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Un homme sans culture est-il concevable ?

Publié le 02/11/2012

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culture

La culture se définit comme l’opposé de la nature. Elle concerne tout ce qui est ôté ou ajouté à la nature par l’homme, c’est-à-dire toutes les transformations qu’il lui fait subir et tout ce qu’il crée ou produit de lui-même. De ce point de vue, la notion de culture semble impliquer celle d’homme car c’est lui qui en est le créateur et l’acteur. Mais cela veut-il dire qu’un homme sans culture est inconcevable ? Un homme sans culture est-il impossible à penser, à imaginer ? Est-il impossible à réaliser, à concrétiser ? Faut-il, dès qu’on parle de l’homme, c’est-à-dire de ce vivant particulier qu’on estime être différent des animaux, nécessairement parler aussi de la culture ? Ou peut-on ne pas le faire et à quoi cela nous mène-t-il ? Nous nous demanderons donc d’abord si l’esprit est capable de penser la notion d’homme sans culture et comment il se la représente. Nous chercherons ensuite à savoir si cette idée d’un homme purement naturel est pertinente afin de pouvoir dire si, en fin de compte, un homme sans culture est concevable. Quand on s’interroge sur ce qui est ou pas concevable, on s’interroge en fait d’abord sur les capacités de l’esprit humain. On se demande alors si cet esprit peut, ou pas, se représenter quelque chose.
Or cet esprit est fait, d’une part, de la raison, qui permet de concevoir des idées et d’autre part, de l’imagination, qui permet de produire des images. Et si cet esprit peut parfois être conçu comme limité dans ses capacités de connaissances, par portée, comme le montre Kant à propos de l’ignorance savante au sujet de la structure de l’or, il ne l’est en revanche pas dans ses capacités d’imagination et de conception. Dès lors qu’il est logiquement capable de se faire une idée de, donc de concevoir, l’association des deux : un homme sans culture Il ne peut alors s’agir que d’une idée car « homme « et « absence de culture « sont des éléments généraux, abstraits, donc accessibles seulement à l’esprit. Et s’il arrive à concevoir cela, alors il pourra, grâce à son imagination, s’en faire une image, s’imaginer un homme sans culture. Mais à quoi cela correspondrait-il ? Si on y réfléchit l’absence de culture doit correspondre à l’opposé de la culture, c’est-à-dire à la nature. L’esprit distingue en effet ce qui est naturel, qui naît, vit et évolue de façon spontanée, sans que l’homme ait à intervenir, et ce serait alors un homme naturel, tel que l’a crée la nature. Ce serait un vivant appartenant à une espèce particulière, l’espèce humaine. Mais il faudrait pour qu’il reste sans
culture, qu’une fois né, il vive indépendant de toute intervention, donc de toute transformation par d’autres hommes. Cela semble d’ailleurs d’autant plus concevable que de tels êtres ont existé. Les « enfants sauvages «, comme Victor de l’Aveyron, sont ainsi des êtres vivants appartenant à l’espèce humaine mais qui ont grandi et se sont développés hors de tout contexte humain. Ils ont vécu naturellement, probablement, du moins au départ, grâce à l’aide d’animaux et en cela, on peut dire qu’ils sont sans culture puisqu’ils n’ont été ni disciplinés, ni instruits par d’autres hommes, la discipline et l’instruction étant, selon Kant, les deux aspects de l’éducation faisant accéder l’enfant humain à la culture. Il semble donc, d’une part, que concevoir un homme sans culture soit tout à fait possible pour l’esprit et que, d’autre part, cela corresponde même à une réalité ayant existé au moins jusqu’au début du XXème siècle. Mais, s’agissait-il vraiment d’hommes sans culture ? L’esprit humain ne sert pas seulement à concevoir ou à imaginer, il est aussi fait pour connaître et comprendre. Ainsi, si on l’applique à l’étude des enfants sauvages, on est obligé de se rendre compte qu’en fait, ils ne sont pas, à proprement parler, des êtres humains. Le docteur Itard, qui a
longuement étudié Victor de l’Aveyron, a dû reconnaître qu’il n’était en réalité ni homme, ni animal. En effet, si on l’observe attentivement, on se rend compte qu’il ne possède pratiquement aucun des caractères distinctifs de l’être humain, c’est-à-dire aucune des qualités qu’on estime nécessaires pour pouvoir parler d’être humain. Victor ne marchait pas sur ses deux jambes, ne parlait pas, ne pensait presque pas. On peut alors en déduire que les qualités qui dont qu’on considère un vivant comme un être humain ne sont pas des qualités innées donc naturelles à l’homme. Ainsi, même si l’homme possède à la naissance, sauf en cas de handicap, tout ce qu’il faut pour développer ces qualités, comme par exemple des organes adaptés pour pouvoir produire des sons et donc parler, il ne les développe jamais s’il n’apprend pas à le faire. Et les seuls qui peuvent lui apprendre à le faire sont des hommes qui les possèdent déjà : «l’homme ne peut devenir homme que par l’éducation (…) il ne peut recevoir cette éducation que d’autres hommes, qui l’aient également reçue « nous dit Kant dans son Traité de Pédagogie. Ainsi, pour faire partie du genre humain, pour être un homme, il faut avoir reçu de l’éducation et de la culture par d’autres hommes. On ne devrait donc pas pouvoir parler d’homme
sans culture. Un problème se pose alors, celui du début, de l’origine de cette culture transmise aux hommes par d’autres homes. Au départ, les premiers hommes ont bien dû être sans culture, puisque cette culture ne pouvait leur être apportée que par d’autres hommes et que, justement, s’ils étaient les premiers, c’est qu’il n’y en avait pas avant eux. Ces premiers hommes auraient donc dû être, eux, des êtres sans culture, des êtres naturels. Mais, en réalité, ce ne peut pas être le cas car, même naturellement, c’est-à-dire même sans l’intervention d’autres hommes, l’espèce humaine se distingue des autres espèces animales par le fait qu’elle n’est pas naturellement adaptée à son environnement. L’homme, contrairement à l’animal, ne dispose pas d’un corps adapté ni d’un instinct qui lui permettrait de survivre facilement. Les enfants sauvages ayant survécu, comme Victor, étaient des exceptions, la plupart des enfants abandonnés comme lui très jeunes mourraient car, contrairement aux animaux, ils ne disposaient pas de moyens naturels pour survivre. L’homme est donc obligé d’utiliser son esprit pour comprendre les problèmes qui se posent à lui et leur inventer des solutions en créant la culture et, une fois ce la fait, il peut le transmettre à ses successeurs de façon à ce
que, partant de ces bases, ils puissent aller plus loin et transmettre à leur tout davantage à leur successeurs, ce qui explique les incessantes évolutions de la culture humaine. On voit donc bien qu’il faut affirmer qu’un homme sans culture n’est pas concevable. Certes, on a montré que, du point de vue des capacités de l’esprit humain, il n’y avait pas de raison particulière pour que cette idée ne soit pas pensable. On a même pu la préciser comme étant l’idée d’un homme purement naturel et l’illustrer par l’exemple réel des enfants sauvages. Toutefois, on a aussi montré que l’esprit lui-même comprenait que cette idée n’avait pas réellement de sens, autrement dit qu’elle ne correspondait en fait à rien de réel ou de possible. En effet, si on étudie les enfants sauvages on se rend compte qu’on ne peut pas vraiment les considérer comme des êtres humains à part entière. On a alors compris qu’on ne naissait pas homme mais qu’on avait à apprendre à le devenir et que cela nécessitait la culture. Il faut donc en déduire que, bien qu’on puisse, par l’esprit, élaborer l’idée d’un homme sans culture, ce n’est pas une idée véritablement sensée. On ne devrait donc pas considérer que cette idée est réellement concevable, pensable et réalisable : sans culture, l’homme n’est pas homme.

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