Quels sont les pouvoirs du théâtre ?
Publié le 22/02/2012
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Dans l'antiquité, le théâtre avait une vocation politique, il posait les problèmes de la cité. Par
conséquent, on retrouve de nombreuses pièces antiques traitant du pouvoir. Depuis, ce thème a été
très largement abordé par les dramaturges. Le théâtre s'y prête particulièrement bien car il permet
une représentation du pouvoir sur scène. De nombreux auteurs engagés ont utilisé le théâtre pour
donner leur opinion, faire passer des messages. Sur le thème du pouvoir, les exemples abondent. La
censure a parfois rendu difficile d'aborder ces thèmes dans les pièces de théâtre, certains auteurs ont
mis plusieurs années à pouvoir représenter leur pièce. Les messages portés par les dramaturges sont
souvent implicites mais les idées délivrées dans ces pièces sont fortes ; le pouvoir est un thème
historique et récurent au théâtre, c'est pourquoi il est intéressant de se demander comment le théâtre
permet une représentation du pouvoir et dans quel but. Nous tâcherons d'étudier les moyens utilisés
par les auteurs et metteurs en scène pour représenter le pouvoir mais aussi relever et interpréter les
points de vue de différents auteurs.
Dans un premier temps, nous nous intéresserons aux moyens offerts par le théâtre qui
permettent de représenter le pouvoir, avant, dans un deuxième temps, de nous demander quel est le
but recherché par ces dramaturges.
Au théâtre, plusieurs moyens permettent de représenter le pouvoir, certains dépendent de
l'auteur lui même, avec le texte et les didascalies, d'autres dépendent du metteur en scène qui aura à
sa disposition les décors, les costumes, les accessoires et le jeu des acteurs. Dans le théâtre Grec, les
masques symbolisaient la possession surnaturelle, ils étaient moulés sur le visage des acteurs. Ils
pouvaient servir à la représentation du pouvoir car ils étaient symboliques (les couleurs par exemple
permettaient de reconnaitre les personnages). Plus tard, d'autres pièces ont utilisé des masques, dans
certaines représentations de la pièce de Marivaux Le jeu de l'Amour et du Hasard par exemple. Les
décors se sont enrichies avec l'évolution du théâtre, aujourd'hui, les moyens techniques sont
importants et ils permettent de nombreuses modification au cours de la pièce. Ces moyens apportent
des solutions au metteur en scène pour représenter le pouvoir qu'il peut représenter par un palais ou
un château. Ces décors peuvent être complétés par des costumes qui permettent de différencier les
personnages, par exemple de montrer rapidement au spectateur le roi, qui incarne le pouvoir.
Souvent, ces personnages portent un costume plus élégant que les autres et leur jeu incarne lui aussi
le pouvoir par la tenue et le charisme. Dans Le roi se meurt de Ionesco, au début de la pièce, le roi
porte un manteau de pourpre, une couronne sur la tête, et a son sceptre en main. Il incarne le
pouvoir, sans ambiguïtés. Les personnages qui abusent du pouvoir sont souvent mis en scène dans
des tragédies mais nous allons voir qu'il peuvent aussi être représentés dans d'autres registres. Il
existe donc de nombreux moyens pour représenter le pouvoir sur scène, nous allons voir à quoi ils
aboutissent en observant différentes figures de rois.
On retrouve de nombreux tyrans et rois tragiques comme dans Caligula, de Camus, qui nous
présente un tyran à caractère pervers, qui règne par la terreur. Dans l'extrait du corpus, Caligula
oblige Lépidus à dire qu'il n'est pas de mauvaise humeur alors qu'il vient de tuer son frère, il ajoute
même « au contraire ». De même, dans Les mouches, de Sartre, on retrouve un tyran tragique qui
nous montre son caractère tyrannique, même au sein de sa propre famille. Dans la représentation du
pouvoir, d'autres figures de roi se détachent, ce sont des rois grotesques. Dans Le roi se meurt,
Bérenger 1er règne sur son royaume depuis plusieurs siècles et il avait tout pouvoir, même sur les
éléments. Ce qui fait de lui un tyran. Son attitude et ses répliques devant sa mort le discrédite et le
rendent grotesque. Ce qui atténue son côté tyrannique. Dans Ubu roi d'Alfred Jarry, on retrouve un
tyran grotesque dans le personnage très connu : Ubu. Il a été convaincu par sa femme, la mère Ubu,
de se livrer à un complot pour renverser le roi Venceslas. La mère Ubu a pour seuls objectifs de «
manger fort souvent de l'andouille » et de se « procurer un parapluie » ! Là encore, on retrouve les
démarches d'un tyrans, grossièrement dépeintes avec le caractère absurde de la pièce d'Alfred Jarry.
Ubu est aussi un tyran grotesque par ses répliques, il se permet un langage déplacé : il emploie par
exemple le mot "merdre" ; qui a d'ailleurs fait polémique dans les premières représentations. Nous
avons vu qu'il existait différents moyens pour représenter le pouvoir au théâtre afin de donner
naissance à des personnages qui, pour la plus part, ont une utilisation détournée du pouvoir. Nous
allons voir maintenant quel est le but recherché par ces auteurs.
Nous allons voir, à travers plusieurs pièces, pourquoi les auteurs représentent le pouvoir
dans leur pièces. Dans Rhinocéros de Ionesco, on assiste à une épidémie de "rhinocérite", qui
transforme tous les habitants de la ville en rhinocéros. A travers cette pièce, Ionesco dénonce le
nazisme et les régimes totalitaires. Le rhinocéros est un animal qui "fonce la tête baissée" sans
savoir où il va, ils représentent ici les personnes endoctrinées par ces régimes. Dans la pièce,
Bérenger est le seul à résister face à l'épidémie, il symbolise la résistance. Ici, Ionesco a utilisé
l'absurde et le comique pour représenter le pouvoir sous sa forme la plus marquante : les régimes
totalitaires dans la Seconde Guerre mondiale. Avec Le roi se meurt, Ionesco dénonce moins
fortement les excès du pouvoir. C'est aussi une pièce du théâtre de l'absurde, avec ce personnage
grotesque qui, comme tout homme, a peur de mourir. Ionesco dénonce les dictatures qui
s'éternisent, dont les dirigents ont tout pouvoir, au dépend du royaume et du peuple. Cependant, ce
n'est pas l'objet principal de sa pièce qui traite de la mort. Sartre, dans Les Mouches, dénonce
également les tyrans, surtout par leur caractère et leur comportement, à travers Egisthe et ses actes,
vis à vis de sa propre famille. Dans Ubu roi, de Jarry, Ubu est un tyran grotesque qui présente de
l'autoritarisme, illustré ici par ses rapports avec les « Paysans » : « Monsieur Ubu, de grâce, ayez
pitié de nous. Nous sommes de pauvres citoyens. » Ubu : « Je m'en fiche. Payez. » Ces paroles
peuvent être renforcées par le jeu des acteur, montrant la domination physique du roi, suivi d'une
« légion de Grippe-Sous ». Entrée dans le répertoire de la comédie française en 2009, cette pièce
dénonce elle aussi la tyrannie. Dans Tartuffe de Molière, on assiste à une comédie qui met en scène
Tartuffe, personnage éponyme mais surtout hypocrite. Molière dépeint l'hypocrisie, il dénonce le
pouvoir abusif de la compagnie du saint sacrement à travers Tartuffe qui est un faux dévot. C'est
pourquoi il a eu des difficultés pour pouvoir la représenter, il a du attendre cinq ans ! Le roi est
assez peu présent dans cette pièce, mais il représente tout de même le pouvoir. Il est mis en valeur
par Molière car à la fin de sa pièce, il résout l'intrigue avec justice. On assiste à un "Deus ex
machina". Avec sa pièce, Molière dénonce une autre forme d'abus du pouvoir car la Compagnie du
Saint-Sacrement était très puissante et très influente à l'époque de Molière. Racine, dans
Andromaque, nous montre le caractère destructeur du pouvoir. Dans cette pièce tragique, nous
pouvons voir la lutte des représentants du pouvoir politique et militaire qui vont se déchirer tout au
long de la pièce. Trois ans plus tard, dans Bérénice, Racine représente le pouvoir par Titus, il aime
Bérénice mais il choisira le pouvoir plutôt que l'amour car les deux sont incompatibles (Rome
refuse son mariage). Racine montre ici jusqu'où mène le pouvoir avec ce personnage qui a omis
l'essentiel. Enfin, Jean Paul Sartre est un auteur engagé, qui, dans son oeuvre Les mains sales,
montre sa déconvenue pour le partie communiste et dénonce la violence des pratiques
révolutionnaires en mettant en scène Hugo, jeune personnage ayant été condamné pour avoir
assassiné un chef communiste. Le titre traduit déjà cette idée car il illustre la violence des actes
d'une manière imagée et évocatrice. Sartre représente le pouvoir pour dénoncer des pratiques qui lui
sont liées, les révolutions naissent une forte discordance entre le peuple et le pouvoir.
La représentation du pouvoir est également utilisée pour dénoncer l'histoire d'un personnage
réel. Dans Caligula, Camus dénonce le règne du troisième empereur romain qui fut marqué par la
tyrannie, et la folie. Ce qui l'a mené à sa mort. Dans une présentation de son oeuvre, l'auteur lui
même dit qu'on "ne peut tout détruire sans se détruire soi-même" c'est ce qu'il a tâché d'illustrer
dans sa pièce à travers Caligula. L'oeuvre d'Albert Camus dénonce les dictature en général par celle
de Caligula, une des plus marquante de l'histoire Romaine. On observe la même idée chez Racine
avec Britannicus, l'auteur s'est inspiré de l'histoire Romaine en utilisant un personnage réel de
l'histoire, marqué par la folie du pouvoir. Néron apparait au spectateur comme un maître absolu,
même sur le destin des autres personnages. Dans sa pièce, Racine dénonce la folie du pouvoir et
l'instabilité politique ; étroitement liées. En dénonçant les abus d'un personnage particulier, l'auteur
montre au spectateur que le personnage mis en scène n'est pas unique, il dénonce aussi plus
globalement les abus du pouvoir.
Enfin, la représentation du pouvoir au théâtre peut également servir à éclairer le spectateur.
Jean Giraudoux a écrit La guerre de Troie n'aura pas lieu en observant la montée des dictatures en
Europe. Après avoir passé toute la pièce dans l'hésitation et dans la peur de la guerre, Oiax trahi le
titre de l'oeuvre, pour laisser place à l'évidence, la guerre de Troie aura lieu. Avec ce titre ironique,
l'auteur nous prévient du risque d'une seconde guerre mondiale. Il éclaire le spectateur par sa
lucidité sur la guerre. La pièce a été jouée pour la première fois en 1935, soit quatre ans avant la
Seconde Guerre mondiale. Le mariage du Figaro est une pièce de Beaumarchais qui dénonce les
inégalités et les privilèges. On peut l'interpréter comme un signe avant-coureur de la révolution.
Louis XVI a déclaré qu'il « faudrait détruire la Bastille pour que la représentation de cette pièce ne
fût pas une inconséquence dangereuse ». Beaumarchais a représenté le pouvoir pour dénoncer
plusieurs réalités de l'époque dont l'excès de pouvoir de certaines classes sociales et les privilèges
qui en découlent. Nous avons vu à travers ces références que les auteurs représentant le pouvoir sur
scène ont pour but de critiquer son abus, dans les régimes, par des personnage inventés par l'auteur,
ou par des personnage historiques ; mais aussi d'éclairer le spectateur sur l'avenir, s'il est dépassé
par le pouvoir. C'est pourquoi le thème du pouvoir est souvent abordé avec des représentants
irresponsables.
Nous avons donc observé qu'il existe de nombreux moyens pour représenter le pouvoir au théâtre,
certains dépendent de l'auteur, et d'autres du metteur en scène, pour finalement aboutir à un
représentant du pouvoir, permettant ainsi à l'auteur d'en dénoncer les abus. Nous avons étudié ce
sujet à travers de nombreuses références littéraires qui nous ont permis d'y répondre. Nous avons
étudié la représentation du pouvoir et son but, au théâtre, qui est sa forme d'expression privilégiée.
Il peut être intéressant de se concentrer sur les autres formes de littérature. On peut citer La Ferme
des animaux, dont la dénonciation des abus du pouvoir est particulièrement intéressante.
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