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Sirènes : Le charme et le danger de la mer

Publié le 27/02/2008

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es Sirènes : Le charme et le danger de la mer

Par leurs voix, ces créatures envoûtaient les marins, provocant le naufrage de leurs navires…

L’Odyssée raconte que, après avoir passé une année avec Circé, Ulysse décida de continuer son voyage de retour vers Ithaque. Mais avant de partir, la sorcière le mit en garde à propos des dangers qui l’attendraient en mer. Le premier d’entre eux, dont devait particulièrement se garder le héros grec, c’étaient les Sirènes : ces êtres malins qui ensorcelaient les marins avec leurs seuls chants. Pour les éviter, Circé dit à Ulysse : «Passe au large et bouche les oreilles de tes compagnons avec de la cire, afin qu’aucun ne les entende ; mais si tu désires les écouter, fais-toi attacher pieds et mains aux voiles de ton bateau, debout et bien lié avec des cordes, à la partie inférieure du mât. Ainsi tu pourras te régaler à écouter le chant des Sirènes.» Ulysse choisit donc l’option la plus dangereuse : écouter les voix de ces fantastiques créatures, bien que risquant d’échouer et de périr dans l’épreuve. Pourquoi le marin ne se boucha pas simplement les oreilles à la cire ? Quel intérêt pouvait donc avoir le héros à écouter leur chant ?

La caractéristique la plus particulière des Sirènes était sans aucun doute, si on les compare aux autres personnages mythologiques, la force et le pouvoir de leur voix, capable de produire un chant mortifère que ni même Ulysse ne voulut (ou ne put) éviter. Un chant qui ensorcelait les hommes jusqu’au point de les faire sauter éperdument de leur embarcation, pour finir dévorés par les Sirènes sur une île perdue au milieu des mers.

C’est Homère qui met en bouche des Sirènes l’explication de si irrésistible appel: «Approche-toi et arrête ton bateau pour entendre notre voix –disent-elles à Ulysse–. Personne n’est passé en son noir vaisseau sans entendre les douces notes qui fluent de notre bouche, car tous s’en vont se récréer avec nous et apprendre les secrets les plus ignorés. Car nous savons combien vous avez souffert dans l’antique Troie, par la volonté des Dieux, et nous connaissons aussi tout ce qui se passe sur la terre fertile.» Les Sirènes cependant, sont sages et rendent heureux l’homme grec en remplissant son principal désir : celui de la connaissance.

Des femmes oiseau…

Pour les grecs, les Sirènes étaient des êtres moitié femme, moitié oiseau, avec des serres aiguisées en guise de pieds. La mythologie antique ne raconte pas précisément quelle divinité leur fournit leurs ailes :pour les uns, ce fut Déméter, dans le but de l’aider à retrouver sa fille Perséphone ; pour d’autres, ce fut Aphrodite, comme châtiment à leur insolente détermination à demeurer vierges. Dans l’Odyssée, Homère nous offre le premier témoignage littéraire des Sirènes, mais il ne les décrit pas physiquement, puisqu’elles étaient déjà fort connues depuis l’époque mycénienne. Aucun grec n’aurait pu les confondre avec d’autres personnages mythologiques féminins, tels que l’invincible Nike ou la terrible Méduse, la Gorgone au regard pétrifiant.

Plus tard, les Sirènes apparurent dans les Argonautes, œuvre d’Apollon de Rhodes. Cette fois, les Sirènes dirigèrent leur chant maléfique vers l’Argos, le navire transportant Jason, parti à la recherche de la très prisée Toison d’Or. Le père d’Ulysse et Pelée, père d’Achille étaient embarqués sur ce bateau, tout comme le musicien Orphée, qui sauva la vie de ses compagnons lorsque, sortant sa lyre, il entonna de sa voix merveilleuse une mélodie qui couvrit le chant des Sirènes. Dans la mythologie antique, les monstres féminins sortent généralement perdants de leur rencontre avec les héros grecs qui personnalisent à la fois, le rationnel et la civilisation, tels que Persée et la Méduse ou Œdipe et le (/la) Sphinx.

(“Ulysse et les Sirènes” par John William Waterhouse (1891) )

Et des femmes poisson

Les Sirènes sont des êtres hybrides, tant dans leur forme de femme oiseau, comme dans leur apparence en tant que femme poisson, qui renferment toute une symbolique d’irrationalité, de trouble, de mystère et même d’onirisme. Étant des femmes oiseau, les Sirènes acquirent avec le temps de nouvelles caractéristiques et fonctions. Tels le dieus égyptien Tôt, les Lasses étrusques ou encore le dieu Zu sumérien, ces êtres emplumés étaient chargés d’accompagner l’âme des morts dans l’au-delà. C’est pour cela que nous les trouvons représentées dans de nombreux sépulcres, en train de se battre la poitrine, jouant de leur instrument ou –telles des pleureuses affligées et pieuses– en train de s’arracher les cheveux.

Au cours des siècles, les Sirènes connurent toutefois une métamorphose sans précédant dans la mythologie, changeant leurs extrémités inférieures d’oiseau pour une queue de poisson. La mythologie antique nous dit que cette transformation pourrait être un châtiment pour avoir voulu rivaliser avec les Muses. D’autres explications ont été cherchées, telles que celle qui associe ce changement à une erreur étymologique qui se serait produite lors de la traduction du mot grec pterygion, désignant autant une aile qu’une nageoire.

Ce qui est certain, c’est que pendant le Moyen-âge, et surtout avec l’avènement du Christianisme, les Sirènes subirent une métamorphose irréversible, qui ne changea pas seulement leur forme physique mais aussi leurs caractéristiques intrinsèques. En effet, dans les premiers bestiaires médiévaux, coexistaient à la fois des Sirènes oiseau et des sirènes poisson, mais les premières cédèrent rapidement leur place aux secondes. Elles apparurent pour la première fois dans le Liber Monstruorum, un manuscrit anglo-saxon rédigé entre les VIII et IXème siècles. Ces nouvelles Sirènes conservent leur relation avec le milieu aquatique, leur ascendance marine et leur pouvoir de séduction au moyen du chant, mais alors elles ne sont plus des sages, offrant la possibilité de connaître les secrets du présent, du passé et du futur. Leur chant est devenu sensuel, érotique et luxurieux, de même que leur corps.

Elles personnalisent tout ce à quoi l’Église s’oppose : le plaisir des sens, la tentation diabolique et le paganisme. Dns leur condition de femme, les Sirènes acquièrent alors toutes les caractéristiques misogynes de l’époque. Il y eut même des auteurs qui utilisèrent allégoriquement l’image d’Ulysse attaché au mât de son bateau comme s’il s’agissait du Christ sur la Croix. Tous les aspects spirituels, musicaux ou illuminateurs dont jouissaient auparavant les Sirènes passèrent alors en la personne des Anges, les seuls hybrides ailés reconnus et mis en avant par l’Église chrétienne.

La Sirène, à la différence d’autres êtres de la mythologie classique, continua à occuper une place privilégiée dans la littérature et l’imaginaire collectif de l’Antiquité jusqu’au présent. Depuis le Moyen-âge, elles apparurent dans les œuvres d’auteurs tels que Jacques de Vitry, Dante, Pétrarque ou encore Calderón de la Barca. Et elles parvinrent à être les protagonistes de légendes et de contes aussi célèbres que celui de la sirène Mélusine ou les références aux Margygr du monde nordique. Fidèles à leurs origines marines et de séduction, elles ornent les figures de proue des navires, délimitent les zones inexplorées des premières cartes cosmographiques ou encore, se montrent luxurieuses depuis les chapiteaux des cathédrales les plus célèbres.

 

 

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