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Pétrarque et l'humanisme

Publié le 27/05/2011

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humanisme

Introduction        L’humanisme se construit par un travail philosophique et/ou spirituel qui a pour but de donner du sens, d’expliquer le monde et de le transformer. Une telle conception aboutit à cultiver l’esprit de tolérance, de dialogue et l’esprit critique. L’éthique humaniste préconise la responsabilité et l’engagement de tous pour assurer la continuité de la civilisation et l’égale dignité de chaque membre de la société.    I_Le mouvement humaniste aux XVe et XVIe siècles       C’est avec Pétrarque (1304-1374) que naît en Italie le mouvement humaniste de la Renaissance. Le poète commence par recueillir les inscriptions sur les vieilles pierres de Rome et poursuit dans les manuscrits sa quête des Anciens. Il retrouve ainsi des lettres de Cicéron, ressuscitant un écrivain statufié par les écoles. Il s’illustre également en détectant un faux document au profit de son souverain. Lorenzo Valla (1407-1457), lui aussi, va traquer la vérité historique, préconisant l’étude philologique des textes et le retour à la pureté classique. Parti d’Italie, l’humanisme rayonne dans toute l’Europe cultivée.       Le tournant du XV° et XVI° s. est marqué par une modification importante des façons de penser, des valeurs et du goût. Ces changements ont commencé dès le XV° dans la riche Italie marchande et princière du XV° siècle ; puis se sont propagés ensuite au reste de l'Europe. Le mouvement philosophique, l'humanisme, accompagne une renaissance scientifique et artistique. L'essor de l'imprimerie va permettre une large diffusion des idées nouvelles parmi les couches supérieures de la société.              Les humanistes sont des intellectuels, souvent des clercs (Érasme, Rabelais), des professeurs, des marchands (G. Budé), des imprimeurs (E. Dolet, Estienne), des hommes d'État (T. More).             L'ambition des humanistes est de concilier, de faire la synthèse de deux sources de savoir : celui venu de l'antiquité grecque et romaine dont on redécouvre les textes, scientifiques et philosophiques et celui du christianisme contenu dans la Bible et les évangiles. D’où l'importance qu'ils accordent à l'étude des langues, notamment anciennes pour pouvoir aborder directement les textes, grecs, latins ou hébreux. Le Moyen-âge a une vision pessimiste de l'homme, le voyant passivement soumis à la volonté de Dieu et à des forces qui le dépassent. Les humanistes vont au contraire développer une vision optimiste de celui-ci, ils ont une confiance totale dans les possibilités humaines. L'homme pour eux est perfectible, capable de progrès grâce à l'éducation, à sa raison et à sa volonté. L'homme est pour eux maître de son destin. Il leur apparaît comme un résumé, un microcosme, de l'univers créé par Dieu. Puisqu'ils croient au progrès, les humanistes se proposent de réformer le monde, de le rendre meilleur. Ils critiquent les injustices et prêchent la tolérance : exemple pour Thomas More dans Utopie en 1516 - le pays de nulle part - où l'État est pour lui « une certaine conspiration des riches qui traitent de leurs intérêts sous le nom et l'étiquette de l'intérêt général ». La crise religieuse de la seconde moitié du XVI° - Réforme (pour une part issue de l'humanisme) et contre-réforme - déchaînant passion, violences et intolérance va marquer provisoirement- pour un siècle- l'échec des idées humanistes de tolérance, de raison et de libre arbitre. Mais elles revivront dès la fin du XVII° et au XVIII° dans le mouvement beaucoup plus vaste de la philosophie des lumières....       II_Un principe de l'humaniste : éduquer c’est d’abord instruire.       De nombreux traités pédagogiques paraissent. Érasme, suivi par Rabelais, insiste sur les vertus morales de l’instruction. Le maître doit dégager des textes étudiés l’enseignement moral qu’ils recèlent. Il est à l’opposé de l’objectif médiéval, d’un Hugues de Saint-Victor par exemple, qui prescrivait de tout apprendre, car rien, estimait-il, n’est inutile lorsque l’on cherche la sagesse. L’érudition pure, l’accumulation des connaissances, sont rejetées au profit de :       « Ce qui sert à le [l’élève] faire plus sage et meilleur » (Montaigne, De l’Institution des enfants).       Il convient surtout de former le jugement, car « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », dit Rabelais. Érasme va jusqu’à donner des règles de bonne tenue, comme se servir d’un mouchoir et se moucher en se détournant.       Le corps est tout aussi concerné que l’esprit : Rabelais, Montaigne, mettent l’accent sur l’exercice physique :       « Ce n’est pas assez de luy roidir l’âme ; il luy faut aussi roidir les muscles » (Montaigne, Essais).       L’humaniste, cependant, appréhende le bonheur de l’étude dans le repli sur soi plus que dans l’ouverture au monde. Les innovations scientifiques ne l’atteignent pas, ainsi les théories coperniciennes publiées en 1543 ne susciteront de l’intérêt qu’au siècle suivant. L'érudit de la Renaissance est penché sur ses livres, dans la solitude de son cabinet de travail. Il évolue dans un milieu d’initiés qui communiquent dans une langue (le latin ancien) compréhensible d’eux seuls.       1. L'idéal éducatif. Un point de vue critique : J. M. Schaeffer       La pensée des Lumières et le mouvement occidental d'émancipation de l'individu se sont déployés simultanément sur deux plans : en développant une vive curiosité pour les faits les plus ordinaires, d'où une réflexion à la fois rationnelle et pragmatique sur les améliorations possibles dans le domaine des techniques et de la vie sociale; mais aussi en promouvant des idéaux impliquant une vision beaucoup plus ambitieuse et radicale du progrès: un idéal révolutionnaire et un idéal d'éducation de l'humanité.       La critique des illusions révolutionnaires a été faite ; elle suscite aujourd'hui un consensus assez général, dans la mesure où c'est la mise en œuvre même de l'idéal révolutionnaire qui en a révélé les impasses tragiques. Pour ce qui est l'idéal d'un progrès reposant sur la diffusion des savoirs, l'éducation morale et le développement de la raison, l'adhésion, au contraire, est généralement toujours de mise. Les limites du progressisme éducatif en tant qu'il est fondé sur une conception pédagogique de l'identité humaine restent donc à interroger…       Pourquoi une critique de l'idéal éducatif est-elle nécessaire ?       Il n'y a certes pas lieu de douter que le progrès des savoirs et leur diffusion soit un bien. Il est également incontestable que l'éducation est un facteur essentiel de progrès. Mais ce qu'on peut appeler l'idéal éducatif correspond à une conviction beaucoup plus spécifique : l'idée selon laquelle la connaissance nous permettrait de maîtriser notre comportement et nos relations avec nos semblables, de sorte que le savoir rationnel, joint à l'intériorisation des principes de la morale, serait la condition nécessaire et suffisante d'une amélioration de l'humanité… Source : F. Flahault et JM Schaeffer, L'idéal éducatif, revue « Communications », n° 72, Paris, Seuil, 2002, pp. 5.       2. Un vent nouveau : produire du neuf [pic]                                                   Mais un vent nouveau va se lever et à Érasme, qui entend « restaurer le passé » Francis Bacon, Instauratio magna,                       et non produire du neuf, Francis Bacon répond bientôt que « la science doit    Frontispice.                                            être tirée de la lumière de la nature, elle ne doit pas être retirée de        Paris, bibl. Victor-Cousin.                             l’obscurité de l’Antiquité » ; pour Bacon, « ce qui reste à faire » est plus                                                           important que « ce qui a été fait ». Et derrière lui s’engouffre tout le XVIIe                                                         siècle, qui rejoint cette conception d'un savoir ouvert, se dégageant des lieux                                                         clos de l’érudition pour partir à la conquête des mondes inconnus, au-delà des                                                         antiques colonnes d’Hercule.                                                         3. Les grandes découvertes stimulent la curiosité et les progrès techniques       La Renaissance n’est pas seulement le temps des érudits qui plongent dans les textes anciens pour les discuter en latin, c’est aussi celui des premières grandes découvertes :       1492, Christophe Colomb découvre le Nouveau Monde. Les expéditions maritimes rapportent une faune et une flore inconnues, qui élargissent les inventaires des naturalistes.       Les connaissances géographiques bénéficient d’une nouvelle cosmographie (1544, publication de la Cosmographia universalis de Sébastien Münster), qui remet en question Ptolémée et stimule l’invention d’outils plus performants. Ainsi l’Atlas de Mercator (1569) change la vie des navigateurs.       Dans le domaine de la mathématique, les Italiens sont les premiers à accomplir des progrès déterminants en algèbre, hissant cette science à un niveau jamais atteint par les Grecs ou les Arabes.       Enfin, l’astronomie copernicienne révolutionne la fin du XVIe siècle et ouvre la voie à la science moderne qui va reléguer à jamais dans leur Antiquité Aristote et Ptolémée.       Avec l’afflux de toutes ces connaissances nouvelles et l’augmentation de leur diffusion par l’imprimé, apparaît le désir de mettre en ordre. On invente des instruments pour mesurer le temps, l’espace, les astres. Les villes sont soumises à la géométrie de plans rigoureux. La vie religieuse, elle-même, est mise en règles.       Mais, à côté de cette apparente austérité, l’homme de la Renaissance manifeste un goût très fort pour le romanesque. C’est au XVIe siècle que l’on voit fleurir les utopies (avec Thomas More, Rabelais et son « abbaye de Thélème ») et l’amour de la vie, de la beauté des choses, éclate dans la peinture ou la poésie. III_ L'humanisme et la « foi en l'éducation »       1. Comenius, l'éducation comme « atelier de l'humanité »        La formule de Comenius l'éducation comme « atelier d'humanité » est sans doute l'une des expressions les plus vives de l'idéal éducatif. Elle a des accents qui feront penser à l'idéal kantien invitant l'éducateur à viser toujours une humanité future et meilleure. Comenius (Jan Amos Komensky) est un écrivain et humaniste tchèque, professeur puis prêtre, né en 1592, mort en 1670 à Amsterdam. La pensée humaniste chez lui est celle d'un humaniste chrétien. La porte ouverte sur les langues est un ouvrage pédagogique publié en 1631 qui lui vaut une renommée mondiale. La Grande Didactique publiée en 1632 peut être considérée comme l'un des grands textes fondateurs de la pensée et de l'éducation pour le monde moderne. Source : La Grande Didactique, chapitre VI        2. L'idée éducative : origine et spécificité       Selon Emile Durkheim, notre conception de l'éducation - la conception occidentale et humaniste - est un héritage chrétien. Dans L'évolution pédagogique en France il s'attache à en retracer la généalogie. Source : E. Durkheim, L'évolution pédagogique en France, chapitre 2 et 3.        Selon Durkheim, donc, l'idée éducative est indissociable du christianisme et des valeurs que le christianisme a inscrite dans notre civilisation. C'est dans le christianisme qu'il faut chercher selon Durkheim « le schéma abstrait du processus éducatif » (EPF, p. 38). Au fond de toute éducation, il y a donc le modèle religieux de la prédication, de la conversion : il s'agit toujours d'agir en profondeur sur la personne, conçue comme un tout, une unité, de la changer de l'intérieur, et de tout consacrer à ce but. En langage moderne : l'éducation ne se contente pas des savoirs et des savoir-faire : elle vise l'être, le savoir être. Ce que Durkheim appelle « une disposition générale de l'esprit et de la volonté » (EPF, p. 37). Le processus éducatif est d'essence religieuse… Unité, intériorité, totalité, voilà la trilogie éducative. IV_ Jean-Jacques Rousseau, aux sources de l'éducation moderne       La pédagogie de Rousseau se présente sous la forme d'une conception d'apparence paradoxale et provocatrice : c'est la fameuse « éducation négative » :       La première éducation doit donc être purement négative. Elle consiste, non point à enseigner la vertu ni la vérité, mais à garantir le coeur du vice et l'esprit de l'erreur. Si vous pouviez ne rien faire et ne rien laisser faire; si vous pouviez amener votre élève sain et robuste à l'âge de douze ans, sans qu'il sût distinguer sa main droite de sa main gauche, dès vos premières leçons les yeux de son entendement s'ouvriraient à la raison; sans préjugés, sans habitudes, il n'aurait rien en lui qui pût contrarier l'effet de vos soins. Bientôt il deviendrait entre vos mains le plus sage des hommes; et en commençant par ne rien faire, vous auriez fait un prodige d'éducation. \" Source : Emile, Livre II., p.113       1. La relation adulte enfant et l'éducation à la liberté       Pour comprendre le sens de cette éducation paradoxale, le mieux est de partir du tout premier exemple, le tout début de la relation éducative : le premier rapport qui se crée entre l'adulte et le bébé qui pleure. Deux passages de l'Emile pour y réfléchir. Sources : Emile, Livre I, pp. 75/76 et pp. 50/51       L'enjeu de ces deux textes ne laissent aucun doute : tout est perdu pour l'éducation si les pleurs se transforment en ordres, en d'autres termes si l'éducation quitte le terrain de la loi des choses pour entrer sur celui de la dépendance des volontés. L'enfant sera bientôt perverti, la nature en lui étouffée, il sera bientôt un petit tyran, lui-même dominé et déchiré par ses colères et ses désirs insatiables.        Georges Snyders souligne que ce terme a une double signification :       L'ordre naturel, c'est le refus les entraves, les contraintes artificielles qui aggravent le besoin. Y recourir, c'est laisser librement se développer le besoin naturel de remuer, de jouer, de prendre possession de son corps. Trop d'interdits ne reflètent que la crainte où le préjugé de l'adulte.       Mais l'ordre naturel, c'est une loi de nature qui a fait le bébé faible et qu'il faut que le bébé reconnaisse : il y a mille objets hors de sa portée, mille actions qu'il ne peut accomplir. Nulle humiliation, nul abaissement dans cette soumission à l'ordre des choses.       L'éducation négative ne vise que la négativité des volontés mais s'en remet à la positivité des choses.        2. La loi des choses       Il faut que l'enfant se mesure directement avec le monde, personnellement : qu'il apprenne ainsi à lire les lois du réel, la résistance des choses, les limites qu'elles imposent, les points d'appui qu'elles nous offrent : cette activité est activité libre.       Là est le rôle du gouverneur, et le sens de sa paradoxale présence continuelle : mettre l'enfant devant le réel, faire en sorte comme dit Snyders que « la confrontation entre le monde et l'enfant ne soit pas esquivée » (p. 427), faire en sorte que l'enfant soit placé devant la conséquence de ses actes, bref, exprimer « la leçon des choses ». Cette direction est donc cadre pour la liberté de l'enfant.       « L'adulte n'a plus à humilier, à abaisser l'enfant, puisque ce n'est pas lui qui doit prescrire ; l'enfant est pourtant transformer et pris en main » (Snyders, Idem). Donc il n’y a pas de discours moralisateur, seulement la leçon des choses. La soumission à l’égard des choses s’oppose à l’obéissance vis-à-vis des hommes. Le gouverneur est là pour conduire jusqu'à la loi des choses, il ne doit pas apparaître comme une autorité, une volonté. Sa rigueur, son inflexibilité prolonge la force des choses.        3. La « ruse pédagogique »       Etre éducateur, pédagogue, c'est donc du même coup entrer dans les arcanes et les paradoxes de la « ruse pédagogique ».       L'Emile est célèbre pour toutes les ruses du gouverneur, mises en scène pédagogiques, stratagèmes didactiques par lesquels Emile est secrètement dirigé, non par l'action directe du maître, mais par les choses qu'il a ordonnées à selon ses fins. Manipulations ? Beaucoup d'artifices, assurément, au nom d'une éducation selon l'ordre naturel !       Jean-Jacques s'assurant la complicité du jardinier Robert pour saccager le potager qu'Emile protège depuis plusieurs mois… à seule fin de lui faire découvrir seul le sentiment de propriété (Livre second, p. 119 et suivantes).       Jean-Jacques feignant de perdre Emile en forêt de Montmorency pour une leçon vivante d'astronomie (Livre trois, p. 233 et suivantes).       De la leçon en chambre à la leçon en plein air. Analyse du procédé. (pp.233-235). En s'inspirant de l'analyse de Michel Fabre (Penser la formation, Paris, PUF, 1994, p. 164 et suivantes), on retiendra quatre idées :       · Le sens du savoir apparaît dans l'explication par les choses mêmes. C'est la fameuse leçon de choses.       · L'étude doit se borner à l'utile, à ce qui fait sens pour l'enfant, et correspond à un vrai besoin, par opposition à une vaine curiosité.       · L'opposition se situe entre l'explication verbale et l'expérience sensible. Entre les mots et les choses.       · Dans la « situation-problème »crée par le gouverneur, l'élève se confronte à la réalité, aux choses et non au maître, à sa volonté et à son savoir. L'éducation négative appelle la pédagogie active. Cette situation est bien une ruse puisqu’elle n’est pas un problème réel pour l’enfant mais un artifice pour le maître.       Michel Fabre y décèle même « la duplicité constitutive de la relation formatrice « (p. 169). Ruse du maître pour éduquer l'enfant sans compromettre sa liberté fondamentale : « mettre son double en tiers, afin de placer l'enfant » sous la seule dépendance des choses , et donc en situation de se passer progressivement du père  (Michel Fabre, p. 170).L'éducation négative n'est donc pas renoncement au savoir.       Si le but de l'éducation est la liberté, l'accès aux savoirs, l'enseignement, doivent en participer. Le but de l'éducation est d'apprendre à s'orienter par soi-même ; c'est passer des choses muettes aux signes qui leur donnent sens. La leçon d'astronomie est de ce point de vue une métaphore de l'éducation tout entière. Eduquer, c'est aider à recourir aux signes qui permettront à chacun de s'orienter par lui-même. Pas d'éducation sans enseignement (enseigner, insignare = mettre une marque, faire signe), en ce sens là. V_ Durkheim et l'humanisme scientifique       L'apport de Durkheim ne se limite pas à l'introduction du regard de la sociologie et de l'histoire sur l'éducation et la pédagogie. Son actualité tient d'une part à son engagement personnel dans l'histoire de l’école, et d'autre part aux problèmes qui sont au cœur de ses analyses et qui sont des problèmes qui nous sont toujours sensibles.       1. L'héritage pédagogique de Durkheim       Il s'articule autour de deux questions qui traitent des problèmes propres au monde moderne, à notre monde :       - Premier problème, première question. Le monde moderne est le monde des sciences et des techniques, celui de la civilisation scientifique et technique : Que doit être l'éducation dans ce monde là ? Durkheim ne se demande pas seulement : comment enseigner les sciences, quelle place faire aux sciences dans l'éducation. Mais plus fortement : Que doit être l'éducation au temps des sciences ?       - Deuxième problème, deuxième question. Il n'y a pas d'éducation authentique sans éducation morale. Comment fonder un enseignement moral sur la culture scientifique (et non plus sur un fondement religieux) ?       2. Ces deux questions sont au fondement de l'idée de laïcité et du projet de l'école laïque.       C'est précisément là que se trouve l'engagement personnel de Durkheim dans l'histoire éducative de son temps, pendant la troisième des grandes « périodes d'effervescences pédagogiques ». Une « effervescence » dont témoigne notamment le Dictionnaire de pédagogie (1888) de Ferdinand Buisson, les numéros de la « Revue pédagogique ».       Une œuvre contemporaine des grandes lois scolaires instaurant la laïcité, sous la troisième République, l'époque de Jules Ferry.       Durkheim est un « intellectuel », un universitaire, un « savant » personnellement engagé dans le grand mouvement de construction d'une école laïque au tournant du siècle.       En 1887, un arrêté ministériel le désigne pour enseigner la pédagogie et la science sociale à l'université de Bordeaux (première apparition de la science de l'éducation). En 1902, il succède en Sorbonne à Ferdinand Buisson, titulaire de la première chaire de pédagogie. L'évolution pédagogique en France et L'éducation morale sont des textes issus de ses cours.       Avec Durkheim, c'est donc la doctrine et la pratique de l'école laïque qui se cherchent et qui se fondent. Il faut le lire et le situer dans cette perspective. Il s'agit bien d'une période d'innovation : il faut inventer l'école du peuple sans recourir à un fondement religieux.       L'attachement de Durkheim à l'idée laïque est déclaré, explicite. Il appartient à une famille de rabbins, c'est un juif laïc, il vient de la communauté juive émancipée par la Révolution française, et qui connaît la valeur émancipatrice de la République. Il voit dans l’idée laïque une garantie de la solidarité sociale. Et une forme de respect mutuel. Il estime, comme beaucoup d’intellectuels de sa génération, que la République doit formuler un idéal commun de croyances et de valeurs.       3. Une éducation humaniste à l'âge de sciences       Le grand mouvement des sciences qui affecte le savoir et la civilisation emporte enfin la pensée pédagogique et le système d'enseignement dans un nouvel âge. C'est la conviction sur laquelle Durkheim fonde sa lecture de l'histoire éducative et l'analyse de son devenir et de ses problèmes. L'éducation à venir est celle de l'âge des sciences, et il bouleverse la donne.  Dans les dernières leçons de L'évolution pédagogique en France, Durkheim distingue quatre grandes phases de l'histoire scolaire.       - L'âge carolingien, âge préliminaire, introductif.       - L'âge scolastique, du 12ème au 14ème siècle, époque médiévale dont viennent bon nombre de nos institutions : universités, collèges, facultés, grades, examens…       - L'âge humaniste, du 14ème à la fin du 18ème siècle, auquel nous devons l'enseignement littéraire et la place qu'il occupe dans l'enseignement et dans la culture.       - Le monde moderne appartient à une quatrième phase, ouverte depuis la fin du 18ème siècle, et qui n'en finit pas de se chercher. Depuis, explique Durkheim, « on cherche à compléter l'enseignement littéraire par une culture historique ». L'enseignement de ce monde nouveau est à inventer. Ce devra être l'œuvre des futurs enseignants auxquels Durkheim s'adresse dans ses cours : « Mesdames et Messieurs », leur déclare-t-il en substance, « c'est à vous qu'il appartient de faire entre enfin l'école dans cette nouvelle phase conforme aux évolutions de la société ».       Pourtant, cette quatrième phase nécessaire est marquée par une anomalie. Il y a un décalage considérable entre la place - considérable - qu'occupent les sciences et les techniques dans la civilisation et la société, et celle qui leur revient dans l'éducation - très réduite. Mais il appartient aux sciences d’éduquer – c’est là une nécessité, une exigence – et pourtant les sciences peine à trouver leur place dans l’école et l’enseignement.       Les sciences ne peuvent éduquer qu'en prenant le relais, l'héritage, en reprenant à leur compte toutes les ambitions inhérentes à l'idée éducative.       - L'éducation scientifique ne peut donc prendre le relais, devenir le modèle éducatif du monde moderne, qu'à la condition d'être pleinement formatrice. Elle doit être à la fois :       · Éducation intellectuelle (formation de l'esprit : comment former un esprit par les sciences ?       · Éducation morale (formation de la volonté : comment former par la science, à l'aide des sciences, la personne morale, capable de s'imposer des devoirs, de se donner des lois et de s'y contraindre ?)       · Éducation esthétique (formation du goût et de la sensibilité grâce aux sciences)       · Éducation politique (formation du citoyen grâce aux sciences).        Ce programme est celui du positivisme auquel adhère Durkheim. C'est une ambition dont on peut suivre la trace dans l'histoire des idées éducatives, de Auguste Comte à Charpak, en passant par Durkheim, Bachelard, et plus récemment ce qu'on a appelé « les activités d'éveil scientifique ».        Durkheim en appelle donc à une nouvelle culture fondée dans les sciences, à un nouvel humanisme fondé dans les sciences et capable de reprendre les valeurs éducatives humanistes issues du christianisme.       « Il s'en faut que la conception que le christianisme se fait de l'éducation soit sans fondement : si les formules symboliques dans lesquelles elle est enveloppée ne sont pas scientifiquement admissibles, il y a sous ces symboles une vérité profonde qui doit être retenue… Il reste vrai que la fonction propre de l'éducation est avant tout de cultiver l'homme, de développer les germes d'humanité qui sont en nous. Or, un enseignement auquel on assigne uniquement pour fin d'accroître notre empire sur l'univers physique manque à cette tâche essentielle » (EPF, p. 386).        Ce n'est pas purement du scientisme. Dans le modèle que propose Durkheim à la fin de L'EPF, les sciences n'ont pas pris toute la place des Humanités. C'est une culture à trois pieds, assise sur trois domaines d'études : celui de la nature, celui du langage, celui de l'homme. Trois domaines en rapport de complémentarité et de réciprocité. « L'enseignement humain suppose un enseignement de la nature », et tous deux « se pénètrent mutuellement, agissent et interagissent l'un sur l'autre » (EPF, p. 398). Le langage occupe dans ce modèle et ce programme d'enseignement une place particulière, centrale et fondatrice. Il est à la fois du côté de l'humain, et du côté des choses. Il est bien en nous (subjectif), mais déjà en dehors de nous (objectif). Il nous fournit les bases de la logique qui nous sert à comprendre la nature. Il est aussi le premier objet des sciences humaines.       L'avis d'un pionnier de « l'éveil scientifique », Victor Host : L'entreprise de rénovation des sciences a échoué. On doit reconnaître que perdurent les « déficiences de la culture scientifique ».       Le point de vue de Michel Fabre : « Le succès même des sciences peut conduire à occulter la question de leur valeur formatrice. Mais notre croyance spontanée en cette valeur vient surtout de ce que nous pensons toujours la théorie au sens grec, sans apercevoir le changement fondamental de signification qui l'affecte dans la science moderne ». (Penser la formation, Paris, PUF, 1994, p. 100). Conclusion     L’éducation, idée vivante et actuelle, s’incarne dans des mouvements qui concourent à l’accès de tous aux savoirs, et à la culture, dans un souci permanent du bien commun. Par l’éducation, des citoyens s’engagent. Acteurs sociaux et créateurs de lien, leurs initiatives se traduisent dans des actions et des recherches pour aboutir à des réponses sociétales durables. L’éducation défend la liberté de penser, la solidarité, la coopération. Elle favorise la créativité. Elle privilégie le respect des règles démocratiques. Elle est une éducation pratique et théorique à l’humanisme et à la démocratie. Les temps actuels nous réaffirment sa profonde nécessité, l’utilité de s’y engager pour éviter, dans une société de compétition exacerbée, le risque de retour à des situations d’extrême violence généralisées.

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