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nietzche_verite et mensonge au sens extra moral

Publié le 07/10/2015

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verite
Nietzsche V?rit? et mensonge au sens extra-moral Traduit par Michel Haar et Marc B. de Launay 1. Au d?tour de quelque coin de l'univers inond? des feux d'innombrables syst?mes solaires, il y eut un jour une plan?te sur laquelle des animaux intelligents invent?rent la connaissance. Ce fut la minute la plus orgueilleuse et la plus mensong?re de l'??histoire universelle??, mais ce ne fut cependant qu'une minute. Apr?s quelques soupirs de la nature, la plan?te se congela et les animaux intelligents n'eurent plus qu'? mourir1. Telle est la fable qu'on pourrait inventer, sans parvenir ? mettre suffisamment en lumi?re l'aspect lamentable, flou et fugitif, l'aspect vain et arbitraire de cette exception que constitue l'intellect humain au sein de la nature. Des ?ternit?s ont pass? d'o? il ?tait absent?; et s'il dispara?t ? nouveau, il ne se sera rien pass?. Car il n'y a pas pour cet intellect de mission qui d?passerait le cadre d'une vie humaine. Il est au contraire bien humain, et seul son possesseur et son cr?ateur le traite avec autant de passion que s'il ?tait l'axe autour duquel tournait le monde. Si nous pouvions comprendre la mouche, nous nous apercevrions qu'elle ?volue dans l'air anim?e de cette m?me passion et qu'elle sent avec elle voler le centre du monde. Il n'est rien de si m?prisable et de si insignifiant dans la nature qui ne s'enfle aussit?t comme une outre au moindre effluve de cette force du conna?tre, et de m?me que tout portefaix veut aussi avoir son admirateur, l'homme le plus fier, le philosophe, s'imagine lui aussi avoir les yeux de l'univers braqu?s comme un t?lescope sur son action et sa pens?e2. Il est remarquable que l'intellect soit responsable de cette situation, lui qui pourtant n'a ?t? donn? que pour servir pr?cis?ment d'auxiliaire aux ?tres les plus d?favoris?s, les plus vuln?rables et les plus ?ph?m?res, afin de les maintenir en vie l'espace d'une minute - existence qu'ils auraient tout lieu de fuir sans cette aide re?ue, aussi vite que le fils de Lessing3. Cet orgueil li? ? la connaissance et ? la perception, brouillard aveuglant le regard et les sens des hommes, les trompe sur la valeur de l'existence dans la mesure o? il s'accompagne de l'appr?ciation la plus flatteuse sur la connaissance elle-m?me. Son effet le plus courant est l'illusion?; mais ses effets les plus circonstanci?s impliquent aussi quelque chose du m?me ordre. En tant que moyen de conservation de l'individu4, l'intellect d?ploie l'essentiel de ses forces dans la dissimulation car elle est le moyen de conservation des individus glus faibles et moins robustes, dans la mesure o? il leur est impossible d'affronter une lutte pour l'existence munis de cornes ou d'une m?choire ac?r?e de carnassier. C'est chez l'homme que cet art de la dissimulation atteint son point culminant?: l'illusion, la flagornerie, le mensonge et la tromperie, la calomnie, l'ostentation, le fait de parer sa vie d'un ?clat d'emprunt et de porter le masque, le voile de la convention, le fait de jouer la com?die devant les autres et devant soi-m?me, bref, le perp?tuel badinage qui partout fol?tre pour le seul amour de la vanit? sont chez lui ? tel point la r?gle et la loi qu'il n'est presque rien de plus inconcevable que l'apparition, chez les hommes, d'un instinct de v?rit? honn?te et pur. Ils sont profond?ment plong?s dans les illusions et les r?ves, leur regard ne fait que glisser ? la surface des choses et ne voit que des ??formes?? leur perception ne conduit en aucune mani?re ? la v?rit?, mais se borne ? recevoir des excitations et joue en quelque sorte ? t?tons dans le dos des choses. En outre, durant toute sa vie, l'homme se laisse tromper la nuit par ses r?ves sans que jamais son sens moral ne cherche ? l'en emp?cher, alors qu'il doit bien y avoir des hommes qui, ? force de volont?, ont r?ussi ? se d?barrasser du ronflement. Mais que sait en v?rit? l'homme de lui-m?me?? Et m?me, serait-il seulement capable de se percevoir lui-m?me, une bonne fois dans son entier, comme expos? dans une vitrine illumin?e?? La nature ne lui dissimule-t-elle pas la plupart des choses, m?me en ce qui concerne son propre corps, afin de le retenir prisonnier d'une conscience fi?re et trompeuse, ? l'?cart des replis de ses intestins, ? l'?cart du cours pr?cipit? du sang dans ses veines et du jeu complexe des vibrations de ses fibres?! Elle a jet? la clef?; et malheur ? la curiosit? fatale qui parviendrait un jour ? entrevoir par une fente ce qu'il y a ? l'ext?rieur de cette cellule qu'est la conscience, et ce sur quoi elle est b?tie, devinant alors que l'homme repose, indiff?rent ? son ignorance sur un fond impitoyable, avide, insatiable et meurtrier, accroch? ? ses r?ves en quelque sorte comme sur le dos d'un tigre. Dans ces conditions, y a-t-il au monde un lieu d'o? surgirait l'instinct de v?rit?? Pour autant que l'individu tient ? se conserver face ? d'autres individus, il n'utilise son intelligence le plus souvent qu'aux fins de la dissimulation, dans l'?tat de nature. Mais dans la mesure o? l'homme ? la fois par n?cessit? et par ennui veut vivre en soci?t? et en troupeau, il lui est n?cessaire de conclure la paix et de faire en sorte, conform?ment ? ce trait?, qu'au moins l'aspect le plus brutal du bellum omnium contra omnes disparaisse de son monde. Or ce trait? de paix apporte quelque chose comme un premier pas en vue de cet ?nigmatique instinct de v?rit?. En effet, ce qui d?sormais doit ?tre la ??v?rit? est alors fix?, c'est-?-dire qu'il est d?couvert une d?signation uniform?ment valable et contraignante des choses, et que la l?gislation du langage donne aussi les premi?res lois de la v?rit? car ? cette occasion et pour la premi?re fois appara?t une opposition entre la v?rit? et le mensonge. Le menteur utilise les d?signations pertinentes, les mots, pour faire appara?tre r?el l'irr?el?; il dit par exemple?: ??je suis riche??, alors que pour qualifier son ?tat c'est justement ??pauvre?? qui serait la d?signation correcte. Il m?suse des conventions ?tablies en op?rant des substitutions arbitraires ou m?me en inversant les noms. S'il agit ainsi de fa?on int?ress?e et de plus pr?judiciable, la soci?t? ne lui fera plus confiance et par l? m?me l'exclura. En l'occurrence, les hommes fuient moins le mensonge que le pr?judice provoqu? par un mensonge. Fondamentalement, ils ne ha?ssent pas l'illusion mais les cons?quences f?cheuses et n?fastes de certains types d'illusions. C'est seulement dans ce sens ainsi restreint que l'homme veut la v?rit?. Il d?sire les suites favorables de la v?rit?, celles qui conservent l'existence?; mais il est indiff?rent ? l'?gard de la connaissance pure et sans cons?quence, et il est m?me hostile aux v?rit?s qui peuvent ?tre pr?judiciables ou destructrices. Mais d'ailleurs, qu'en est-il de ces conventions du langage?? Sont-elles d'?ventuels produits de la connaissance, et du sens de l...
verite

« Nietzsche, Vérité et mensonge au sens extra-moral Michel Haar et Marc B.

de Launay excitations et joue en quelque sorte à tâtons dans le dos des choses.

En outre, durant toute sa vie, l’homme se laisse tromper la nuit par ses rêves sans que jamais son sens moral ne cherche à l’en empêcher, alors qu’il doit bien y avoir des hommes qui, à force de volonté, ont réussi à se débarrasser du ronflement.

Mais que sait en vérité l’homme de lui-même ? Et même, serait-il seulement capable de se percevoir lui-même, une bonne fois dans son entier, comme exposé dans une vitrine illuminée ? La nature ne lui dissimule-t-elle pas la plupart des choses, même en ce qui concerne son propre corps, afin de le retenir prisonnier d’une conscience fière et trompeuse, à l’écart des replis de ses intestins, à l’écart du cours précipité du sang dans ses veines et du jeu complexe des vibrations de ses fibres ! Elle a jeté la clef ; et malheur à la curiosité fatale qui parviendrait un jour à entrevoir par une fente ce qu’il y a à l’extérieur de cette cellule qu’est la conscience, et ce sur quoi elle est bâtie, devinant alors que l’homme repose, indifférent à son ignorance sur un fond impitoyable, avide, insatiable et meurtrier, accroché à ses rêves en quelque sorte comme sur le dos d’un tigre.

Dans ces conditions, y a-t-il au monde un lieu d’où surgirait l’instinct de vérité ? Pour autant que l’individu tient à se conserver face à d’autres individus, il n’utilise son intelligence le plus souvent qu’aux fins de la dissimulation, dans l’état de nature.

Mais dans la mesure où l’homme à la fois par nécessité et par ennui veut vivre en société et en troupeau, il lui est nécessaire de conclure la paix et de faire en sorte, conformément à ce traité, qu’au moins l’aspect le plus brutal du bellum omnium contra omnes disparaisse de son monde.

Or ce traité de paix apporte quelque chose comme un premier pas en vue de cet énigmatique instinct de vérité.

En effet, ce qui désormais doit être la « vérité » est alors fixé, c’est-à-dire qu’il est découvert une désignation uniformément valable et contraignante des choses, et que la législation du langage donne aussi les premières lois de la vérité car à cette occasion et pour la première fois apparaît une opposition entre la vérité et le mensonge.

Le menteur utilise les désignations pertinentes, les mots, pour faire apparaître réel l’irréel ; il dit par exemple : « je suis riche », alors que pour qualifier son état c’est justement « pauvre » qui serait la désignation correcte.

Il mésuse des conventions établies en opérant des substitutions arbitraires ou même en inversant les noms.

S’il agit ainsi de façon intéressée et de plus préjudiciable, la société ne lui fera plus confiance et par là même l’exclura.

En l’occurrence, les hommes fuient moins le mensonge que le préjudice provoqué par un mensonge.

Fondamentalement, ils ne haïssent pas l’illusion mais les conséquences fâcheuses et néfastes de certains types d’illusions.

C’est seulement dans ce sens ainsi restreint que l’homme veut la vérité.

Il désire les suites favorables de la vérité, celles qui conservent l’existence ; mais il est indifférent à l’égard de la connaissance pure et sans conséquence, et il est même hostile aux vérités qui peuvent être préjudiciables ou destructrices.

Mais d’ailleurs, qu’en est-il de ces conventions du langage ? Sont-elles d’éventuels produits de la connaissance, et du sens de la vérité ? Les choses et leurs désignations coïncident-elles ? Le langage est-il l’expression adéquate de toute réalité ? Ce n’est jamais que grâce à sa capacité d’oubli que l’homme peut en arriver à s’imaginer posséder une vérité au degré que nous venons justement d’indiquer.

S’il refuse de se contenter d’une vérité sous forme de tautologies, c’est-à-dire de cosses vides, il échangera éternellement des illusions contre des vérités.

Qu’est-ce qu’un mot ? La transposition sonore d’une excitation nerveuse.

Mais conclure d’une excitation nerveuse à une cause première extérieure à nous, c’est déjà ce à quoi aboutit une application fausse et injustifiée du principe de raison.

Si la vérité avait été seule déterminante dans la genèse du langage et si le point de vue de la certitude l’avait été quant aux désignations, comment aurions-nous alors le droit de dire : « Cette pierre est dure » comme si nous connaissions le sens de « dur » par ailleurs et qu’il n’était pas seulement une excitation totalement subjective ! Nous classons les choses d’après des genres, nous désignons l’arbre comme masculin et la plante comme féminine : quelles transpositions arbitraires ! À quel point sommes-nous éloignés du canon de la certitude ! Nous parlons d’un serpent : la désignation n’atteint que le fait de se contorsionner et pourrait donc convenir au ver également.

Quelles délimitations arbitraires, quelle partialité que de préférer tantôt l’une, tantôt l’autre des propriétés d’une chose ! Comparées entre elles, les différentes langues montrent que les mots ne parviennent jamais à la vérité ni à une expression adéquate ; s’il en était autrement, il n’y aurait pas en effet un si grand nombre de langues.

La « chose en soi » (qui serait précisément la vérité pure et sans conséquence) reste totalement insaisissable et absolument indigne - 2 -. »

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