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S. de Sismondi, Nouveaux principes d'économie politique

Publié le 15/05/2020

Extrait du document

L'apologue de Gandalin

Nous nous souvenons d'avoir entendu dans notre enfance, qu'au temps des enchantements, Gandalin, qui logeait un sorcier dans sa maison, remarqua qu'il prenait chaque matin un manche à balai, et que disant sur lui quelques paroles magiques, il en faisait un porteur d'eau qui allait aussitôt chercher pour lui autant de seaux d'eau à la rivière qu'il en désirait. Gandalin, le matin suivant, se cacha derrière une porte, et en prêtant toute son attention, il surprit les paroles magiques que le sorcier avait prononcées pour faire son enchantement; il ne put entendre cependant celles qu'il dit ensuite pour le défaire. Aussitôt que le sorcier fut sorti, Gandalin répété a l'expérience; il prit le manche à balai, il prononça les mots mystérieux, et le manche à balai porteur d'eau partit pour la rivière et revint avec sa charge; il retourna et revint encore; une seconde, une troisième fois; déjà le réservoir de Gandalin était plein et l'eau inondait son appartement. C'est assez, criait-il, arrêtez; mais l'homme-machine ne voyait et n'entendait rien; insensible et infatigable, il aurait porté dans la maison toute l'eau de la rivière. Gandalin, au désespoir, s'arma d'une hache, il en frappa à coups redoublés son porteur d'eau insensible; il voyait alors tomber sur le sol des fragments du manche à balai, mais aussitôt ils se relevaient, ils revêtaient leur forme magique et couraient à la rivière. Au lieu d'un porteur • d'eau, il en eut quatre, il en eut huit, il en eut seize; plus il combattait, plus il renversait d'hommes-machines, et plus d'hommes-machines se relevaient pour faire malgré lui son travail. La rivière tout entière aurait passé chez lui, si heureusement le sorcier n'était revenu et n'avait détruit le charme.

L'eau cependant est une bonne chose, l'eau non moins que le travail, non moins que le capital, est nécessaire à la vie. Mais on peut avoir trop, même des meilleures choses. Des paroles magiques prononcées par des philosophes, il y a bientôt soixante ans, ont remis le travail en honneur. Des causes politiques plus puissantes encore que ces paroles magiques, ont changé tous les hommes en industriels; ils entassent les productions sur les marchés bien plus rapidement que les manches à balai ne transportaient d'eau, sans se soucier si le réservoir est plein. Chaque nouvelle application de la science aux arts utiles, comme la hache de Gandalin, abat l'homme-machine que des paroles magiques avaient fait mouvoir, mais pour en faire relever aussitôt deux, quatre, huit, seize, à sa place . la production continue à s'accroître avec une rapidité sans mesure. Le moment n'est-il pas venu, le moment du moins ne peut-il pas venir, où il faudra dire : c'est trop?

■ S. de Sismondi (1773-1842),

Nouveaux principes d'économie politique, 1819.

« D Exemple d'application 11 7 Genevois d'origine et familier de Madame de Staël, Simonde de Sismondi publia d'abord, en 1 803, un ouvrage d'inspiration libérale, une Richesse commerciale qui se réclamait des théo­ ries d'Adam Smith.

Grand voyageur, en Angleterre notamment, le spectacle, dans ce pays, du paupérisme et des premières crises le bouleversa.

-En 1814, en effet, les ports européens s'étaient ouverts à l'Angleterre qui comptait y déverser "objets manufacturés et produits colo­ niaux; mais l'Europe était trop appauvrie pour acheter beaucoup" Le marché américain semblait plus prometteur; mais il ne pouvait suffire, et de loin, pour absorber la masse des marchandises anglaises qui s'entassaient inutilement dans les ports.

La fin des guerres napoléoniennes fut donc loin d'amener la« paix et l'abondance " : elle conduisit à« la paix et la misère ».

La crise se termina vers 1820, avant un nouvel effondrement en 1825.

Voulant oublier sa première œuvre, Sismondi opposa délibérément aux Principes d'Éco­ nomie Politique de Ricardo, parus en 1 81 7, de Nouveaux Principes d'Économie Politique, en 1 81 9.

Dans cet ouvrage, l'auteur s'élève contre les méfaits du machinisme qui fait de l'homme un apprenti sorcier, demande à l'État d'intervenir afin de modérer le rythme des inventions, dénonce les crises industrielles dont il presse la gravité progressive et qu'il attribue -comme le feront les socialistes plus tard -aux abus de la libre concurrence et à la sous-consommation ouvrière.

Comprendre le texte La structure du texte est simple et très nette et le sens en est clair : cela peut apparaître dès la première lecture.

Le premier alinéa développe une légende bien connue, de la ballade de Gœthe au poème symphonique du compositeur français Paul Dukas (1897) : la légende de L'apprenti sorcier.

Le second alinéa éclaire l'apologue et lui donne une interprétation économi­ que.

A la seconde ou à la troisième lecture, l'attention doit s'arrêter sur des détails significatifs.

• La symétrie apparente des deux paragraphes Les acteurs 1 .

le sorcier et Gandalin.

2.

Leurs homologues, au second paragraphe : les« philosophes >> (le sorcier), les« industriels>> (Gandalin).

La progression géométrique 1 .

Même progression dans les deux paragraphes : quatre, huit, seize ...

2.

On notera pourtant que le sorcier n'intervient pas à la fin du second paragraphe qui se termine par une interrogation.

A qui sera dévolu, dès lors, dans le domaine économique, le rôle du sorcier afin de mettre fin aux dégâts? • L'unité et la pro gression du texte 1 .

La mutation du manche à balai en homme-machine et des frag­ ments en hommes-machines introduit subrepticement la réalité économique dans la légende.. »

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