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Phèdre, Scène 7, Acte V

Publié le 23/11/2010

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Acte V, scène 7 : voici les dernières paroles que Phèdre adresse à Thésée avant de mourir

PHEDRE 

1622   Les moments me sont chers, écoutez-moi, Thésée. 

         C'est moi qui sur ce fils chaste et respectueux 

         Osai jeter un oeil profane, incestueux. 

1625  Le ciel mit dans mon sein une flamme funeste ; 

         La détestable OEnone a conduit tout le reste. 

         Elle a craint qu'Hippolyte, instruit de ma fureur, 

         Ne découvrît un feu qui lui faisait horreur. 

         La perfide, abusant de ma faiblesse extrême, 

1630   S'est hâtée à vos yeux de l'accuser lui-même. 

         Elle s'en est punie, et fuyant mon courroux, 

         A cherché dans les flots un supplice trop doux. 

         Le fer aurait déjà tranché ma destinée ; 

         Mais je laissais gémir la vertu soupçonnée. 

1635  J'ai voulu, devant vous exposant mes remords, 

         Par un chemin plus lent descendre chez les morts. 

         J'ai pris, j'ai fait couler dans mes brûlantes veines 

         Un poison que Médée apporta dans Athènes. 

         Déjà jusqu'à mon coeur le venin parvenu 

1640   Dans ce coeur expirant jette un froid inconnu ; 

         Déjà je ne vois plus qu'à travers un nuage 

         Et le ciel, et l'époux que ma présence outrage ; 

         Et la mort, à mes yeux dérobant la clarté, 

         Rend au jour, qu'ils souillaient, toute sa pureté. 

 

Racine, est considéré comme le maître de la tragédie classique, au XVIIème siècle. Il le prouva à plusieurs reprises, en particulier lorsqu'il mit en scène, en 1677, Phèdre, pièce qui eut un grand succès auprès du public et dont on considère qu’elle marque l’apogée de sa carrière dramatique. Racine écrivait d’ailleurs dans la préface : « je n’ose encore assurer que cette pièce soit en effet la meilleure de mes tragédies «. La passion de Phèdre pour Hippolyte, le fils de son mari Thésée, est au cœur de cette pièce. Phèdre, croyant son époux mort, s’est déclarée à son beau-fils. Mais Thésée n’était pas mort et son retour au palais sème le trouble. Oenone, nourrice de Phèdre, souhaite protéger cette dernière en persuadant Thésée que son fils aime sa belle-mère d’un « amour criminel «. L’extrait à commenter correspond aux derniers mots de Phèdre, mots qu’elle adresse à Thésée alors qu’elle a déjà absorbé le poison qui va l’emporter. Quel intérêt présente cette dernière invention de l’héroïne ? Tout indique qu’elle se considère, au moment de mourir, encore à la fois coupable et victime. La mort qui la gagne semble, en dépit d’une certaine crainte légitime, attendue avec soulagement. 

 

Phèdre souhaite, au moment de son agonie, avouer son crime mais l’aveu devient vite mise en accusation.

L’héroïne est soucieuse de rétablir la vérité. Ses ultimes paroles prennent les apparences d’une confession : « c’est moi qui sur ce fils chaste et respectueux / Osai jeter un œil profane, incestueux «. La tournure emphatique,  « C’est moi qui …. «, montre qu’elle n’hésite pas à mettre l’accent sur sa culpabilité. La façon dont elle présente son crime appelle un commentaire : elle s’accuse d’avoir « os[é] jeter un œil profane, incestueux « sur son beau-fils. Le choix du verbe « os[er] « laisse entendre qu’elle a transgressé un interdit. Les qualificatifs qu’elle emploie, « profane, incestueux « indiquent avec quelle sévérité elle se juge. Elle ne s’épargne nullement. On aura aussi remarqué qu’elle souhaite réhabiliter Hippolyte qu’elle qualifie de « respectueux « et la diérèse sur ce mot clé permet d’insister sur son innocence. Avoir jeté son dévolu sur son beau-fils, innocent qui plus est, la rend, par contraste, plus coupable encore. Ce contraste est rendu saisissant par la présence à la rime des deux adjectifs « incestueux « et « respectueux « qui se répondent. Elle se présente comme une véritable « souill[ure] «, dont il est urgent de débarrasser le monde. Le terme rend bien compte de la honte qu’elle s’inspire.

Cependant, tout en rétablissant la vérité, Phèdre cherche aussi à se disculper. Elle accuse le « ciel « d’avoir « mi[s] dans son sein une flamme funeste « rappelant ainsi la haine dont la déesse Vénus poursuit sa famille. Le fait que le « Ciel « occupe la fonction sujet indique bien qu’elle ne se considère plus comme complètement responsable. C’est le « ciel « qui est l’instigateur de cette « flamme funeste «. L’image du feu indique bien combien elle en souffre. Quant à l’adjectif « funeste «, il fait comprendre que les dieux souhaitaient la perdre en la faisant tomber amoureuse de son beau-fils.

Phèdre en veut aussi terriblement à Oenone, sa nourrice qui l’a encouragée à faire part de ses sentiments à Hippolyte. Elle est à son encontre d’une extrême cruauté. Elle la qualifie de « détestable «, « perfide «. Elle lui en veut de s’être « hâtée « d’ « accuser « Hippolyte. Le verbe « hâter « fait de la nourrice une femme avide de faire le mal, ce qui la rend terriblement féroce. Des propos empreints d’une telle haine peuvent choquer compte tenu qu’Oenone l’a élevée et surtout, compte tenu qu’elle est morte au moment où Phèdre prononce sa tirade. Cela ne la rend pas indulgente, bien au contraire : elle considère la mort d’Oenone qui s’est noyée comme un « supplice trop doux «, oxymore faisant ressortir une grande rancune. Cruelle, elle aurait préféré qu’elle souffre encore plus.

 

Au moment de mourir, Phèdre est encore extrêmement perturbée, tiraillée entre haine de soi et haine des autres. On comprend dès lors qu’elle accueille plutôt sereinement la mort.

Cette dernière tirade est l’occasion pour elle de souligner qu’en s’infligeant la mort, elle a cette fois maîtrisé sa destinée, elle qui n’a eu que le sentiment de subir les choix divins depuis qu’une « flamme funeste « s’est logée dans son cœur. Là, c’est elle qui a choisi sa mort. Elle dit à Thésée : « J’ai voulu […]/ Par un chemin plus lent descendre chez les morts «, « J’ai pris, j’ai fait couler dans mes brûlantes veines / Un poison «. L’anaphore, « J’ai […], J’ai […], J’ai […] «, traduit une volonté d’insister sur cette maîtrise des événements enfin retrouvée.

Même si on devine une certaine appréhension à l’idée de « descendre chez les morts «, euphémisme désignant les Enfers, elle apparaît quand même soulagée. Quand elle décrit les effets cliniquement vraisemblables de la mort qui la gagne, l’impression de froid due au ralentissement de la circulation sanguine puis la disparition progressive de la vue, on la devine assez sereine, on ne note aucun terme dénotant ou connotant le regret ou la colère : 

«  Déjà jusqu’à mon cœur le venin parvenu

Dans ce cœur expirant jette un froid inconnu

Déjà je ne vois plus qu’à travers un nuage «. Bien sûr la reprise anaphorique de « Déjà « peut laisser entendre qu’elle cède quelque peu à la panique devant la mort qui arrive si vite. Cependant, on notera un certain détachement : « mon cœur « dans le 1er des 3 vers relevés devient « ce cœur « au vers suivant. On a un peu le sentiment qu’elle regarde son enveloppe charnelle comme si elle ne lui appartenait plus et ce, sans réellement en être peinée. Les derniers vers sont majoritairement construits selon la  norme classique, c’est-à-dire que la césure figure à l’hémistiche. Or, tout au long de la pièce, les tourments de Phèdre avaient fréquemment une incidence sur la construction de l’alexandrin. La coupe principale se voyait souvent déplacée tôt dans le vers, signe d’un grand trouble. C’est moins le cas. On imagine Phèdre assez apaisée au moment de quitter le monde des vivants.

 

Phèdre a absorbé du poison. Le temps lui est précieux. Elle tient à rétablir la vérité la concernant mais on voit qu’elle ne s’est pas départie de cette rancœur à l’égard des dieux ou d’Oenone. Cette mort qu’elle a choisie est donc accueillie, malgré une certaine appréhension, comme une délivrance, un soulagement.  Cette mort symbolise la victoire du Bien sur le Mal, conformément à ce que Racine annonçait dans sa préface. Nous savions que « les fautes s[eraie]nt sévèrement punies «. L’œuvre ne se refermera pas sur le malheur. Les dernières paroles de Thésée, l’annonce de sa réconciliation avec Aricie, sont porteuses d’espoir.

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