Devoir de Philosophie

Montaigne a dit : « Fâcheuse éducation qu'une éducation purement livresque ». Exposez les dangers d'une telle éducation et montrez que l'on peut apprendre ailleurs que dans les livres. Comment situez-vous l'éducation par internet dans ce cadre ?

Publié le 22/10/2010

Extrait du document

montaigne

 

 

(INTRODUCTION)

 

De nombreux critiques du XXème siècle ont érigé Montaigne au rang de père de la pédagogie car au cours de l’élaboration de son œuvre majeure, Les Essais, il a réfléchi sur l’éducation et sur l’apprentissage des enfants. Au XVIème siècle, en plein cœur de la Renaissance, les savants et les philosophes prônent l’enseignement des « humanitas «, sciences humaines et luttent contre l’obscurantisme du Moyen Age. 

Dès lors, il convient de définir se que l’on entend par « éducation «. Elle ne se limite pas à l'instruction stricto sensu qui serait relative seulement aux purs savoirs et savoir-faire mais vise aussi à assurer à chaque individu le développement de toutes ses capacités (physiques, intellectuelles et morales). Ainsi, l’être humain éduqué va devenir une entité responsable dans la société dans laquelle il évolue, capable de réfléchir pour le bien de celle-ci. Eduquer c’est donc mettre en œuvre des moyens propres à assurer la formation et le développement d'un être humain. Les livres ont donc une part importante dans cet apprentissage bien qu’il faille cependant, selon Montaigne, se méfier d’une « éducation purement livresque «. 

Nous réfléchirons dans un premier temps aux dangers d’une telle éducation et à ce qui peut éviter un tel écueil ; ce qui nous conduira à aborder dans un second temps la nécessité de s’enrichir via divers moyens autres que les livres. Enfin, nous ouvrirons notre réflexion à l’éducation via internet qui présente autant d’avantages que de dangers à l’instar de la culture  « purement livresque «. 

 

I) Dangers d’une éducation purement livresque

 

S’il condamne une culture essentiellement « livresque « Montaigne ne condamne pas pour autant le livre en lui-même mais plutôt l’usage que les pédagogues en font. D’ailleurs, lorsqu’il rédige son ouvrage Essais, vers 1572, il se trouve dans sa « librairie «, c’est à dire au milieu de ses livres. De plus, son œuvre  magistrale résulte pour partie au moins de ses lectures. En effet, Montaigne a beaucoup lu, il est fasciné par les livres  et en apporte dans tous ses voyages. Il imagine même de pouvoir installer des galeries dans sa bibliothèque pour pouvoir marcher tout en lisant. 

 

Montaigne n’exclut donc pas les livres de l'éducation mais il veut qu'on en use avec discrétion et toujours en vue de former le jugement. Il souhaite que l'on s'approprie ce qu'on lit car il reproche à l'instruction alors en usage son pédantisme qui consistait surtout, chez ses contemporains, en une érudition indigeste, un entassement de connaissances stériles, qui déformait la tête plutôt qu’elle ne la formait. Il combat donc ce mode d’apprentissage car il conduit au dessèchement de l’être. D’ailleurs, dans  « De l’institution des enfants « (livre I, chapitre 26) il propose une réflexion basée sur les propres souvenirs d’enfance et d’adolescence : « A treize ans que je sortis du collège, j’avais achevé mon cours […] et à la vérité sans aucun fruit que je pusse à présent mettre en compte «.  Il dénonce ici les principes d’une éducation qui ne sert qu’à remplir les jeunes têtes de pensées inutiles et banales. Il préconise à leur place un enseignement qui laisserait libre cours à la réflexion selon la personnalité de l’enfant. Apprendre à bien réfléchir, à ne pas utiliser les mots pour eux-mêmes mais pour la définition qu’ils donnent des choses de la vie réelle, entraîner le corps comme l’esprit, voilà ce qui, pour lui, devrait être, selon lui, le but suprême du collège.

 

L’« institution des enfants «, dont parle Montaigne, requiert donc des maîtres savants, certes, mais qui ne confondent pas la connaissance avec l’érudition. La véritable instruction suppose la présence de la conscience dans la connaissance. Comprendre, ce n’est pas seulement se souvenir, et l’on peut « apprendre par cœur « sans avoir l’intelligence réelle de chose ainsi « apprise «. Quant aux savoirs, ils ne peuvent s’accumuler sans ordre à la façon d’objets inertes transmis rangés. Il ne s’agit donc pas de s’en remplir comme on remplirait un vase, mais de s’en nourrir intérieurement, pour façonner cette puissance de jugement qui fonde réellement la lucidité. Il faut donc utiliser les livres avec méthode, raison et intelligence.

 

Montaigne, s’il est fasciné par les livres est cependant incapable de lire plus d'une heure d'affilée. Il fait du cheval, il voyage, il est à la fois homme d’extérieur et d’intérieur, voyageur et casanier, à cheval et en haut de sa tour. C’est grâce à cette dualité, à cette complémentarité que l’auteur des Essais a pu réfléchir sur l’Education et le Savoir acquis autrement que par la lecture. Il prône  l'éducation générale de l'âme humaine. Il fait dialoguer, en les confrontant, les autorités traditionnelles de l’humanisme à son expérience individuelle. C’est pourquoi il affirme que l’on peut, voire que l’on doit, apprendre ailleurs que dans des livres.

 

II) On peut apprendre ailleurs que dans les livres 

 

Une autre façon d'éveiller le jugement personnel de l'élève, c'est de le jeter de bonne heure dans le commerce des hommes. « Il se tire une merveilleuse clarté pour le jugement humain de la fréquentation du monde. « L'observation des objets extérieurs, les leçons de choses, comme nous dirions aujourd'hui, figurent aussi dans le plan d'instruction de Montaigne : « Qu'on mette en fantaisie à l'enfant une bonne curiosité de s'enquérir de toutes choses ; tout ce qu'il y aura de singulier autour de luy, il le verra«. En un mot, à la culture de la mémoire seule, à « l’éducation livresque «, comme il l'appelle, Montaigne substitue des exercices de jugement et la culture de la pensée. 

Par ailleurs, la pensée peut être forgée par différents biais et notamment par les voyages « qui forment la jeunesse « et par des expériences personnelles, qui enrichissent la personnalité. Aussi, s’il travaille régulièrement chez lui Montaigne joue son rôle de gentilhomme catholique dans divers épisodes militaires ou politiques des guerres de religion. Il voyage, est élu puis réélu maire de Bordeaux, sert enfin d’intermédiaire entre le roi Henri III et le chef protestant Henri de Navarre (futur Henri IV).  Les Essais se nourrissent autant de cette expérience que des lectures de l’humaniste dans la « retraite « de sa « librairie «. 

Par ailleurs,  le terme « culture « fait émerger de façon sous-jacente d’autres notions et les philosophes tendent à désigner par ce mot « la totalité des pratiques succédant à la nature «. Bien entendu, chez l'être humain, la culture évolue dans le temps et dans les formules d'échanges. Elle se constitue en manières distinctes d'être, de penser, d'agir et de communiquer. Ainsi, pour une institution internationale comme l'UNESCO : « Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd'hui être considérée comme l'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l'être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. « On le voit, la notion de culture est au cœur d'un enjeu humain essentiel : celui de dire ce qu'est l'espèce humaine  à travers ce qu'il fait et ce dès le siècle de la Renaissance. C'est pourquoi les philosophes du XVIème siècle accordaient à la « bonté « de l’âme une valeur toute particulière et les massacres que subissaient les huguenots pendant les conflits religieux ont inquiété et révolté grandement les penseurs prônant le savoir réfléchi et la « culture de l’âme humaine «

 

On le voit, quelque soit la façon dont on se cultive, cela doit être allié à une réflexion personnelle, à la tolérance, à l’esprit critique et à un certain nombre de valeurs morales positives car, comme Rabelais l’avait déjà souligné, « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme «. C’est pourquoi les nouvelles technologies comme Internet, si elles sont une immense fenêtre ouverte sur le monde entier, peuvent néanmoins inquiéter.

 

III)   Place originale de l’éducation par internet

 

Le pouvoir d’Internet est considérable. Il permet à l’être humain d’échanger, de communiquer et ce, parfois malgré une séparation de quelques centaines de kilomètres. « Voyager « via ce biais présente l’avantage d’accéder à d’autres cultures quelque soit  sa condition sociale et ses ressources matérielles. L'accès aux technologies de l'information est donc aujourd'hui considéré comme un enjeu de développement culturel. Même si certains dénoncent les méfaits de la surabondance d'informations ou le développement excessif du piratage, il est incontestable qu'Internet constitue un support de premier choix en tant qu'outil global de diffusion de la culture. 

 

Néanmoins, étant donné qu’une une quantité impressionnante de données fausses circulent sur Internet, on peut se demander, en l’absence d’esprit critique, si ce mode de formation ne présente pas un grand danger. On a vu, au fil des siècles, se construire grand nombre de dictatures grâce au « bourrage de crâne « et à la désinformation. C’est pourquoi Internet ne doit pas être le seul outil d’apprentissage à être utilisé. L’être humain doit compléter sa culture en utilisant tous les outils dont il peut disposer. 

 

Par ailleurs, si se cultiver c’est s’ouvrir à soi et à autrui, Internet accentue parfois, lorsque l’on ne l’utilise pas à bon escient, la solitude et l’enfermement. De trop nombreuses personnes, lorsque leur existence ne leur convient pas, vont se dissimuler derrière une existence virtuelle dont ils se satisfont sans essayer de modifier la réalité, sans essayer de changer ce qui ne leur convient pas au sein de leur vie. Cependant ce sont ces personnes qui n’ont pas su trouver un juste équilibre. Internet n’est pas en cause, il n’est, à l’instar du livre, qu’un outil pouvant servir la culture. 

 

L'internet, est nous l’avons vu, l'objet de nombreux questionnements depuis son apparition. Certains auteurs vont même jusqu'à parler de ce nouveau média comme d'un "monde nouveau" dans lequel modes de vie, habitudes, rites, et codes sociaux lui sont propres. Internet serait donc un monde à part ayant développé sa propre culture. Dès lors, on peut considérer que l’on s’ouvre l’esprit en tirant parti de tous les avantages qu’il peut présenter mais que l’on peut s’enfermer dans un carcan si l’on reste figé dans cet univers, perdant la faculté de s’ouvrir à différentes autres voies comme les voyages, l’échange verbal etc.

 Comme pour toute chose, c’est finalement l’excès qui est dangereux… 

 

CONCLUSION

 

Tous les historiens de l'éducation se sont accordés à saluer dans Montaigne un des pères de la pédagogie. Montaigne est un chef d'école en matière d'éducation car il a, le premier, su dénoncer les dangers d’un abus de la culture humaniste et su réclamer le droit de tout individu à l’esprit critique.   De même, si Rabelais est le premier qui ait compris l'importance de l'éducation scientifique, de celle qui éclaire l'intelligence en faisant luire sur elle toutes les lumières ; Montaigne a accepté après lui cette belle formule que « la science ne peut se passer de la conscience «, c'est-à-dire qu'il ne servirait de rien, qu'il serait même dangereux, de devenir savant, si l'on ne devenait en même temps honnête homme. 

Aussi, l’éducation doit être très complète pour être efficace. La culture livresque ne saurait se substituer à l’éducation parentale, au savoir dispensé par les institutions, au savoir acquis par soi même, aux leçons  apportées par l’expérience personnelle. L’Education, c’est tout cela mais c’est également l’ouverture d’esprit, la tolérance face à l’altérité et à la différence, bref, tout ce qui construit l’âme humaine. 

Mais cette connaissance peut se révéler incomplète si l’homme est face à une méconnaissance de lui-même, de ses capacités, de ses aptitudes et de ses limites. D’ailleurs, l’unité des Essais réside aussi dans la démarche originale qui fait de l’enquête philosophique le miroir de l’auteur : « C’est moi que je peins. « Quel que soit le sujet traité, le but poursuivi est la connaissance de soi, l’évaluation de son propre jugement. Montaigne éclaire la dimension universelle de son autoportrait  dans la mesure où « chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition «. La mise en œuvre du précepte socratique « Connais-toi toi-même « débouche donc sur une exploration vertigineuse des énigmes de notre condition, dans sa misère ou dans sa vanité, dans son inconstance ou dans sa dignité.

 

Liens utiles