Devoir de Philosophie

nant cette digression pour revenir à mes considérations sur l'impuissance de la physique à fournir l'explication dernière des choses.

Publié le 23/10/2012

Extrait du document

physique
nant cette digression pour revenir à mes considérations sur l'impuissance de la physique à fournir l'explication dernière des choses. — Je dis donc : sans doute tout est physique, mais alors rien n'est explicable. De même que le mouvement de la bille qu'on pousse, la fonction pensante du cerveau doit comporter en dernier ressort une explication physique qui la rende aussi intelligible que l'est le mouvement de la bille. Or, ce mouvement même que nous croyons comprendre si pleinement, est au fond aussi obscur que la pensée, car l'essence intime de l'expansion dans l'espace, de l'impénétrabilité, de la faculté d'être mû, de la résistance, de l'élasticité et de la pesanteur, demeure après toutes les explications physiques un mystère au même titre que la pensée. Seulement, comme l'impossibilité d'expliquer cette dernière nous frappe du premier coup, on s'est empressé de faire un saut de la physique à la métaphysique et d'hypostasier une substance d'une nature tout autre que celle des choses corporelles. On a transporté dans le cerveau une âme. Si notre intellect n'avait pas été tellement émoussé qu'il fallût pour le frapper un phénomène extraordinairement surprenant, nous aurions dû expliquer la digestion par une âme stomacale, la végétation par une âme végétative, les affinités électives par la présence d'une âme dans les réactions, la chute d'une pierre par la présence d'une âme dans cette pierre. Car les propriétés de tout corps inorganique sont aussi mystérieuses que la vie dans l'être vivant ; aussi partout l'explication physique vient-elle se heurter à une explication métaphysique qui la supprime, c'est-à-dire lui enlève son caractère d'explication. A prendre les choses rigoureusement, on pourrait prétendre que toutes les sciences de la nature ne font réellement comme la botanique que rassembler et classer les objets de même espèce. — Une physique qui soutiendrait que ses explications des choses dans le détail par des causes, et d'une manière générale par des forces, sont véritablement suffisantes et, par conséquent, épuisent l'essence du monde, serait le naturalisme proprement dit. De Leucippe, Démocrite et Épicure jusqu'au « système de la nature «, puis à Lamarck, Cabanis et au matérialisme réchauffé de ces dernières années, nous pouvons suivre l'essai toujours continué d'établir une physique sans métaphysique, c'est- à-dire une doctrine qui fasse du phénomène la chose en soi. Mais toutes les explications de ces physiciens ne sont que des essais pour dissimuler et aux explicateurs et aux auditeurs qu'elles supposent tout uniment la chose essentielle. Les naturalistes s'efforcent de montrer que tous les phénomènes, même les phénomènes spirituels, sont physiques, et en cela ils ont raison ; leur tort, c'est de ne pas voir que toute chose physique est également par un autre côté une chose métaphysique. Sans doute, il est difficile de reconnaître cette vérité, puisqu'elle suppose la distinction du phénomène et de la chose en soi. (Monde, II, 307-9.) Les sciences de la nature sont arrivées de nos jours à un degré de perfection que les siècles antérieurs étaient loin de soupçonner, sorte de sommet auquel l'humanité atteint pour la première fois. Mais si grands que soient les progrès de la physique (entendue au sens large qu'y attachaient les anciens), ils ne contribueront guère à nous faire avancer d'un pas vers ma métaphysique ; pas plus qu'une surface, si loin qu'on la prolonge, n'acquerra un contenu en volume. Les progrès de la physique ne compléteront que la connaissance du phénomène, tandis que la métaphysique aspire à dépasser le phénomène, pour étudier la chose qui se présente comme telle. Quand même notre expérience serait absolument achevée, la situation n'en serait guère changée. Et quand même vous auriez parcouru les planètes de toutes les étoiles fixes, vous n'auriez pas encore de ce fait avancé d'un pas dans la métaphysique. Plus les progrès de la physique seront grands, plus vivement ils feront sentir le besoin d'une métaphysique. En effet, si, d'une part, une connaissance plus exacte, plus étendue et plus profonde de la nature mine et finit par renverser les idées métaphysiques en cours jusqu'alors, elle sert d'autre part à mettre plus nettement et plus complètement en relief le problème même de la métaphysique, à le dégager plus sévèrement de tout élément purement physique. Plus notre connaissance de l'essence des objets particuliers sera complète et exacte, plus impérieusement s'imposera à nous la nécessité d'expliquer l'ensemble et le général, et plus la connaissance empirique de cet élément général aura été juste, précise et complète, plus mystérieux et plus énigmatique il nous paraîtra. Aussi de nos jours l'écorce de la nature est- elle minutieusement étudiée, on connaït par le menu les intestins des vers intestinaux et la vermine de la vermine. Mais vienne un philosophe comme moi, qui parle du noyau intime de la nature, ces gens ne daigneront plus écouter, estimant que cette étude est étrangère à la science, et continueront à éplucher leur écorce. On serait tenté d'appeler tâtillons de la nature ces physiciens microscopiques et micrologiques. Et, certes, ceux qui pensent que le creuset et la cornue sont la vraie et l'unique source de toute sagesse n'ont pas l'esprit moins perverti que ne l'avaient autrefois leurs antipodes, les scolastiques. De même que ceux-ci se trouvaient prisonniers dans le réseau de leurs concepts abstraits, en dehors desquels ils ne connaissaient et n'examinaient rien ; de même nos physiciens demeurent entièrement confinés dans leur empirisme, n'admettent pour vrai que ce qu'ils ont vu de leurs yeux, et estiment de la sorte avoir pénétré jusqu'à l'essence dernière des choses. Ils ne soupçonnent pas qu'entre le phénomène et ce qui s'y manifeste, la chose en soi, il y a un abîme profond, une différence radicale ; que pour s'éclairer à ce sujet, il faut connaître et délimiter avec précision l'élément subjectif du phénomène, et être arrivé à comprendre que les renseignements derniers, les plus importants sur l'essence des choses, ne peuvent être puisés que dans la conscience de nous-mêmes ; sans ces opérations préalables il est impossible de faire un pas au delà de ce qui est immédiatement donné aux sens, en d'autres termes de dépasser le problème. Remarquons pourtant, d'autre part, qu'une connaissance aussi complète que possible de la nature est nécessaire pour poser avec précision le problème de la métaphysique. Aussi personne ne devra-t-il essayer d'aborder cette science, avant d'avoir acquis une connaissance, au moins générale, mais exacte, claire et coordonnée, des diverses branches de l'étude de la nature. Car le problème précède nécessairement la solution. Mais une fois le problème posé, il faut que le regard du chercheur se porte en dedans ; car les phénomènes intellectuels et moraux sont plus importants que les phénomènes physiques, au même titre que le magnétisme animal, par exemple, est un phénomène incomparablement plus important que le magnétisme minéral. Les mystères derniers et fondamentaux, l'homme les porte

Liens utiles