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Samuel Beckett

Publié le 27/02/2008

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 Le temps de la fin : l’absence de repères Comme l’espace, le temps est marqué par l’indétermination. La « lumière grisâtre » des premières didascalies (p. 11) dit mal à quel moment de la journée on se trouve. Quelques indications disséminées au fil de la pièce dénotent que cette « fin de partie » a sans doute plutôt lieu en fin d’après-midi : Clov dit observer sur le mur de sa cuisine la « lumière qui meurt » (p. 24) et Hamm s’étonne de la réponse négative de Clov à qui il a demandé s’il voyait le soleil par la fenêtre : « Il devrait être en train de se coucher pourtant » (p. 46). Les questions récurrentes de Hamm – « Quelle heure est-il ? » (p. 16), « On est quel mois ? » (p. 86) – font penser aux pertes de mémoire de la sénilité. Mais à la première, Clov répond « Zéro » - aucun repère de la vie maîtrisée des hommes désormais n’existe plus – et Hamm ne prend même pas le temps d’attendre une réponse pour la seconde : l’entrée dans la fin de vie, c’est à la fois un savoir : la fin DOIT arriver ; et une ignorance terrible : à quel moment le trépas ? L’indétermination temporelle permet donc de mettre en scène l’indétermination ontologique : l’énigme fondamentale que représente pour l’homme sa propre mort et la conscience qu’il en peut avoir. Placé devant cette indétermination, Hamm oscille entre l’angoisse du dernier moment, et l’attente impatiente et fascinée : « il est temps que cela finisse et cependant j’hésite encore à (…) finir » (p. 15). Cette obsession angoissante de l’échéance est rendue par le leitmotiv des questions de Hamm : « Mais qu’est-ce qui se passe, qu’est-ce qui se passe ? » (p. 26, puis p. 47) auxquelles Clov répond, impavide : « Quelque chose suit son cours ». Le mot « chose » est choisi pour désigner l’irreprésentable : attente de la mort, fin de vie, vie et néant, néant qui commence avec la vie, source même de cette incertitude dévorante : « vous êtes sur terre, c’est sans remède ! (…) La fin est dans le commencement et cependant on continue » (p.89). Le mot « mort » est trop souvent employé sans que la conscience puisse en faire l’expérience pour signifier ce qu’il désigne : les deux personnages emploient plus volontiers « finir » que mourir. Aucun homme ne sait exactement ce qu’est mourir, mais chacun peut se représenter, par métaphore, ce que signifie « finir » : on sait finir une tâche, une histoire, achever un « pipi » (p. 49) ou finir de tuer un rat (p. 73). Mais que signifie achever une vie, finir une existence ? D’où les hésitations de Hamm, qui relèvent aussi sans doute de la superstition qui consiste à ne pas vouloir nommer explicitement ce que l’on redoute : « HAMM. – Tu n’en as pas assez ? (…) De ce… de cette… chose ? » (p. 17) « HAMM. – Tu ne penses pas que ça a assez duré ? (…) Ce… cette… chose. » (p. 61-62) « HAMM (…). - Tu sais ce qui s’est passé ? CLOV. – Où ? Quand ? HAMM. – Quand ! Ce qui s’est passé ! Tu ne comprends pas ? Qu’est-ce qui s’est passé ? » (p. 96) L’indétermination temporelle, signe de l’indétermination du moment de la mort, n’est pas sans constituer un « enjeu » de cette « fin de partie » entre les deux personnages. Chacun circonscrit pour l’autre le terme en s’appuyant sur l’aveu que l’autre s’est impatienté de ce terme, tout en sachant qu’il le redoute : « CLOV. – Alors comment veux-tu que ça finisse ? HAMM. – Tu as envie que ça finisse ? » (p. 93) Faire mourir l’autre ou prolonger son existence procède d’un même chantage : « HAMM. – Prépare-moi. (Clov ne bouge pas.) Va chercher le drap. (Clov ne bouge pas.) Clov. CLOV.- Oui. HAMM. – Je ne te donnerai plus rien à manger. © Cned – Académie en ligne Séquence 3-FR01 31 CLOV. – Alors nous mourrons. HAMM. – Je te donnerai juste assez pour t’empêcher de mourir. Tu auras tout le temps faim. CLOV. – Alors nous ne mourrons pas. (Un temps.) Je vais chercher le drap. » (p. 18) Et « mourir » n’ayant aucun véritable sens, la signification elle-même devient un enjeu : « HAMM. – Hier ! Qu’est-ce que ça veut dire. Hier. CLOV (avec violence). – Ça veut dire il y a un foutu bout de misère. J’emploie les mots que tu m’as appris. S’ils ne veulent plus rien dire apprends-m’en d’autres. Ou laisse-moi me taire. » (p. 60) Trouver une limite en elle-même rassurante parce qu’elle suppose une forme de maîtrise, ne serait-ce que dans la conscience que l’on a de la fin, est impossible. À l’image de la sonnerie du réveil dont l’absence, c’est-à-dire la négation même de son existence et de sa fonction, devrait signifier la mort de Clov, « la fin est inouïe » (p. 65). On ne peut être conscient du terme de son existence, du point final qu’est le trépas. Cet « instant » tant « attend(u) » (p. 109), décrété, comme le fait Hamm quelques pages avant la fin de la pièce : « C’est fini » (p. 103), ne peut qu’être l’objet d’un jeu et ne consister qu’en une valeur approchée de la mort : le néant ne peut être saisi par la conscience.

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