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Un roman doit-il faire oublier au lecteur que ses personnages sont fictifs ?

Publié le 05/12/2010

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Stendhal disait que le roman était un « miroir que l’on promenait le long du chemin «. Par la métaphore du miroir, il montrait la dimension réaliste principale, selon lui, dans le roman. Cependant, Stendhal à aussi été le premier à ponctuer ses romans d’intrusions d’auteur afin de se moquer de ses personnages et d’anéantire l’illusion du réel. Par conséquent, on peut se demander si, « un roman doit chercher à faire oublier au lecteur que ses personnages sont fictifs «. Le romancier se doit-il donc de créer à tout prix des effets du réel afin que le lecteur soit transporté dans un univers fictionnel ou au contraire est-il plus judicieux pour lui de briser cette illusion afin de rappeler sans cesse que le lecteur n’est confronté qu’à des hommes de papier, des conventions littéraires ? Nous verrons tout d’abord qu’il peut être important pour le romancier de donner l’illusion du réel par sa création des personnages réalistes puis nous observerons qu’un roman peut aussi gagner à détruire l’illusion réaliste en construisant des personnages dont la dimension fictive est clairement revendiquée.

Lorsqu’il crée son personnage, le romancier doit chercher à lui donner une dimension réaliste pour que le lecteur puisse croire à l’existence de celui-ci.

Pour parvenir à faire oublier au lecteur qu’un personnage est fictif, un romancier dispose de nombreux moyens. Tout d’abord, il peut, par exemple, fonder sa fiction sur la présence de personnages historiques. Ainsi Alexandre Dumas dans La reine Margot fait revivre Henri de Navarre, Marie de Médicis ou encore Marguerite de Valois : le lecteur est alors immédiatement disposé à oublier la dimension fictionnelle du personnage et croit avec naïveté à la sincérité de tous les propos raconter. Les romanciers naturalistes ont choisi une autre voie : ayant pour ambition de peindre sans artifices le réel, ils placent et construisent des protagonistes placés sous le signe de la médiocrité. Zola dans La Curée, fait de Maxime le fils de Saccard, un adolescent lâche, pervers et sans-gêne. A la fin du roman, alors qu’il à consommé l’inceste avec Renée, il se range du côté de Saccard et abandonne sa belle-mère à l’accusation maritale. Loin du héros conventionnel, Maxime apparaît au lecteur comme un homme digne d’exister dans la vie réelle. Ainsi le caractère fictionnel du personnage est effacé pour renforcer sa crédibilité.

Si le romancier se doit de créer  l’illusion de réel, c’est parce que le lecteur attend de sympathiser avec le personnage, c’est-à-dire de sentir avec lui, de communiquer avec lui. Pour cela, le romancier le romancier se doit de faire oublier au lecteur que le personnage est fictif. Ainsi, il va le doter d’une identité précise, le déterminer afin de lui donner une consistance. Dans Les Âmes grises de Philippe Claudel, le romancier nous livre, au début du texte, de très nombreuses informations sur le personnage principal. Pierre-Ange Destinat est défini par un nom complet, situé dans le temps « 1917 «  et dans l’espace « habite à V. «, doté d’un métier « procureur «. Par conséquent, le personnage, loin d’être une abstraction, est pourvu d’une épaisseur tout d’abord social. De plus le personnage romanesque est muni, le plus souvent, d’une personnalité et de sentiments, qui lui offrent une épaisseur existentielle.

Si le romancier doit chercher à faire oublier au lecteur que ses personnages sont fictifs, c’est enfin pour que le message, la portée morale de son texte soient plus activement reçus. Pensons à Laclos dans Les liaisons dangereuses. Tout est fait pour que nous croyions à l’existence des protagonistes Merteuil est dotée d’une histoire (jeune fille éduquée de manière sévère et austère), Valmont de sentiments ambigus (amour/mépris pour Tourvel), Tourvel d’une conscience qui la trouble. Ainsi, ancrés dans l’univers galant du CVIIIè siècle et dotés d’une « parlure « propre, les personnages existent dans notre esprit, c’est pourquoi nous recevons d’autant plus fortement la leçon contenue dans Les liaisons dangereuses. Puisque nous avons compati à la douleur de Tourvel, que l’ont sent humaine, nous sommes disposés à nous interroger sur les méfaits de la passion amoureuse.

Ainsi, le réalisme du personnage romanesque est essentiel pour entraîner notre approbation et notre sympathie. Néanmoins, la création réaliste est un piège : le romancier cherche à faire croire au lecteur qu’il est en face du réel. Pour dénoncer cette illusion, certains écrivains n’hésitent pas à la briser afin de nous rappeler sans cesse le statut académique des héros. 

Le romancier peut refuser de tromper le lecteur en détruisant l’illusion. Il manifeste alors une forte confiance en son lecteur. En effet, en insistant sur le caractère fictif de ses protagonistes, il lui fait partager ses secrets d’écriture. Le lecteur voit dans le texte même comment se construit le personnage littéraire. Dans L’Immortalité de Kundera, le romancier met en profondeur la figure de l’écrivain. La répétition des marques de la première personne « Agnès est l’héroïne de mon roman «, « cette nostalgie a accouché du personnage auquel j’ai donné le nom d’Agnès « souligne bien que le personnage n’existe que dans l’esprit créatif et imaginatif du romancier. Tel un dieu il est celui qui façonne ; à l’image du poète, il fait le personnage et montre ses astuces au lecteur.

De plus en brisant cette illusion réaliste, le romancier invite le lecteur à porter un regard critique sur la fiction. Il l’invite à ne pas se laisser tromper. Les intrusions d’auteur, chères à Stendhal par exemple, en sont un bon exemple. En effet, le lecteur pourrait être tenté de voir en Fabrice un personnage noble et grand, un héros donc. Mais le narrateur intervient sans relâche, commente les actes de son personnage. Ainsi, le lecteur est entraîné dans une démarche critique : le roman lui apprend à ne pas s’identifier naïvement, à ne pas faire confiance à la fiction.  

Le romancier peut donc adopter deux attitudes radicalement différentes : soit il entend être un magicien parfait et cacher les secrets de son art, soit il entend montrer à son lecteur son pouvoir de création en montrant le caractère fictionnel de ses personnages. Mais pour dépasser cet opposition et la question de la référence, il convient de reconnaître que le romancier poursuit toujours le même but : celui de faire surgir une vérité du personnage. Il ne s’agit plus de savoir si le personnage est réaliste ou pas, l’enjeu pour le romancier étant de faire croire à son personnage. Dans La vie de Marianne, Marivaux, par l’introduction affiche de manière ouverte les circonstances de création de la fiction et suggère donc que Marianne est le fruit d’une imagination créatrice. Cela n’empêche cependant pas le lecteur d’entrer dans la convention car une forte liaison apparaît entre la présentation du personnage dans l’introduction (une femme simple, modeste) et le premier portrait que l’on peut dresser de Marianne en lisant le début de son récit de vie. Le lecteur sait par conséquent qu’il est dans la fiction mais l’accepte et accepte de recevoir une leçon d’un être de papier.

 

La question du réalisme du personnage romanesque est, pour beaucoup d’écrivains, une question dépassée. L’enjeu est moins de faire croire à la réalité d’un protagoniste que de faire accepter qu’il soit porteur d’une vérité malgré son caractère et son statut fictionnels. Les romanciers modernes l’ont bien compris : malgré leur volonté revendiquée de tuer l’illusion réaliste, ils n’ont pas tué le roman, ni ses personnages.

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