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Robert Hue, un rénovateur sous haute surveillance

Publié le 27/02/2008

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25-28 janvier 1994 -   L'homme est bien peu connu, mais il n'est pas secret.

   L'homme ? Le bonhomme, devrait-on dire, tant sa rondeur joviale est manifeste. Les yeux rieurs derrière de fines lunettes cerclées, la tête doublement arrondie par une calvitie précoce et par un épais collier de barbe poivre et sel, qui devient blanc sur le menton, Robert Hue aime les chemises aux couleurs vives et les cravates bariolées.

   Cité, dès l'annonce, en 1993, du \" départ \" de M. Marchais, comme l'un des possibles successeurs de ce dernier, le nouveau secrétaire national du PCF ne comptait pas, jusqu'au début du mois de janvier, aux rangs des premiers favoris. Infirmier de profession, issu d'un département, le Val-d'Oise, où le PCF a perdu beaucoup de terrain ces dernières années, étranger à l'appareil central du parti, membre récent du comité central (1987) et du bureau politique (1990), M. Hue ne répondait pas au profil type d'un \" premier dirigeant \". Il n'est pas sûr, non plus, qu'il corresponde à l'un des critères au moins - la modestie - avancés par M. Marchais dans le portrait-robot de son successeur.

   A la différence de tant d'autres communistes, pour lesquels toute affirmation de sa propre personnalité est jugée suspecte, Robert Hue aime dialoguer, s'expliquer, se raconter. Il indique, par exemple, sa passion pour la peinture impressionniste et l'histoire locale de ce petit pays, le Parisis, au coeur de l'Ile-de-France, auquel il a déjà consacré trois ouvrages.

   Contrairement à la fiction entretenue par la direction du PCF, selon laquelle le successeur de M. Marchais n'a été choisi qu'à l'issue du congrès, M. Hue n'a pas cherché à donner le change. Il a livré de multiples signes, dès le début des assises de Saint-Ouen, pour montrer que le processus en sa faveur était déjà bien engagé. Dès avant son élection, il se faisait photographier avec son épouse, infirmière, et sa fille.

   Fils d'un maçon et d'une ouvrière du textile, petit-fils d'un cheminot socialiste qui choisit, au congrès de Tours, de rallier la majorité communiste, Robert Hue adhère lui-même au PCF peu après la manifestation du métro Charonne, en 1962, à Paris, où huit participants sont tués et des dizaines d'autres grièvement blessés par les forces de l'ordre. \" J'ai eu la chance d'avoir des parents communistes \", dit-il de sa jeunesse. Il voulait être médecin. Il sera infirmier, avant de devenir, pendant cinq ans, membre du secrétariat de la fédération du Val-d'Oise.

   En 1977, à l'âge de vingt-neuf ans, il enlève la mairie de Montigny-lès-Cormeilles. En 1988, il est élu, contre le conseiller général sortant (CNI), dans le canton de Cormeilles-en-Parisis, la ville où il est né en 1946.

   Dans la foulée, il accède à la direction de l'Association nationale des élus socialistes et républicains, comme secrétaire général, puis comme président. Il y est remarqué par Madeleine Vincent, chargée des élections et des collectivités territoriales, qu'il remplacera, en 1990, au bureau politique.

   La drogue et la révolution Entre-temps, Robert Hue s'est illustré dans une bien étrange affaire. En février 1981, il appelle à la formation d'un \" comité de vigilance antidrogue \". \" Je suis un révolutionnaire, dit-il à cette époque, et si je propose que la population ne laisse rien passer en ce qui concerne la drogue, c'est parce que les drogués ne sont pas en état de faire la révolution. \" La fédération du Val-d'Oise, dirigée par Pierre Blotin, et le Mouvement de la jeunesse communiste, animé par Pierre Zarka, appellent même à manifester devant le domicile d'une famille de Marocains, dénoncée par des voisins et suspectée aussitôt, sans preuves, de se livrer à un trafic de drogue. Le maire de Montigny participe à la manifestation.

   Quelques jours plus tard, le secrétaire général du PCF, M. Marchais, vient soutenir cet \" homme intègre, humain, attentif aux problèmes des gens \", lors d'une réunion publique rassemblant plusieurs milliers de personnes. A quelques mois de l'élection présidentielle, le Parti communiste cherche, alors, à ratisser large dans les couches populaires.

   Aujourd'hui encore, M. Hue est étonnamment fier de cet épisode. \" C'est le rêve, pour moi, qu'on en reparle. Ce n'était pas un problème d'immigration, mais de drogue. Les victimes que je voulais défendre étaient de petits Algériens. Quelle anticipation, accordez-le moi ! Aujourd'hui, quelqu'un qui prendrait une telle initiative aurait les honneurs de la presse. La question de la drogue, de l'insécurité qu'elle provoque, ne doit pas être un terrain laissé à l'extrême droite \".

   Se définissant comme \" hyper-tolérant, assez libéral, très respectueux des gens \", intéressé par le dialogue avec les catholiques et les socialistes, Robert Hue affirme : \" Je suis profondément rénovateur. \" En aura-t-il les moyens ?

   Après son élection et après le revirement de M. Marchais, qui a finalement choisi de rester au bureau politique, devenu le bureau national, le nouveau secrétaire national du PCF a eu ce curieux lapsus : \" Non, je ne suis pas sous tutelle de personne ! \" Au cours de sa première conférence de presse, on a pu encore d'autre part, mesurer l'écart entre sa liberté de ton des jours précédents et le récit qu'il a pu faire du maintien de M. Marchais à la direction du parti.

   Surtout, tard samedi soir, M. Blotin, chargé de la communication au bureau politique sortant, des collaborateurs directs de M. Marchais, et une demi-douzaine de membres du service d'ordre interne, ont donné une image accablante de la liberté de manoeuvre dont M. Hue peut disposer.

   Alors qu'il ne restait plus que trois journalistes à l'attendre, à la sortie d'une salle, dans l'enceinte sportive de l'île des Vannes, le nouveau secrétaire national s'est tout naturellement dirigé vers eux pour bavarder un bref instant. Pris en mains - au sens propre - par son escorte et poussé avec fermeté dans une autre direction, il en a été empêché.

JEAN-LOUIS SAUX Le Monde du 1er février 1

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