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Rimbaud, Le dormeur du val

Publié le 25/03/2011

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rimbaud

 Le Dormeur du val est un des premiers poèmes de Rimbaud. Il a environ seize ans lorsqu’il fugue pour la deuxième fois du domicile parental de Charleville Il recopie vingt-deux textes dans un cahier qu’il confie à son ami Paul Demeny, poète également. Le Dormeur du val en fait partie, écrit pendant son errance d’octobre 1870, en pleine guerre franco-prussienne

   L’année suivante, il demandera à son ami de le détruire avec les autres quand il refusera tout romantisme, toute subjectivité, tout culte de la forme.

En effet, par bien des aspects, ce poème contient encore pleins de réminiscences scolaires et utilise la forme du sonnet selon la disposition abab-cdcd-eef-ggf, proche des sonnets shakespeariens. Mais par le thème choisi, le ton adopté et quelques audaces de forme, il annonce une vision neuve de la poésie.

   J’ai choisi de ne pas séparer les caractéristiques formelles et structurelles du poème de ses centres d’intérêts car tous les éléments de la description et de la construction concourent à la révélation brutale du dénouement.

   Cela commence par un tableau idyllique et vivant. La lumière baigne littéralement la scène car la végétation tamise les rayons du soleil, eux-mêmes reflétés par les algues qui affleurent en « haillons d’argent », pour repartir vers la montagne. Le verbe mousser résume bien cette fusion de l’eau et du soleil. Les deux rejets « D’argent » et « Luit », accentuent cette qualité particulière de la lumière

Les consonnes liquides du premier vers (r,v), les assonances nasales du second (accrochant, follement, haillons, d’argent) donnent de la fluidité à la description et atténuent le bruit de la rivière.

Le regard embrasse la scène dans sa totalité en un mouvement descendant puis ascendant. Le premier et le dernier vers du premier quatrain se répondent ainsi dans une description qui n’est pas statique.

Les éléments naturels sont personnifiés : la rivière « chante », accroche « follement » et la montagne est « fière » de dominer le paysage. Tout respire une certaine joie de vivre que l’on peut même juger d’une mièvrerie peut-être volontaire.

   Le second quatrain tempère cette impression en développant le champ lexical des couleurs froides (bleu, pâle, vert, l’herbe). Le personnage –un jeune soldat que Rimbaud aurait pu rencontré durant sa fugue-, semble en accord avec l’environnement.

La posture, précisée dans le premier tercet, n’est pourtant pas naturelle lorsque l’on sait que le cresson et les glaïeuls sont ici des plantes aquatiques. Il faudrait qu’il fasse bien chaud en ce mois d’octobre des Ardennes pour faire la sieste dans une rivière… Le champ lexical de la maladie, « pâle », « lit », puis « malade » et enfin l’adjectif « froid » souligne ce malaise.

La répétition du verbe dormir à trois reprises, dont une fois dans un rejet et de l’expression « fait un somme » attire l’attention du lecteur. Son sourire, comparé à celui d’un enfant malade avec l’insistance due au contre-rejet ne rassure pas non plus. Le trou de verdure devient les bras d’une mère (encore une personnification destinée à unir la nature et l’homme) Le verbe bercer renvoie à un plus jeune âge encore.

Retenons la musique particulière du vers huit qui résume bien la scène.

« Pâle dans son lit vert où llumièrpleut. »

Les labiales du début et de la fin encadrent ce tableau où « vert » placé à l’hémistiche et « lumière » se répondent par assonance ouverte, où les liquides soulignent encore la qualité particulière de l’éclairage.

   Le dernier tercet continue la description qui n’est d’ailleurs jamais globale. Le poète évoque le jeune soldat par métonymies successives en utilisant des parties de son corps, la bouche, la tête, la nuque, le sourire des lèvres, les pieds, la narine, la poitrine, le côté droit. Nous avons en fait une succession de gros plans qui retardent intelligemment la découverte finale.

Chaque terme positif (le sourire, la chaleur, la lumière) est compensé par un terme négatif (malade, froid, chaudement).

Mais le vers douze inquiète bien plus. Avec son rythme régulier à quatre temps, renforcé par les sifflantes et les nasales imitant la respiration, il place toutefois le négatif « pas » à l’hémistiche.

« Les parfums ne font pas frissonner sa narine. »

La licence poétique –sa narine au singulier- permet de rapprocher deux parties du corps (la poitrine) à la rime tout en évitant un pluriel qui allongerait le vers d’une syllabe.

Le dernier vers qui constitue une sorte de chute, n’utilise pas le terme de « mort », mais encore la métonymie, ici la conséquence pour la cause.

Les assonances en « ou » forment un hiatus encore plus brutal que dans « bouche ouverte », brutalité renforcée par l’alternance des dentales et des gutturales.

« Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit »

L’adjectif, rejeté en début de vers, laisse planer une menace avec le prolongement de sa voyelle finale.

La douceur du paysage contraste ainsi violemment avec la mort du jeune soldat. Un mort d’autant plus intolérable qu’elle prend place dans un environnement agréable et qu’elle concerne un jeune homme presque encore enfant.

   Le Dormeur du val, dans un ton d’amertume ironique analogue à celui du Mal (page 51 de ce recueil) est à la recherche d’un rythme neuf qui démembre l’alexandrin à force de rejets, contre-rejets et de ponctuations fortes (points, points virgules, deux points au milieu du vers).

Comme d’autres poèmes de cette époque, il utilise le rendu d’impressions lumineuses et de couleurs symboliques.

Rimbaud ne mettra que peu de temps à se libérer des contraintes du mètre et des thèmes habituels de la poésie. Il exploitera dés l’année suivante le poème en prose et les visions oniriques ou symboliques.

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