Devoir de Philosophie

Référendum sur l'Europe: les pièges d'une victoire

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

europe
20 septembre 1992 - Ni franc ni massif, le " oui " français à Maastricht est, plus simplement, un " oui " modeste. Mais il existe, ce qui est somme toute l'essentiel. Ne serait-ce que parce qu'il permet à la France de démentir le sombre pronostic de l'historien allemand Rudolf von Thadden, qui expliquait, pour le regretter, avant le scrutin : " De grands projets, souvent portés par de grands hommes, naissent dans ce pays, mais les Français ne sont pas à la hauteur de leurs idées ". Les Français ont été, de justesse, à la hauteur de cette dernière grande utopie collective qu'est la construction européenne, qui valait bien un référendum. La dynamique européenne va donc pouvoir reprendre ses droits. Mais, comme l'ont dit MM. Pasqua et Séguin, " plus rien ne sera comme avant ". Ceux qui auront en charge l'application du traité seront certes liés par la ratification française, validée par le suffrage universel mais il leur faudra, tout au long de celle-ci, tenir compte des réticences, des peurs, des refus qui se sont manifestés à travers l'ampleur du " non ". L'Europe telle qu'elle s'est construite pendant quarante ans, celle du " despotisme " éclairé, a vécu. Il va falloir lui substituer une Europe mieux prise en charge par ses propres citoyens, qui intègre les préoccupations de cette opinion publique européenne qui voit le jour au fil des consultations et des processus de ratification dans chacun des pays membres. Mais contrairement à ce que ces mêmes MM. Pasqua et Séguin ont voulu nous faire croire, au soir du scrutin, au mépris du plus élémentaire sentiment démocratique, le traité instituant l'Union européenne n'est pas " en charpie ", le " oui " est bien un " oui ",aussi sûrement que le " non " danois, pourtant acquis avec une marge extrêmement faible, était bien un " non ". Hormis ce dérapage, les réactions des principaux responsables politiques du pays permettent de prendre l'exacte mesure de ce scrutin, qui fut, au vrai sens du terme, historique : il conditionne le sort de dix autres pays et couronne les efforts d'une diplomatie française couvrant deux Républiques et assumés par quatre présidents. Miracle ! Dans un pays qui compte trois millions de chômeurs, et est dirigé par un pouvoir discrédité, c'est pourtant miracle, a dit en substance M. Giscard d'Estaing, que le " oui " l'ait emporté. L'ancien président a eu parfaitement raison de faire valoir que la formation qu'il dirige, l'UDF, a " sauvé " le résultat. M. Mitterrand ne s'est d'ailleurs pas fait faute de louer " la fermeté de conviction et le courage intellectuel " de ceux qui, dans l'opposition, ont en effet permis que le " oui " l'emporte. Dans le partage des responsabilités, la palme revient à la famille libérale et centriste, dont l'électorat s'est prononcé à plus de 60 % en faveur de l'Union européenne, tandis que le RPR a peu suivi son chef de file (34 %). M. Jacques Toubon, lui, a élargi la réflexion, en évoquant un " formidable défi " lancé à tous les hommes politiques. Tous doivent en effet s'interroger sur la coupure que ce scrutin a concrétisée. Coupure sociologique : les Français qui attendaient des socialistes que leur sort soit amélioré par leur gestion ont voté " non " ceux qui se sont enrichis ont voté " oui " la France des ouvriers et des employés, celle que François Mitterrand avait attirée à lui en 1981, a voté " non " la France des cadres, des instruits, des élites, a voté " oui ".Coupure géographique : les centres-villes d'un côté, les paysans de l'autre des régions de vieille implantation socialiste du côté du refus et du repli (Languedoc-Roussillon et surtout Nord-Pas-de-Calais),des régions " de droite " du côté de l'ouverture et du risque(Rhône-Alpes, et surtout Ile-de-France) des zones qui ont plus que d'autres payé le prix du sang en faveur de l'ancrage européen, au point de le plébisciter (l'Alsace et la Lorraine), d'autres, qui ont sans doute la mémoire plus courte, franchement hostiles. M. Pierre Bérégovoy n'a pas été moins pertinent que M. Toubon en insistant sur la nécessité, pour le gouvernement, d'être " plus qu'hier à l'écoute du pays ". La leçon vaut d'ailleurs pour tout le monde, opposition comprise. Personne ne peut douter de la bonne foi et de la bonne volonté du premier ministre. Mais lui-même est désormais en droit de s'interroger sur la possibilité qu'il aura de passer aux actes. Car c'est l'opposition qui, malgré ses divisions, sort renforcée de ce scrutin : dominante dans le " non ", elle a été déterminante pour le " oui ". Sans doute serait-il exagéré d'affirmer qu'un pouvoir qui sollicite l'électorat, et qui obtient de lui une approbation, se trouve affaibli par celle-ci. Chacun voit bien pourtant que le président comme le gouvernement ne peuvent dégager, dans l'immédiat, aucune marge de manoeuvre supplémentaire. Quelques jours de stabilité L'oxygène dont ils ont un urgent besoin ne pouvait venir que de la mise sur pied, ne fût-ce qu'à l'état d'ébauche, d'une majorité européenne qui, à partir de la fracture qui était apparue au sein de la droite, aurait pu prolonger un " effet Maastricht ". Las ! il ne s'est pas produit. Car l'étroitesse du succès, et la maladresse de M. Fabius (lequel a cru bon de proclamer la victoire du président en liant celle-ci à une recomposition politique), ont conduit diverses personnalités de la droite modérée à écarter brutalement, dès dimanche soir, une telle perspective. Il ne s'est plus trouvé que Brice Lalonde pour mettre en avant, avec l'approbation de Michel Noir, l'idée d'une majorité " libérale, sociale et écologique ". Mais tous les autres avaient les yeux rivés sur les résultats des sondages effectués à la sortie des urnes et portant sur les intentions de vote au prochain scrutin législatif : ils tracent, pour la coalition RPR-UDF, la perspective d'une victoire écrasante. Celle-ci conduit naturellement à écarter toute idée de dissolution del'Assemblée nationale, à l'initiative du pouvoir : il y perdrait les quelques jours de stabilité politique que le " oui " lui garantit, et décréterait lui-même l'heure de la fin de son mandat. Que les socialistes soient contraints maintenant d'affronter des élections législatives, ou que celles-ci viennent à leur heure, peu importe : le naufrage politique est au bout de la route. Le président est parfaitement à même d'affronter une nouvelle cohabitation, et d'attendre que la droite s'affaiblisse. Mais au train où vont les choses il risque fort d'être privé de l'assise parlementaire qui lui permettrait de tenir dans de bonnes conditions. En outre, lui-même et son gouvernement sont à court de projet : l'ancrage européen avait été annoncé comme étant le grand dessein du second septennat. Or le voilà accompli. D'une certaine façon, la messe est dite. Le grand oeuvre est achevé, la mission accomplie. JEAN-MARIE COLOMBANI Le Monde du 22 septembre 1992

Liens utiles