du désir est progressivement oublié. Deux facteurs caractérisent la médiation double : le snobisme et la coquetterie
Le snobisme : on entend comme snob celui qui se fait désigner par l’autre ce qui est beau, ce qui est vrai. Girard, dans MRVR, montre que, comme tout désir, le snobisme est triangulaire. Il fait intervenir le sujet : le snob, son objet – celui-ci « ne porte pas sur une catégorie particulière de désirs. On peut être snob dans le plaisir esthétique, la vie intellectuelle, le vêtement, la nourriture, etc. « (R G p38) -- et le médiateur est le personnage imité par le snob. « Le prestige du médiateur se communique à l’objet désiré et confère à ce dernier une valeur illusoire «. (RGp.31) La médiation, processus par lequel le désir se porte du médiateur vers le sujet, est « externe « lorsque « la distance est suffisante pour que les deux sphères de possible dont le médiateur et le sujet occupent le centre ne soient pas en contact. « La médiation est interne « lorsque cette même distance est assez réduite pour que les deux sphères pénètrent plus ou moins profondément l’une dans l’autre «. (RG p.22-23) René Girard dirait que dans le cas d’Amadis le médiateur est trop éloigné : c’est une médiation externe, tandis que dans celui de Legrandin, dont la sœur a épousé un homme issu d’une famille de noblesse provinciale, il est proche : c’est une médiation interne. Cette notion de médiation, utile pour mesurer le degré de frustration des snobs, permet de caractériser la dualité du snobisme. 
Le « vain désir « ne peut exister que parce qu’existe le « mépris snob «. « Vain désir « et « mépris snob « apparaissent ainsi comme les deux faces d’un même phénomène. Ouvert à tous, le salon de la duchesse de Guermantes n’aurait aucun prestige et ne serait pas recherché. C’est le cercle vicieux de la « médiation double «, dans le sens que donne Girard à cette expression, illustré dans son commentaire sur la coquetterie : La coquette ne veut pas livrer sa précieuse personne aux désirs qu’elle provoque mais elle ne serait pas si précieuse si elle ne les provoquait pas. […] L’indifférence de la coquette envers les souffrances de son amant n’est pas simulée mais elle n’a rien à voir avec l’indifférence ordinaire. Elle n’est pas absence de désir ; elle est l’envers d’un désir de soi-même. L’amant ne s’y trompe pas. Il croit même reconnaître dans l’indifférence de sa maîtresse cette autonomie divine dont il se sent lui-même privé et qu’il brûle de conquérir. C’est bien pourquoi la coquetterie fouette le désir de l’amant. Et ce désir, en retour, fournit un aliment nouveau à la coquetterie. (RGp. 39)
Tous les personnages de Proust ou de Dostoïevski ont, selon Cohen des âmes d’esclaves et sont des masochistes. Et on ignore toujours selon lui que le masochisme parce qu’étant l’aboutissement fatal de la médiation double, est l’essence même de l’âme moderne.
 
III. Les fruits du désir métaphysique
 
3.1. L'ascèse du héros
 
René Girard remarque en effet que le refus de s’alimenter est déjà présent sous la forme du jeûne ascétique chez certains « héros romantiques « tels le Julien Sorel de Stendhal, l’adolescent de Dostoïevski et, bien sûr, le champion de jeûne de Kafka. Il s’agit pour ces héros modernes d’exposer par le jeûne leur indépendance absolue à l’égard d’autrui. Cette indépendance ou encore le fait de prétendre désirer spontanément et par soi-même et non selon ce que me désigne l’autre, constitue selon René Girard l’essence d’un mensonge romantique qui est d’une puissance telle que seul l’art de certains grands romanciers en vient parfois à bout. Grâce à une volonté de fer, les jeûneurs romantiques cherchent à dominer autrui en abolissant toute forme de dépendance à son égard. Qu’est-ce qui manifeste mieux notre dépendance à l’égard d’autrui et du monde que notre besoin de nous alimenter ? Le repas est l’acte social par excellence, à la fois dans sa forme (collective) et dans sa substance (partagée). Plus précisément encore, le repas familial constitue le moment privilégié de l’échange, le lieu de la réunion et de la mise en commun du monde. Le repas est littéralement une ingestion du monde. Nous ne sommes au fond composés de rien d’autre que de ce que nous ingérons, et ceci est particulièrement vrai et frappant dans le monde chrétien qui institue le rite de l’eucharistie au cœur de toute vie sociale et spirituelle.
En refusant de s’alimenter, les héros romantiques entendent démontrer que le monde leur est étranger et qu’ils sont étrangers au monde, qu’ils sont en quelque sorte d’une essence surhumaine, immatérielle. Il s’agit au fond d’une forme radicale, démocratisée et parfaitement séculière de la vieille hérésie gnostique qui dénie toute valeur au monde terrestre. Les héros romantiques prétendent se suffire à eux-mêmes et n’être rien d’autre qu’eux-mêmes. Comment mieux faire savoir au monde entier qu’on lui est supérieur sinon en lui démontrant qu’on ne saurait en dépendre de quelque façon. Le héros romantique travestit sa douloureuse dépendance envers autrui en une affectation d’indépendance absolue. La fascination pour autrui est le versant caché du mensonge romantique.
 
  2. Masochisme et sadisme
Dans le chapitre Sadisme et Masochisme de Mensonge romantique, René Girard montre que cette recherche permanente de l'objet inaccessible - et donc de l'échec ou de la victoire toujours renouvelée du rival - caractérise ces deux types de comportements. Car il ne faut pas oublier une chose : quand l'un ou l'autre met la main sur l'objet de la rivalité, il ne peut qu'être déçu. "Ce n'était que ça ?..", l'illusion est passée et le désir doit se reporter sur un nouvel objet, plus réticent encore à sa possession.
Le maître ne va donc plus s'intéresser qu'aux objets dont un médiateur implacable lui interdira la possession. Il recherche l'obstacle insurmontable et il est bien rare qu'il ne parvienne pas à le trouver." "Obstacles et mépris ne font que redoubler le désir parce qu'ils confirment la supériorité du médiateur. De là à choisir le médiateur en vertu non pas des qualités positives qu'il nous semble posséder, mais de l'obstacle qu'il nous oppose, il n'y a qu'un pas ; et ce pas est franchi d'autant plus aisément que le sujet se méprise davantage."
 
"Le masochiste jugera les autres hommes d'après la perspicacité dont ils lui paraissent faire preuve à son égard : il se détournera des êtres qui éprouvent pour lui affection et tendresse. Il se tournera avidement, par contre, vers ceux qui lui démontrent, par le mépris qu'ils lui témoignent, ou paraissent lui témoigner, ne pas appartenir, comme lui, à la race des maudits."
"A côté du masochisme existentiel, on trouve aussi un masochisme et un sadisme purement sexuels qui jouent un rôle considérable dans les œuvres de Proust et de Dostoïevski." "Même dans ce masochisme purement sexuel on ne saurait dire que le sujet "désire" la souffrance. Ce qu'il désire, c'est la présence du médiateur."
 
    "La sadisme est le retournement "dialectique" du masochisme. Fatigué de jouer le rôle de martyr, le sujet désirant choisit de se faire le bourreau. Sur ce théâtre de l'existence qu'est l'activité érotique, le masochiste jouait son propre rôle et mimait son propre désir ; le sadique, lui, joue le rôle du médiateur." Proust, comme Dostoïevski, a parfaitement vu que le sadisme est une copie, une comédie passionnée que l'on se joue à soi-même dans une fin magique.
 
Conclusion
On peut accorder à René Girard le privilège d'avoir écrit un grand livre et même un livre tout à fait capital, d'être le premier à avoir vu ce que quelques très rares écrivains avaient seulement entrevu, le premier à avoir pleinement compris la vraie nature du désir. Cependant ce qu'il dit sur les auteurs dont il parle est souvent vrai dans la mesure où il se contente souvent de les paraphraser. Ce que Girard dit plus généralement sur l'importance que nous accordons à l'opinion des autres et sur le rôle de la vanité dans les comportements humains renferme bien sûr une part de vérité, mais d'autres l'avaient dit avant lui avec beaucoup plus de talent, et notamment La Rochefoucauld.
On n’echappe pas à la médiation. Tout projet humain est vain, parce que fondé sur la vanité. Le snobisme loin d’etre un accident est plutot l’essence de l’homme. L’admiration que l’homme a pour les autres serait l’envers de son mépris secret de lui meme. C’est ce que Girard appelle la “maladie ontologique”. L’histoire du roman est l’histoire de l’idolatrie. C’est le long récit de l’atheisme et du malheur qui en résulte. Dieu est absent et à sa place l’homme a mis l’homme. La transcendance verticale a été “deviée” et le roman est l’histoire de cette déviation. Nous pouvons accepter la médiation comme categorie humaine et la refuser comme categorie romanesque. On peut l’accepter pour tel roman et la refuser pour tel autre. Quant a la theorie de l’homme, elle est comme toute philosophie. Son unique critère de vérite est la cohérence interne. Il est presque impossible de la critiquer de l’extérieur. A partir de la médiation Girard explique le sado-masochisme. D’autres comme Sartre Bataille et Freud l’ont fait de façon convaincante a partir de premisses différentes. Nous pensons que l’acceptation de la prémisse de Girard est une question de foi puisque l’ouvrage s’achève sur des mots d’espérance des frères karamazov.
 
BIBLIOGRAPHIE
 
http://www.chronicart.com/livres/chronique.php?id=6571
 
Par Professeur L - Publié dans : BTS - Lettres modernes- Philosophie - Communauté : La commune des philosophes
 
16 René Girard, Mensonge romantique et vérité romanesque, Bernard Grasset, Pluriel, 1961/1997, p. 145.
(René Girard, Mensonge romantique et vérité romanesque, extrait
http://www.page2007.com/news/masochisme-et-sadisme-mlle-vinteuil-proust-et-rene-girard
 
Pierre Bottura dans le magazine culturel chronicart.com
 
Jean Cohen aspects nouveaux de l’analyse littéraire net
 

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