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Ubu Roi: commentaire de la scène 2 de l'acte 3

Publié le 04/08/2010

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L'utilisation des différents type de comique théâtraux dans cette scène:   Jarry voulait "rethéâtraliser le théâtre": il le fait ici en montrant le Père Ubu devenu Roi, prenant ses premières mesures politiques: en une scène il va détruire les fondements politiques de son pays (l'administration, l'économie, dans un seul but: s'approprier le maximum de richesses...c'est l'occasion pour Jarry d'utiliser tous les types de comique possible:   1. Le comique de répétition.

L'essentiel de la scène est basé sur la répétition: c'est ce qui lui donne son originalité, c'est aussi ce qui peut la rendre "agaçante": l'action ne progresse pas, elle se répète. Cela forme une circularité rappelant la spirale d'Ubu. Comme rien n'a de sens pour lui, sauf son enrichissement, il répète à l'envi ce qui lui permet de s'enrichir. Cela commence dès la première réplique: La phrase est longue et répétitive ("et...et...et...et..."; "à nobles...à nobles...à nobles") comme pour signaler l'ivresse de pouvoir qui s'empare d'Ubu: il répète à n'en plus finir ce qui lui prouve qu'il est devenu Roi: celui qui dirige. Ensuite la scène va devenir une mécanique répétitrice: la même situation est reproduite: présentation d'un Noble; annonce de son nom et de ses richesses; condamnation; exécution. Le processus ne tien aucunement compte des réponses: celui qui dit "Je suis ruiné" est condamné, pour la raison inverse de ceux qui ont de l'argent. Ubu ne suit aucune logique. Cette condamnation des Nobles va se répéter avec celle des Magistrats puis des Financiers. Ubu aura don tué tous ceux qu'il désirait exécuter. Est répétée également l'ampleur du massacre: les exécutions se déroulent une par une, puis finissent par le massacre d'une foule: "on empile les Nobles dans la trappe; Père Ubu: A la trappe les Magistrats (ils se débattent en vain); On enfourne les Financiers" Cette répétition est poursuivie par le rôle de la Mère Ubu, qui ici n'agit pas mais tente vainement d'arrêter son mari: elle aussi semble dépassée par ce qui se déroule sous ses yeux, et elle ne fait que répéter les mêmes types de constats stupéfaits: "De grâce, modère-toi, Père Ubu; Quelle basse férocité !; Tu es trop féroce, Père Ubu; Eh! que fais-tu, Père Ubu ? " La même idée de répétition vient de l'attitude des Exécutés: tous reproduisent peu ou prou les mêmes signes d'angoisse et d'indignation: des cris marqués par des exclamatives et des phrases non verbales: "Horreur ! a nous, peuple et soldats !", les quatre magistrats qui répètent leur choc: "Horreur. infamie. Scandale. Indignité."; et enfin les financiers qui jugent la décision du Père Ubu de la même façon: "Mais c'est idiot; c'est absurde; ça n'a ni queue ni tête". Etrangement, ces répétitions tendent à déshumaniser l'ensemble: cela devient tellement excessif qu'on en rit plus que l'on en est choqué. C'était en tout cas le but de jarry: créer une scène ressemblant à l'emballement d'une machine impossible à arrêter. Rien ne semble pouvoir arrêter Ubu: Lui est le seul que ces répétitions enivrent. dès que les Nobles sont tués, il veut entendre à nouveau tout ce qu'il vient d'entendre: "Je vais me faire lire MA liste de MES biens. Greffier, lisez MA liste de MES biens". Ces deux phrases quasi-identiques succédant à l'énumération par les Nobles de leurs biens, vient redoubler ce que l'on a déjà entendu. Les majuscules illustrent l'insistance d'Ubu, stupéfait et heureux de posséder soudain, et si facilement, autant.  On notera dans cet excès une erreur syntaxique de la part d'Ubu, révélatrice de son égoïsme: il faut dire La liste de mes Biens, ou ma liste de Biens, mais pas Ma liste de Mes biens, qui ressemblent à une parole d'enfant, et qui insiste surtout sur le pronom de la seule personne qui intéresse Ubu: la première, c'est-à-dire lui, seul...   Ce comique de répétition poussé à l'extrême (on peut comprendre que des spectateurs aient été irrités) ne prendra fin qu'avec l'aide d'une résolution absurde: Ubu arrête de massacrer lorsqu'il n'y a plus personne à massacrer...   2. Comique de situation et de langage:

Les deux sont ici liés car la situation  - Ubu: Roi ! - et le langage qui reste celui des Ubu quelle que soit leur situation, se mêlent pour produire des effets de décalage: des effets comiques. Le langage crée une situation nouvelle: des lieux absurdes, qui ne renvoient à rien de connu pour le lecteur/spectateur : on trouve des expressions connues: "les sous-sol; la chambre", mais des compléments du nom amènent des précisions peu compréhensibles et comiques: les sous-sols du Pince-Porc; la chambre-A-Sous". Jarry parsème sa pièce de termes ainsi construits qui finissent par inventer des lieux ou des objets propres à l'univers des Ubu: Ubuesques en quelque sorte. Les outils utilisés utilisent le même procédé d'adjonction d'un complément du nom décalé par rapport à l'objet nommé, inventant des objets inédits: "la caisse à Nobles; le crochet à Nobles; Le bouquin à Nobles..." Les insultes et vulgarités des Ubu restent évidemment présentes: le nouveau niveau social des Ubu ne change rien à leur langage: " Tu as une sale tête; qui es-tu, Bouffre ?" suivi de son féminin: "bouffresque". "Vous vous fichez de moi" Le symbole langagier des Ubu est évidemment lui aussi présent: Le "merdre" sert de réponse catégorique et ridicule aux protestations des Magistrats ("nous nous opposons à tout changement"), et met en valeur la désinvolture politique de Ubu, qui n'a d'autre projet que de satisfaire son appétit de pouvoir et de richesses. Il répond ensuite aux inquiétudes de la Mère Ubu ("Quel roi tu fais, tu massacres tout le monde") avec une désinvolture signalant l'absence de toute conscience morale chez Ubu, renforcé par une interjection exclamative: "Eh merdre !" Autre aspect comique: Ubu est devenu celui qui utilise des impératifs. il faut se souvenir du début de la pièce où la Mère Ubu "dirigeait" comme elle l'entendait son mari avec les impératifs. c'est lui désormais qui détient le pouvoir, on le voit par ses prises de décisions qui sont des ordres: "Apportez...Amenez le premier Noble...Commence par les Principautés...Allons, tais-toi..." Le langage illustre aussi l'égoïsme démesuré du Père Ubu: Il utilise abondamment les pronoms de première personne, révélant ainsi l'aspect tyrannique de son règne: il décide seul, et pour lui. Rappelez la jouissance à écouter "MA liste de MES biens" "Je veux tout changer, moi" est un exemple probant. Cette construction syntaxique est une hyperbate: un rajout inattendu d'un élément à la fin d'une phrase, qui met en valeur ce qui est rajouté (Moi): Le mot "Je" suffit à montrer que c'est Ubu qui décide, mais il rajoute pour insister "moi" en fin de phrase: cela ressemble aussi aux paroles d'un enfant, ce qu'est Ubu ici: un enfant capricieux mais aussi dangereux. Jarry aime à placer au milieu de toutes les insultes de temps en temps une parole affectueuse qui devient alors encore plus déplacée et comique. Il appelle la Mère Ubu "Ma douce enfant" dans sa dernière réplique, et cette tendresse devient plus choquante qu'attendrissante.  3. Comique de caractère et de gestes: Comme souvent chez Jarry, le comique de caractère tient à la personnalité des Ubu: rien ne peut arrêter leurs appétits démesurés. Ici les hyperboles et le nombre de morts soulignent les excès du Père Ubu. Ainsi chaque exécution se fait à tour de rôle, avant que l'énervement ou l'impatience n'amène le Père Ubu à massacrer en nombre: "je vais faire exécuter tous les Nobles; Passez les Nobles dans la trappe; à la trappe les magistrats; je veux tout changer; dans la trappe les financiers ". Cette attitude ressemble à celle d'un enfant à nouveau, qui change de jouets (ses soldats ?) dès qu'il s'en lasse, les oubliant presque aussitôt. Une suite de caprices, comme une suite de pulsions incontrôlables. Les gestes, à part ceux indiqués par les quelques didascalies, doivent être imaginés. Au vu de la ponctuation expressive (nombreuses exclamatives) et du nombre de personnages présents dans la scène, on peut supposer qu'il y autant de bruits que de mouvements de foules brusques et violent ("il le prend avec le crochet et le passe dans le trou; on empile les Nobles dans la trappe; Ils se débattent en vain; on enfourne les financiers"). On retrouve ici les cris, le brouhaha propres au théâtre de Jarry: on est très loin de la bienséance de langage et de mouvements...la scène est écrite pour ressembler à un véritable capharnaüm..;du bruit, de la fureur, des coups, des insultes, des morts...   4. Comique de l'absurde:

Cette scène peut être lue comme une scène absurde: là où Shakespeare montrait la sauvagerie de rich ard III en lui donnant du sens (trop de sauvagerie finit par être punie, c'est le sens moral de la pièce), la démesure d'Ubu ne vise qu'à son enrichissement...et surtout il y parvient ! Les massacres sont si nombreux et si répétitifs qu'ils finissent par perdre leur sens. On assiste à une machine emballée que rien ne semble arrêter. Contrairement à Shakespeare, Jarry ne nous amène pas à nous demander où cela va s'arrêter, mais on doit se poser une question très différente: est-ce que cela s'arrêtera (la réponse étant non à la fin de la pièce: ça continuera, ailleurs) L'absurdité vient aussi de certaines répliques comme "j'ai l'honneur de vous annoncer que pour enrichir le royaume je vais faire périr tous les Nobles et prendre leurs biens". Il n'y a pas de lien logique (moralement acceptable) entre le début de la phrase (l'honneur) et sa fin (faire périr; voler leurs biens). Ubu construit aussi une politique absurde: ne plus payer les magistrats; rendre la justice seul; tout changer; garder pour moi la moitié des impôts; créer un impôts sur les décès (un mort pourra difficilement payer !). Ce comique de l'absurde est souligné par les premiers concernés: "C'est absurde; ça n'a ni queue ni tête"...effectivement: mais cela ne raisonne en aucun cas le Père Ubu, qui réussit en une scène à ruiner un pays, et à détruire tous ses fondements sociaux. Le théâtre de Jarry est donc aussi un théâtre de la rapidité: ce qui s'y construit vite (les Ubu prennent le pouvoir en un rien de temps) détruit ensuite le reste (Ubu a mis la Pologne sens dessus-dessous)...   Conclusion:

Scène politique qui devient une gigantesque farce théâtrale:  Jarry fait du théâtre excessif, sans réellement vouloir nous amener à une réflexion, car la situation paraît trop grossie. Pourtant, c'est l'histoire du vingtième siècle et de ses multiples dictatures  qui peut changer notre regard sur cette scène: tout ce qui y est comique peut désormais être lu comme terriblement angoissant: quand le pouvoir est confié à un tyran, celyui-cin'hésite pas à agir non pas pour le bien commun, mais poussé par la seule folie de son ambition cruelle, égoïste et démesurée... Ubu n'en a pas fini avec ses excès: l'heure de partir en guerre va sonner... 

 

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