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Peut-On Etre Libre Et Heureux A La Fois?

Publié le 16/01/2011

Extrait du document

 INTRODUCTION 

 

Peut-on accéder au bonheur tout en subissant des contraintes ? Il est important de définir avec beaucoup de soin les notions de liberté et de bonheur. Souvenez-vous, en particulier, de l'eudémonisme des stoïciens, qui concilie le bonheur avec une liberté essentiellement intérieure, qui ne dépend que de nous. On peut être heureux en toutes circonstances : à condition de construire une liberté fondée sur le jugement. Il n'est sans doute pas nécessaire de multiplier les sondages pour savoir si l'individu veut être libre. Pas davantage pour savoir s'il veut être heureux. Et si l'on juxtapose les deux adjectifs, la réponse garde toutes ses chances d'être positive : comment l'addition de deux situations admises comme bénéfiques ou favorables pourrait-elle basculer dans le négatif ? Il est toutefois possible que l'analyse des deux concepts en vienne à montrer qu'ils ne sont pas aussi compatibles qu'ils le semblent d'abord : peut-on être à la fois libre et heureux ?. Nous distinguerons d’abord le cas d’un peuple et celui d’un individu, vivant sous une dictature. D’autre part, une société démocratique fonctionne aussi sur le respect d’un nombre de lois qui rendent illusoire la liberté absolue. Nous verrons que le bonheur, loin d’être menacé par ces règles, en dépend. Enfin, nous expliquerons en quoi le bonheur et la liberté sont liés.

   DEVELOPPEMENT 

 

Une démocratie libérale ne saurait concevoir qu’on puisse être heureux sous un régime totalitaire. Pourtant, il n’est pas rare qu’un peuple s’en accommode. La masse se soumet à l’idéologie dominante par ignorance, par peur ou opportunisme, par désir de tranquillité ou de sécurité. Ainsi, il arrive que tout un peuple supporte le totalitarisme par paresse ou lâcheté, surtout si le système politique réussit à imposer l’illusion de sa légitimité.

D’autre part, il faut toujours se garder de juger un régime à l’une de nos valeurs et de notre histoire. A Cuba, par exemple, la pauvreté, le contrôle de l’information, l’aliénation au régime nous semblent contraires aux Droits de l’Homme. Pourtant, la population, dans son ensemble, est satisfaite de sa vie et reconnaissante à Castro d’avoir redistribué les terres aux paysans après la révolution.

Ce qui est vrai pour tout un peuple, l’est-il pour un individu ? Celui qui vit sous un pouvoir totalitaire cesse d’être tranquille dès qu’il sait ce qu’il veut et qu’il comprend qu’il veut autre chose. Cependant, la plupart du temps, l’homme se contente de l’illusion de liberté : il se conforme à la pensée dominante à condition qu’elle lui laisse l’impression d’une certaine liberté, celle de posséder, de travailler, de se marier par exemple. Celui à qui on laisse peu de choix arrive, en général, à se croire libre et heureux parce que sa vie dépend de ce mensonge.

 

Qu’en est-il dans nos sociétés libérales ? Le citoyen d’une démocratie doit respecter différents codes qui limitant la liberté individuelle, garantissent celle de tous. Dans l’intérêt général, l’individu peut alors penser ce qu’il veut mais doit renoncer à agir comme il le voudrait. Ainsi, Spinoza, en 1670, établit-il une distinction capitale entre la liberté de juger et celle d’agir : « (…) il lui suffit de laisser au pouvoir souverain le soin de décréter sur toutes les décisions à prendre et de ne rien faire contre ce décret, même si souvent il doit agir à l’encontre de ce qu’il juge et pense ouvertement bon «. Un siècle plus tard, J.J. Rousseau définit le rôle du législateur qui guide le peuple dans l’établissement de lois justes qui soient l’expression de la volonté générale. Il en découle que même dans le système le plus démocratique, la liberté de l’homme est limitée. Ce sont pourtant ces limites qui donnent à l’homme la possibilité de vivre heureux, sachant que ses droits fondamentaux sont reconnus, comme sa liberté de pensée, de conscience et de religion.

Le bonheur est cependant un concept qui ne se définit pas facilement. Antigone, dans la pièce d’Anouilh, meurt parce qu’elle refuse « cette petite chance pour tous les jours, si on n’est pas trop exigeant «. Elle veut un absolu « et que cela soit aussi beau que quand j’étais petite «. Pour elle donc, le bonheur est un idéal ; c’est la pureté de l’enfance qui s’accommode mal des contingences, des responsabilités et des concessions. Cette idée-là va de pair avec le désir d’une liberté totale : « Je veux tout, tout de suite « ; c’est pourquoi elle n’est pas réalisable. D’autres sont plus « modestes « et se contentent « d’un petit morceau «. Est heureux celui qui réalise ce qu’il veut en ayant intégré les limites que la vie en collectivité impose. La liberté, qui est aussi un idéal, devient alors « autonomie «, comme J.J. Rousseau l’avait définie : « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté «. Le valet Matti de Brecht, en quittant Maître Puntila, conclut par ces mots : « Un bon maître, ils en auront un/Dès que chacun sera le sien «. La satisfaction des intérêts particuliers – et donc, le bonheur – dépend de la capacité à se régir soi-même. Si Antigone avait dit « oui « à la vie, elle aurait découvert un bonheur qui n’est pas une utopie mais qui est plaisir, action et amour, dans une liberté qui n’est pas donnée mais à conquérir par la « saine raison «, comme disait Spinoza.

Sommes-nous heureux ? Jamais sans doute l’homme n’a eu autant recours aux « divertissements « dont parlait Pascal : loisirs, jeux, drogues… et quand ces palliatifs sont insuffisants, il consulte psychanalystes et neurologues. Jamais pourtant, la liberté de l’homme n’a été aussi bien protégée par « l’Etat Providence «, déclarations, associations, ligues, syndicats ou avocats . La sagesse peut-être nous échappe à force de croire aux rêves qu’on nous vend, à ces images de bonheur qu’on nous impose, à ce mode de vie stéréotypé qui passe par la possession des « choses «, comme l’avait prévu G. Pérec. Aujourd’hui, on nous promet le bonheur grâce aux cartes de crédit, aux agences de voyage, à la chirurgie esthétique et tout récemment, grâce à des coaches qui nous entraînent à vivre… Les nouvelles technologies qui nous mettent en relation avec le monde entier nous promettent des centaines « d’amis « et des amours torrides. Or, si le bonheur a besoin de liberté pour exister, il a surtout besoin de vérité pour s’épanouir. Depuis l’explosion de la société de consommation, il est devenu commun de « désirer toujours plus qu’on ne peut acquérir «. C’est pourquoi le jeune couple des « Choses « de Pérec sera perpétuellement déçu par la réalité : « Le linge glacé, les couverts massifs (…) sembleront le prélude d’un festin somptueux. Mais le repas qu’on leur servira sera franchement insipide. «

Etre heureux, c’est aimer la vie, dans la vérité et la lucidité, pas dans le fantasme. C’est accepter le réel pour le comprendre et le transformer. De même, être libre, c’est le devenir, c’est-à-dire comme le disait Spinoza, être soumis seulement à sa propre nécessité ou mieux à la compréhension de la nécessité.

   CONCLUSION 

 

Il apparaît que le bonheur et la liberté sont des concepts malaisés à cerner. Ils tiennent du mystère ou de l’idéal et sont relatifs, dépendant du contexte socio-politique et de l’histoire individuelle. Un peuple peut être heureux sous une dictature en raison d’un instinct grégaire qui le pousse souvent à abandonner toute résistance pour se fondre dans la tranquillité du troupeau. L’individu peut ignorer sa conscience s’il jouit d’une liberté suffisante pour entretenir l’illusion qu’il reste maître de ses choix.

Dans une démocratie, la loi respecte la valeur de la personne tout en comblant les besoins économiques et sociaux de la collectivité. C’est en cela qu’elle permet le bonheur individuel en garantissant les libertés fondamentales, à condition que le citoyen la conçoive comme telle. De coercitive, la loi devient l’expression de la volonté de chacun pour le bien de tous.

Le malaise de l’homme du 21e siècle montre pourtant que la relation entre le bonheur et la liberté n’est pas aussi simple. Pour être heureux, pleinement satisfait, l’homme a besoin de vérité. Or, les médias l’étourdissent de promesses, le poussent à rêver sa vie plutôt qu’à affronter le réel. Lorsqu’il se réveille, sa liberté est devenue un esclavage : obligé de rembourser les emprunts, incapable de limiter des besoins que la société a créés pour lui, il souffre de ce qu’il n’a pas, ayant oublié de se réjouir de ce qu’il avait.

Ainsi, le bonheur comme la liberté ne peuvent se passer de la vérité. La vraie question serait donc de se demander comment libérer l’homme de ses fantasmes et l’amener à accepter le réel pour le comprendre, puis le transformer. La philosophie peut certainement lui être d’une grande aide de sorte que le bonheur devienne sagesse.

 

Problématique: si la liberté est parfaite maîtrise de soi, si elle ne suit aveuglément ni les émotions ni les passions, n'exige-t-elle pas le sacrifice de la vie comme simple jouissance?

Dans ces conditions, peut-on affirmer qu'on peut être à la fois libre et heureux sans sombrer dans le contradictoire? Cependant, celui qui éprouve la satisfaction d'avoir fait ce qu'il devait faire, n'est-il pas heureux puisque cette satisfaction a une valeur infinie (la liberté) et que par rapport à cette valeur la succession des désirs et des plaisirs, comme si on voulait remplir un tonneau percé, n'a que peu de valeur. Quelle peut être la valeur du devenir par rapport à l'être?

  Pour une solution:

Il suffirait peut-être pour sortir du contradictoire de distinguer deux formes de liberté et deux formes du bonheur:

- La liberté naturelle de faire tout ce qu'on veut si on le peut et la liberté morale comme autonomie, obéissance à la loi qu'on s'est prescrite. Toute loi donne la priorité à l'universel sur les appétits particuliers.

- Si le bonheur désigne la jouissance, il est clair que la liberté morale ne produit rien de tel. Mais, si le bonheur est dans le sentiment d'avoir fait ce qu'on devait faire, cette satisfaction semble d'une valeur infinie par rapport à la satisfaction des appétits que l'on a sacrifiés.

Il faut distinguer la plaisir et la joie: dans le plaisir, il y a le signe que la vie animale a réussi, la joie accompagne la réussite d'une vie humaine, l'activité libre menée à sa perfection

  Quelques textes pour la recherche des idées:

- Aristote, Ethique de Nicomaque, I, VII. 

"Un hirondelle ne fait pas le printemps ... de même ce n'est ni un seul jour ni un court intervalle de temps qui font le bonheur." 

(Une activité libre menée jusqu'à sa perfection dans la persévérance, c'est être heureux)

- Kant, Critique de la Raison pratique, première partie, Livre 1, chapitre III.

Le bonheur n'est pas la jouissance, il est autre que la vie au point que par rapport au bonheur "la vie avec tout son charme n'a plus aucune valeur."

- Malebranche, troisième discours dans le Traité de la nature et de la grâce:

"Or il faut prendre garde que le principal devoir des esprits, c'est de conserver et d'augmenter leur liberté: parce que c'est par le bon usage qu'ils peuvent en faire, qu'ils peuvent mériter le bonheur."

- Epicure, Lettre à Ménécée (voir les dernières lignes de la lettre à Ménécée: l'épicurisme est une philosophie de la liberté et du bonheur).

"Les vertus ne font qu'un avec la vie heureuse et celle-ci est inséparable d'elles."

  Pour une conclusion:

un être appartenant à l'intelligible et au sensible ne peut être, en ce monde pleinement heureux. Il ne peut que le mériter: cela exige un Dieu seul capable de réconcilier le concept et la nature, ainsi que  l'immortalité de l'âme.

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