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Sujet : En vous appuyant sur votre expérience de lecteur et de spectateur, vous vous demanderez dans quelle mesure le genre théâtral peut être défini comme une d'"Illusion comique".

Publié le 30/09/2010

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illusion

 

Depuis la Grèce ancienne, le théâtre a toujours eu une grande importance dans nos sociétés occidentales. A la fois divertissement, spectacle, support de réflexion, le théâtre englobe tout un travail de l’acteur, du dramaturge, du metteur en scène, pour atteindre son objectif : immerger le spectateur dans un autre monde. Le définir comme une « l’illusion comique «, c’est imaginer un monde où rien n’est vrai, tout est joué par les comédiens. Mais en quoi consiste cette illusion exactement? Est-ce simplement une mauvaise copie de la réalité ou un monde à part entière? Et comment rendre possible une illusion si évidente ?

Nous verrons d’abord en quoi le théâtre est-il, et a pour vocation d’être illusion, puis nous étudierons comment, au cours des siècles, les hommes ont imaginé un théâtre capable de répondre à cette attente essentielle.

 

Il est difficile de définir le théâtre. D’après Jean Louis Barrault, metteur en scène contemporain, « le théâtre, comme la vie, est un songe «. Par définition, il se situe dans le domaine de l’extraordinaire, de l’éphémère. Rien n’est réel au théâtre : ni l’histoire, ni les personnages incarnés par les comédiens, ni le décor. Tout est joué, tout est feint : le théâtre crée un autre monde le temps de la pièce, afin d’emporter le spectateur hors de la réalité, dans la fiction.

L’art théâtral se distingue des autres arts qui ont cette même visée, tels que le roman, ou la musique, quelque soit leur volonté d’imiter le réel ou d’au contraire s’en détacher : il est mis en scène. Ce sont des personnes vivantes qui jouent, qui déclament : leurs voix sont véritables, leur présence attestée par le spectateur.  Le cadre de la scène, les jeux de lumières, les costumes, tout est fait pour créer l’illusion de la vie, au défaut de la réalité. « De l'union de la plastique et de l'âme on peut faire naître le plus bel art vivant intégral : le théâtre. « dit Henry Bataille dans ses Ecrits sur le théâtre : il résume assez bien cette faculté du théâtre rassemble les différentes formes d’arts, plastiques, orales, gestuelles, pour arriver à créer l’illusion.

D’après sa définition première, l’illusion est « l’interprétation erronée d’une donnée sensorielle «. Or ici, l’illusion n’est pas tant celle des sens, que celle de l’esprit : le spectateur sait que la représentation n’est pas réelle, il sait où s’arrête la vérité et où commence l’artifice. L’illusion n’est rendue possible que par le consentement de celui-ci.

Le spectateur qui entre dans la salle de théâtre, et s’installe pour voir une pièce s’attend à l’illusion. L’écrivain André Gide nous dit : "C'est une extraordinaire chose que le théâtre. Des gens comme vous et moi s'assemblent le soir dans une salle pour voir feindre par d'autres des passions qu'eux n'ont pas le droit d'avoir - parce que les lois et les mœurs s'y opposent". Il énonce bien les deux grands plaisirs du théâtre : le plaisir de l’évasion, de l’émerveillement devant la grandeur du jeu théâtral, mais aussi de l’identification avec les personnages incarnés par les comédiens. Qui n’a pas vibré lors des adieux déchirants de Titus et Bérénice, héros éponymes de la célèbre pièce de Racine, où ne se soit pas senti touché par le dilemme de Rodrigue dans Le Cid, alors que le héros doit choisir entre sacrifier son honneur à l’amour et tuer le père de sa bien-aimée ? Comme le dit Hugo dans la pièce Marie Tudor : « Il y a deux manières de passionner la foule au théâtre : par le grand et par le vrai. Le grand prend les masses, le vrai saisit l'individu. «

Le théâtre nous met en haleine car même si les personnages sont bien des être de papier, et la mise en scène nous permette toujours de distinguer l’illusion théâtrale du réel, les passions et les sentiments évoqués provoquent des échos chez nous (le vrai). Ces émotions nous traversent, et sans toucher notre véritable moi intérieur (l’histoire racontée ne nous affecte pas personnellement), elles permettent à chacun de nous d’alimenter son rêve et son imagination. Elles permettent d’accéder, par procuration, aux grands sentiments romanesques que chacun, intérieurement, rêve de rencontrer (le grand).

Mais le plaisir du théâtre n’est pas uniquement dans la grandeur et le sublime de la passion ; elle peut aussi être dans le comique d’une scène, où dans la saveur d’une réflexion bien menée. Aux antipodes les unes des autres, citons les farces de la Commedia dell’arte au XVIème siècle, dont Molière reprendra certaines principes au siècle suivant, ou la finesse des répliques du romantique Musset dans Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, où les deux personnages, attirés l’un par l’autre, essaient respectivement de se mettre à nu tout en évitant de se dévoiler eux-mêmes, menant en même temps une véritable réflexion sur la séduction et ses enjeux. 

On comprend donc facilement le consentement du spectateur à l’illusion théâtrale. Mais ce consentement est partagé : de l’autre coté de la scène, c’est d’abord le dramaturge, puis en partie le metteur en scène, qui vont créer l’illusion théâtrale. 

L’auteur, lorsqu’il entame l’écriture d’une pièce, a souvent un parti-pris sur le sujet qu’il traite et désire faire passer au certaines vérités, certaines valeurs. Le théâtre est alors un outil privilégié pour argumenter, convaincre ou dénoncer : lorsque le spectateur est plongé dans l’illusion théâtrale, il est plus sensible aux messages implicites de l’auteur. Le théâtre de Molière en est l’exemple parfait : l’auteur joue sur l’ironie, la satire, soigneusement ornées du comique, pour décrier certaines mœurs de son temps. C’est la comédie castigat ridendo mores, c'est-à-dire qui cherche à corriger les mœurs par le rire.  Une pièce comme Les Précieuses ridicules met en scène deux jeunes filles provinciales coquettes et naïves, rêvant d’éprouver de grandes passions romanesques, qui sont ensuite punit de leur prétention. Le spectateur, forcé de rire, est bien obligé de reconnaître le ridicule des jeunes filles ; ainsi, sans avoir l’air de prendre franchement parti contre la préciosité, Molière réussi à persuader le public de la vanité des précieux du XVIIème siècle. On parle alors de « double énonciation « : la pièce a un aspect évident, le dialogue des comédiens entre eux, ou parfois avec le public, mais aussi une visée indirecte, lorsque le dramaturge cherche à convaincre le spectateur au travers de sa pièce. 

Les visées du dramaturge peuvent aussi être d’ordre moral : dans les grandes tragédies du XVIIème siècle, comme Phèdre de Racine, le dramaturge va mettre en scène de grandes figures nobles qui, ayant tenté de surpasser la condition humaine, sont punis de leur prétention et de leurs passions par la fatalité tragique et la mort. Ils doivent être cependant assez humains pour provoquer la pitié du spectateur, et sa crainte devant leur sort terrible. Selon Aristote, qui établit les principes de la dramaturgie classique dans sa Poétique, l’association de ces deux sentiments crée la catharsis, sorte de purification pour le spectateur des passions qui peuvent lui être néfastes.

 

Ce pacte tacitement accepté, il s’agit encore de rassembler les conditions nécessaires à l’illusion théâtrale. Il est à noter que les conventions ont évolué au cours du temps afin de toujours mieux répondre à cette attente.

La première condition est évidente : il s’agit de créer un environnement réaliste, favorable à l’illusion. Cela n’était pas le cas du théâtre précédant le XVIIème siècle : il n’y avait pas de décors, la scène était divisée en plusieurs espaces qui représentaient différents lieux, où l’on jouait simultanément, le public était parfois bruyant… On conçoit alors le théâtre comme un jeu, ou un spectacle. Mais au XVIIème siècle, alors que le genre dramatique atteint un statut d’art à part entière, on aménage peu à peu la salle pour obtenir un « effet de réel « : en s’inspirant des architectes italiens on agrandit la scène, on invente le cadre de scène, le rideau, on place des gradins, on supprime les différentes aires de jeu pour n’en faire qu’une seule… Le but est de séparer l’espace scénique du spectateur, afin que celui-ci puisse croire à l’élaboration d’un autre monde sur scène, vivant, ayant ses propres individus, bien qu’il ne puisse le confondre avec sa réalité. Aujourd’hui, les effets de lumière rendus possibles par l’électricité ajoutent une nouvelle dimension à l’espace scénique, permettant de jouer sur les ombres, de mettre certaines zones en valeur… 

Les costumes, les décors, les maquillages jouent aussi un rôle dans la création du « monde théâtral «. Le costume aide à situer le personnage incarné par le comédien. Par exemple, nous avons vu en cours plusieurs mises en scène de l’Illusion Comique de Corneille, et donc plusieurs costumes du personnage comique Matamore. Alors qu’au XVIIème siècle celui-ci portait les attributs conventionnel du personnage (les personnages comiques étaient repris d’une pièce à l’autre), l’épée en arrière, l’habit militaire rouge et bouffant, très voyant, le képi emplumé… ; dans les mises en scène modernes il est souvent habillé de manière plus ridicule : un grand masque, du roseau joue, des talonnettes, même une fois un tutu rose… Chaque époque se sert de ses codes pour faire apparaître le rôle d’un personnage. Quant au décor, il a été plus ou moins utilisé au cours des siècles. Le XVIIème siècle ne l’utilisait guère, mais on peut voir certaines mises en scène d’aujourd’hui, comme dans les mises en scène de Jean-Louis Barrault (Phèdre de Racine, Rhinocéros de Ionesco…) qui s’appuie fortement dessus. Qu’il ait une visée réaliste ou pas, le décor contribue à créer l’univers théâtrale, propice à l’illusion.

De même certains dramaturges ont vraiment cherché à former un univers théâtral. On peut citer Hugo et Musset, les deux grands auteurs du drame romantique du XIXème siècle. Ils cherchent, selon les mots de Stendhal, à faire une « peinture totale de la nature « : ils refusent les règles de bienséance du siècle classique (on doit tout montrer sur scène), ainsi que la séparation des genres, par exemple. Comme dit Hugo, ce théâtre mêle comme la vie « le sublime et le grotesque «. Dans une pièce comme Lorenzaccio, de Musset, le personnage antagoniste cherche à renverser Alexandre de Medicis, tyran infâme de la ville de Florence. Pour parfaire l’illusion théâtrale, l’auteur va recréer l’univers de la Florence du XVIème siècle avec nombre de figurants, des scènes entre gens du peuple, des scènes de la vie quotidienne de l’époque (fêtes, bals, marché…). Comme chez Hugo, de longues didascalies expliquent la mise en scène. 

Mais les partis-pris d’Hugo et de Musset n’ont pas changé un des aspects majeurs du théâtre : de tout temps, les auteurs se sont appuyés sur des conventions théâtrales pour guider le spectateur dans la pièce. On a déjà parlé des conventions du costume, mais elles concernent bien sûr aussi le texte. On ne peut pas retranscrire, comme dans un roman, toutes les facettes du réel: le monologue, par exemple, est un code utilisé pour retranscrire les pensées du personnage lorsqu’il est seul, ou lorsqu’il débat avec lui-même. La célèbre monologue de Hamlet dans Shakespeare, « Etre ou ne pas être «, alors que celui-ci contemple le crane qu’il a dans la main, le montre bien. Il permet à Shakespeare de le raisonnement de Hamlet à ce moment la, sans que le spectateur en soit étonné (on ne s’attendrait pas à voir un individu s’exprimer de cette manière dans la vrai vie). Le code du lever de rideau entre les actes, ou pour séparer les ellipses temporelles, en est un autre. Comme le dit Diderot dans son Paradoxe sur le comédien, « les poèmes dramatiques sont tous composés d'après un certain système de principes «.

Les conventions ont évoluées. Aujourd’hui, elle sont réduites et le théâtre comme la littérature s’est affranchi des règles du passé. Mais au XVIIème siècle, les règles classiques étaient très fortes et obligeait les auteurs à rendre la pièce vraisemblable (on rejoint le même objectif, l’illusion) : la règle des trois unités par exemple, qui imposait que l’action se passe dans le même lieu, qu’elle soit tenue en une seule intrigue, et dans un temps équivalent à celui du temps que passait le spectateur dans la salle.

Une autre des composantes majeures de l’illusion théâtrale est le jeu de l’acteur. Celui-ci est difficile : l’acteur doit savoir déclamer un texte parfois en vers, parfois en prose, de manière convaincante tout en mettant en œuvre une gestuelle particulière (déplacements, gestes, mimiques...). C’est un art pluridisciplinaire qui n’a qu’un but : pouvoir faire passer n’importe quel sentiment au public, savoir totalement sortir de soi pour se mettre « dans la peau « d’un autre. Le statut de l’acteur à été étudié par plusieurs penseurs, tel Diderot dans son Paradoxe sur le Comédien. Pour celui-ci, le sublime de l’acteur réside dans son « égale aptitude à toutes sortes de caractères et de rôles «. Quand l’acteur joue, il doit être totalement dépourvu de sensibilité et ne pas jouer en s’identifiant avec son personnage, ce qui provoquerait l’irrégularité de ses rôles, et au bout d’un moment à l’épuisement. C’est seulement à  « l'étude des grands modèles, à la connaissance du cœur humain, à l'usage du monde, au travail assidu, à l'expérience et à l'habitude du théâtre «, qu’il acquièrera la science suffisante pour pouvoir recréer n’importe sentiments. Cette idée n’est pas universellement partagée : un metteur en scène comme le russe Stanislavsky, lui, pense que l’acteur soit construire son personnage en s’appuyant sur son « moi « intérieur, et par identification, arriver à recréer des émotions sincères et véritables. 

Dans le théâtre contemporain, qui s’appuie beaucoup moins sur le texte que la dramaturgie classique de Racine ou Corneille, le jeu de l’acteur devient prépondérant : le théâtre déstructuré de Samuel Beckett (En attendant Godot…) ou de Ionesco (Amedé, ou comment s’en débarrasser…) compte beaucoup de silence, de répétitions dans le texte. C’est au comédien de gérer ces temps en adoptant un jeu convainquant. De même, lorsque l’on met en scène aujourd’hui une pièce classique comme celle de Molière, les comédiens ont souvent un important travail d’interprétation à faire pour rendre ces textes accessibles et comiques pour tous.

 

On peut donc voir que de tout temps, les auteurs et les comédiens ont cherché à créer l’illusion théâtrale, à la foi pour distraire et émouvoir les foules, mais aussi pour satisfaire leurs visées personnelles. Mais l’illusion théâtrale n’est pas, comme le prétendait Aristote, une simple « mimésis « (imitation) du réel. Elle vise à créer un monde vivant auquel de spectateur peut croire le temps d’un spectacle, aussi éloigné soit-il de la réalité. La saveur du théâtre de réside donc non dans le réel, mais dans le vraisemblable, le vrai.

Néanmoins, on peut assister au XXème siècle à la remise en question de la conception illusionniste du théâtre, avec des dramaturges comme Ionesco ou Beckett. Leur « théâtre de l’absurde « va jusqu'à la déconstruction du personnage et du scénario. L’illusion théâtrale est alors rendue difficile, plaçant le spectateur comme simple témoin d’actes et de paroles, sans l’immerger dans les passions ou les pensées d’un personnage.

 

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