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Un Roman Doit-Il Chercher À Faire Oublier Au Lecteur Que Ses Personnages Sont Fictifs ?

Publié le 17/01/2011

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Intro : Marivaux, en 1742, fait paraître un roman qui raconte la vie de Marianne. Par définition, le roman est le genre de la fiction et du mensonge et il obtiendra ses lettres de noblesse un siècle plus tard en y faisant intervenir, justement, l’élément de réalité. Cependant Marivaux s’ingénie à nous faire croire que l’histoire qu’il va raconter est vraie : l’autobiographie de Marianne, sous la forme d’une lettre qu’elle aurait écrite à une amie, aurait été retrouvée, à l’occasion de travaux, « dans l’enfoncement d’un mur «.

Aussi, nous pouvons nous demander si le roman doit chercher à faire oublier au lecteur que ses personnages sont fictifs ? Peut-être en effet, le lecteur attend-il du roman qu’il lui donne l’illusion du réel. Mais nous ne devons pas oublier que le lecteur sait bien que ses personnages dont il décore les aventures sont des mirages. Et la mission du roman n’est-elle pas plutôt d’amener le lecteur, par les procédés et les trompe-l’œil qui lui sont propres, à s’interroger sur le réel ?

 

I - Le lecteur attend que le roman lui fasse oublier que ses personnages sont fictifs

a) Le lecteur veut vivre par procuration et entrer dans le monde de l’auteur = identification

Le lecteur veut croire aux personnages et s’identifier à eux = le héros de roman d’aventure ou l’enquêteur du roman policier.

Le lecteur veut être ému par les personnages // registre pathétique amène à croire au personnage : ex Mort de Gavroche ou Cosette dans les Misérables de Hugo ou certains passages de Zola.

Le lecteur peut croire au personnage sans pour autant être ému ou s’identifier à lui par l’élément de réalité : ex Bel Ami de Maupassant. Personnage qui se définit par l’ambition, journaliste et ambition sociale qui doit beaucoup au milieu social, moral et politique d’une époque. Saisi dans un contexte vivant, il devient un type social qui reflète les mœurs et les codes d’une société donnée, que nous pouvons réactualiser aujourd’hui.

Dans ce cas là, certains auteurs mettent tous les procédés en place pour nous faire croire que l’histoire racontée n’est pas un roman : Texte de Marivaux, Vie de Marianne.

b) Le romancier donne l’illusion du réel en plaçant ses personnages dans un cadre réel

Le roman n’est pas l’Histoire : Mme de Lafayette prend des libéralités avec les dates, comme par exemple celle de la mort du duc de Nevers (père de Mme de Clèves) = Le deuxième fils du Duc de Nevers dans le roman. Celui-ci mort en vérité le 6 septembre 1564, mais Madame de La Fayette le fait mourir en 1560 sous François II.

C’est donc plutôt en inscrivant ses personnages dans un cadre historique que le romancier parvient à imiter le réel pour nous donner l’illusion du vrai : ex : La Princesse de Clèves, le personnage de papier est placé dans un contexte réel de la cour d’Henri II. Les romanciers du XIXe siècle, de Hugo à Zola, procèdent de la même manière : Zola, les Rougon-Macquart = Second empire (de la prise du pouvoir par le coup d’état de Napoléon Bonaparte le 2 décembre 1852 à La Débâcle (1870 – 71) prise de la Commune de Paris – guerre franco-allemande – invasion des prussiens). + projet naturaliste : étude sur le terrain (enquêteur) : donner une image du réel. Personnages fictifs dans un cadre bien réel (lieux, langage propre aux personnages, oralité, effacement du narrateur derrière ses personnages etc.)

Les Âmes Grises de Claudel, par l’élément de la guerre et le narrateur qui fait un récit rétrospectif donc se place en tant que témoin, accroît la crédibilité de son personnage. 

c) Le romancier donne l’illusion que ses personnages sont des êtres de chair

Le cadre réel dans lequel évoluent les personnages de fiction contribue à créer l’illusion du vrai. 

+ état civil : personne et non pas personnage. Ex : Pierre Ange Destinat des Âmes Grises de Claudel. + « concurrencer l’état civil « Balzac.

Mais également c’est aussi la complexité des personnages imaginés par l’écrivain qui font apparaître ces personnages de papiers comme des personnages de chair et de sang. En effet, ils se réjouissent, souffrent, aiment et meurent comme nous.

Prenons l’exemple de la jalousie : ex : Pierre et Jean de Maupassant : la jalousie s’empare de Pierre qui n’accepte pas la fortune dont hérite son frère Jean et l’équilibre familial en est brisé d’où le recours de Maupassant à la jalousie pour en analyser de cette passion.

Penser aussi à Un Amour de Swann de Proust, jalousie de Swann pour Odette de Crécy (demi-mondaine, fille facile) où l’amour est indissociable de la jalousie.

Par conséquent, la précision de l’analyse psychologique donne vie aux personnages de roman. Le romancier imite le réel jusque dans les recoins de l’âme humaine.

Transition : Le lecteur cherche à d’identifier au héros du roman et veut par conséquent que le romancier cherche à lui faire oublier que ses personnages soient fictifs. Pour se faire le héros doit paraître vrai et le romancier use de tous les procédés pour y arriver : cadre spatio-temporel réaliste ou caution apportée par une époque historique réelle ; analyse des sentiments qui montrent la complexité des personnages imaginaires et nous émeuvent, transformant les personnages de papiers en être de chair et de sang. Ces multiples procédés permettent soit de nous identifier à eux soit de les rendre réels. Cependant les lecteurs savent bien que les personnages de romans sont fictifs et certains romanciers prennent le parti d’en jouer.

II – Le lecteur sait bien pourtant que les personnages de roman sont fictifs

a) Le roman est par définition mensonge

Part de faux dans le roman est plus ou moins grande, mais elle est bien présente dès sa définition // définition.

Elle peut être très large comme dans le Seigneur des Anneaux de Tolkien ou les romans de science-fiction. Ou elle peut être réduite dans A la recherche du temps perdu où Proust donne son prénom au narrateur (Marcel) et s’inspire de sa propre vie ou comme nous l’avons vu dans les romans historiques qui prennent des libéralités par rapport à l’Histoire.

Pacte passé à travers le roman entre l’auteur et le lecteur : ce dernier sait que les personnages sont fictifs.

b) Les personnages fictifs sont bien différents des personnages réels

Par conséquent certains personnages apparaissent bien différents des êtres de chair. En effet, pour le moment, nous avons surtout évoqué les romans qui cherchaient à représenter le réel mais certains romanciers pour répondre à l’attente des lecteurs, font au contraire de leur roman des échappatoires. Dans ce cas-là, la lecture permet au lecteur de s’évader, d’oublier un réel ennuyeux ou douloureux. Le lecteur va vivre par procuration dans un monde imaginaire séduisant et palpitant dans lequel il pourra rencontrer des personnages invraisemblables comme les Lilliputiens que rencontre Gulliver (Les Voyages de Gulliver, 1726 de Swift) ou Harry Potter. 

Le lecteur se trouve ainsi arraché à son quotidien.

Mais même les personnages de fiction qui ressemblerait à des êtres réels ne sont que des mirages. // Mme Bovary (Emma Rouault) ou Jeanne dans Une Vie de Maupassant peuvent-elle entrer dans le monde des hommes ? Non, car l’imitation au réel n’est que trompe-l’œil à l’image des peintres baroques qui déforment les proportions lorsqu’ils peignent leur fresque sur les courbes d’une voûte afin de donner à un spectateur placé en bas l’illusion du vrai ; les personnages de roman ne ressemblent pas aux êtres que nous côtoyons réellement. Leurs passions sont plus grandes, leurs pensées plus explicites, leurs destins plus marqués c'est-à-dire que toutes les Emma Rouault de notre société ne se suicident pas toutes à l’arsenic !

Mauriac dans Le Romancier et ses personnages : « On ne pense pas assez que le roman qui serre la réalité du plus près possible est déjà tout de même menteur par cela seulement que les héros s’expliquent et se racontent «, alors que dans la réalité « le drame d’un être vivant se poursuit presque toujours et se dénoue dans le silence «.

c) Certains romanciers montrent les coulisses du roman en cassant l’illusion du réel 

Ex : Milan Kundera dans l’Immortalité.

Les nouveaux romanciers, dont Alain Robbe-Grillet qui remettent en cause la notion de personnage = personnage de Robbe-Grillet : pas de nom, vie mécanique, uniformité de la vie banale.

Transition : Dès sa définition le roman est mensonge et par conséquent le lecteur sait bien que les personnages de romans sont des personnages fictifs. D’ailleurs, certains lecteurs recherchent à travers le roman le divertissement. Pour cela le romancier optent soit pour des êtres imaginaires soit cassent l’illusion du réel en en jouant comme le texte B et C. De surcroît, même les personnages qui semblent réels ne le sont pas car leurs passions, leurs destins restent au service de l’histoire c'est-à-dire de la fiction et ne sont pas similaires à la réalité. Aussi il serait intéressant de se demander si au-delà de l’élément de réalité ou le choix de la fiction pure, le roman n’aurait pas le devoir d’amener le lecteur à s’interroger sur le réel.

III – Le roman à pour devoir d’amener le lecteur à s’interroger sur le réel.

a) Difficulté de démêler fiction et réalité dans le roman

Le romancier utilise la réalité pour élaborer sa fiction (cadre spatio-temporel précis et réaliste ; référence à l’histoire ou aux faits divers ex : Le rouge et le Noir, sous titre Chronique de 1830.

Donc la fiction tend bien à imiter le réel, avec des personnages qui ne sont ni tout à fait réel, ni tout à fait imaginaires mais vraisemblables. Ou illusion parfois les personnages de roman sont plus vrais que la réalité (Balzac = type)

De plus faire oublier la fiction est impossible :

Fiction visible = susciter le plaisir du lecteur

Fiction atténuée = crédibilité et identification.

Ex : auteurs qui l’acceptent et en jouent : Kundera et Gide.

Mais justement l’intérêt du roman ne réside-t-il pas dans cet entremêlement de la fiction et de la réalité ?

b) En imaginant ses personnages, le romancier exprime sa vision du monde

Même si nous ne pouvons nier la part d’imitation dans le roman ni le fait que l’imaginaire plonge ses racines dans la réalité, nous devons parler de vision plus que de miroir car le romancier propose plus un regard sur la réalité qu’une photographie objective.

Le personnage devient dans la main d’un romancier un instrument au service d’une vision du monde.

Ex : Zola et le roman naturaliste – portée didactique et idéologique. Recours au registre pathétique ou satirique afin d’exprimer sa pensée et sa vision du réel, voire son engagement.

Dans ce cas-là, la vision du réel (plus que l’imitation) crée l’illusion et exprime la vérité plus clairement et plus efficacement que ne le ferait un compte-rendu objectif, par exemple soit en amplifiant le registre pathétique et notre émotion soit par la distance ironique. Le romancier procède à des choix.

Préface de Pierre et Jean de Maupassant (1888) : « Le réalisme, s’il est un artiste, cherchera non pas à nous montrer la photographie banale de la vie, mais à nous en donner la vision plus complète, plus saisissante, plus probante que la réalité même «.

Ainsi, le romancier en proposant sa vision du monde, dépasse le contexte historique ou social dans lequel il puise la matière de son œuvre puisque sa vision devient universelle. En effet, il ne serait pas question de limiter Germinal à une représentation de la mine au XIXe siècle (participe à cette hérédité familiale et social sur les individus = projet naturaliste).

Conclusion : 

De façon similaire à ce qu’il se passe sur une scène de théâtre, le roman déploie les mirages d’une intrigue et anime des personnages de fiction. Les procédés qui donnent l’illusion du réel se multiplient à tel point que l’on pourrait croire qu’ils sont inhérents au genre lui-même, voire qu’ils en constituent la finalité du roman. Or le roman par définition est mensonge et se devrait donc de nous faire oublier que ses personnages sont fictifs. En effet, le lecteur n’est pas dupe et sait bien que les personnages de romans ne sont pas réels : alors comment comprendre ce recours quasi constant au réel dans la fiction ? Les procédés qui créent l’illusion du réel ou ceux qui les dénoncent (comme texte de Kundera) sont avant tout les ressort de notre plaisir et si le romancier mêlent réalité et fiction c’est avant tout pour nous séduire et nous amener à poser sur le réel qui nous entoure un regard sensible et interrogateur.

D’ailleurs n’y aurait-il pas un danger à nous faire oublier que les personnages sont fictifs ? si le naturalisme ne survit pas à Zola, peut-être est-ce par dégoût face à un monde trop déprimant et trop réaliste qui empêche tout divertissement ou toute évasion pour le lecteur. De même le nouveau roman qui récuse la notion de personnage ne risque-t-elle pas de nous ennuyer par cette uniformité de la vie banale comme le montre les gestes mécaniques du personnage des Gommes de Robbe-Grillet ?

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