Une Passion antichrétienne par Paul Valadier
Publié le 22/02/2012
Extrait du document
La Passion du Christ, un film extraordinaire. D'abord parce qu'il a fait abondamment parler de lui, alors que personne ne l'avait vu. La Passion, vendue comme des savonnettes, un exploit ! Des polémiques se sont déchaînées à partir de l'indignation de milieux juifs américains, ou à propos de rumeurs venant du Vatican. Phénomène typique d'une remarquable habileté publicitaire : faire parler le monde entier de ce que personne n'a encore vu, donc sur le vide et tout faire comme si ce vide constituait un scandale qui allait bouleverser les bien-pensants du monde entier. Lesquels, bien entendu, se précipitent dans le piège.
Mais quand on a vu le film, le plus extraordinaire est qu'on découvre qu'il n'y a pas lieu à polémique ou à débat. On est en effet devant un spectacle aussi ennuyeux que laid, mais profondément scandaleux, et j'avoue avoir été indigné et meurtri par ce produit commercial pervers. Pour qu'il y ait débat, encore faudrait-il que quelque chose comme un film existe avec mise en scène, construction, personnages repérables. Rien de tel ici, sinon une enfilade de scènes de violences et de brutalités autour d'un individu totalement diaphane, et proprement sans personnalité aucune. Jésus n'est qu'une loque sur laquelle s'acharnent des bourreaux pervers, sans qu'on comprenne bien pourquoi (puisque tout commence au Jardin des Oliviers). Ce film ne respire même pas un minimum de spiritualité. Il se situe à un niveau infrahumain, celui de pulsions sadiques, indéfiniment répétées, selon une compulsion indéfinie que Gibson ne semble pas capable de maîtriser. Exactement comme dans un film pornographique. Car quand c'est fini avec les soldats, ça recommence dans la montée au Calvaire. Et se poursuit avec la crucifixion. Le spectateur est emporté dans une boucherie permanente, où aucune respiration n'est autorisée.
Il ne faut donc pas nous faire le coup de voir ici une théologie de la rédemption selon laquelle Jésus porterait nos péchés. Pour qu'il en soit ainsi, il faudrait que nous puissions si peu que ce soit nous identifier à ceux qui le frappent ; or, la soldatesque est proprement ignoble, et les autres, Pilate autant que les autorités juives ne sont que des caricatures, à l'exception peut-être des femmes. Il faudrait aussi que nous puissions compatir avec la victime, ce que l'excès même de la violence étalée rend également impossible. Il faudrait surtout que Gibson offre une lecture des événements, or nous n'avons affaire qu'à une caricature grotesque et sans âme du message évangélique. La phrase de Jésus demandant au Père de « pardonner parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils font » se trouve emportée dans le sadisme et devient elle-même sadique : comment pardonner à des pantins qui n'ont même pas figure humaine ? De sublime, cette phrase devient une incitation aux bourreaux à poursuivre indéfiniment leur sale boulot. Le film est aussi anti-humain qu'antichrétien.
Film antiévangélique, puisque les Évangiles évoquent avec une pudeur et une discrétion extrêmes les souffrances du Christ, au point que dans saint Jean, c'est à peine si elles sont évoquées, Jésus montant sur la croix comme sur son trône royal. Tout à l'inverse ici l'étalage de violence est envahissant, obsessionnel, complaisant. Si l'on avait voulu caricaturer le message chrétien, on n'eût pas fait mieux. Et que dire de la représentation particulièrement ridicule de ce qu'on devine être la résurrection (un édredon qui se dégonfle ?). En voyant ce film, je me disais : serait-ce donc ce que le christianisme a à dire au monde, étaler une loque sanguinolente, totalement passive, livrée à la jouissance sadique ?
La laideur et l'excès sont la meilleure preuve que nous n'avons pas à faire ici à une « oeuvre » cinématographique. Comment y voir une oeuvre théologique ? Inutile de se déranger pour aller voir « ça ». Ce serait contribuer à un commerce vicieux qui se cache sous un linceul théologique.
Paul Valadier est jésuite et enseignant au Centre Sèvre.
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