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Valéry : « Il n'y a pas de vrai sens d'un texte. Pas d'autorité de l'auteur. Une fois publié, un texte est comme un appareil dont chacun peut se servir à sa guise ».

Publié le 22/09/2010

Extrait du document

 

Le problème du vrai sens d’un texte, la réception de celui-ci fait débat dans le monde de la littérature. En effet, l’écrivain-poète Paul Valéry s’exprime à ce sujet :

 « Il n'y a pas de vrai sens d'un texte. Pas d'autorité de l'auteur. Une fois publié, un texte est comme un appareil dont chacun peut se servir à sa guise «. 

Selon Valéry, l’auteur ne serait pas garant du vrai sens du texte, il ne ferait pas autorité. Après la pu-blication, le texte est remis au lecteur tel un « appareil « dont il peut se servir comme bon lui semble. En effet, chaque lecteur peut appréhender le texte sous différents angles de vue, un texte dispose de plusieurs sens qui dépendent du point de vue où l’on se place. 

Pour Valéry, l’auteur perdrait alors son pouvoir de s’imposer à autrui, de se faire obéir, pour laisser l’autorité aux lecteurs qui donneront le sens qu’ils veulent au texte. 

Ainsi, à travers notre étude, nous nous demanderons en quoi le vrai sens du texte n’appartient non pas à l’auteur, mais aux lecteurs de ce texte. 

Le problème du vrai sens d'un texte doit s'envisager selon plusieurs axes : on doit d'abord prendre en compte les intentions de l'auteur et les replacer dans leur contexte socio-historique ; puis se pencher sur l'acte de lecture, qui est celui de la délivrance du sens ; et enfin s'interroger sur les conditions mêmes de la possibilité du sens dans un texte.

 

Le problème de la vérité doit d’abord être observé à travers la figure de l’auteur. En effet, selon Paul Valéry, l’autorité de l’auteur n’existe pas. 

Si l’on pense que la vérité du texte est ce que l'auteur a voulu dire, c'est admettre la toute puissance de l'auteur. En d'autres termes, c'est ramener l'œuvre à son auteur, c'est alors accepter une maîtrise totale de l'auteur et donc par là, renier tout inconscient, même si les travaux de Freud sur l'incons-cient remettent en question la possibilité d'une maîtrise de l'auteur.

Il existe en effet de nombreux contre-exemples. Réduire l'œuvre à l'écrivain, en admettant cette autori-té de l'auteur, c'est rendre l'auteur indispensable à l’acte de lecture. On peut alors se demander com-ment appréhender les œuvres dont l'auteur est mal connu, ou même parfois inconnu ? 

On peut prendre pour exemple Homère. En effet, la légende affirme la cécité, cependant, on ne sait rien de cet auteur. On soupçonne même L'Iliade et L'Odyssée de ne pas être les œuvres du même au-teur. Ou même encore William Shakespeare, dont on ignore aussi beaucoup de chose. Le fait d’ignorer la biographie d’un auteur n'empêche ni de le lire, ni de le jouer, ni d’apprécier ses œuvres.

Admettre la totale maîtrise d'un auteur sur son œuvre, ce serait admettre sa totale conscience, nier l'inconscient, et admettre que l'œuvre puisse être réduite à des procédés. Or, si le travail d'un artisan peut se réduire à des simples procédés techniques, à un simple « mode d’emploi «, il n'en est pas de même pour une œuvre d'art, travail d'un artiste. La littérature n'est pas un ensemble de procé-dés réitérables, c'est une source unique d'émotions.

Le texte, à travers les émotions qu'il suscite, a donc le lecteur pour visée. Il n'y aurait pas d'autre « vérité du texte « que cette émotion. On peut citer les textes qui jouent avec le lecteur, comme Jacques le fataliste, de Diderot, ou Si par une nuit d'hiver un voyageur, d'Italo Calvino. L’auteur prend en compte ses lecteurs et les émotions qu’ils sont susceptibles d’éprouver. 

Il existe en effet, de nombreux textes cherchent à émouvoir les lecteurs, comme par exemple René, de Chateaubriand, ou plus généralement, les ouvrages des Romantiques. L’auteur ne fait donc pas totale autorité, il est contraint de prendre en considération son lectorat et les émotions de celui-ci.  Le lec-teur donne un sens au texte, l’auteur doit impérativement penser aux réactions de son public. 

On peut alors se demander qui est en fin de compte le garant de cette vérité du texte ? L'au-teur peut bien sûr avoir un avis sur son texte, qu'il précisera dans une préface, ou dans un autre ou-vrage. Il met en place ainsi un éclairage utile pour que le lecteur puisse comprendre le texte.

On peut citer la préface de Pierre et Jean, de Maupassant, ou encore la préface du Spleen de Paris, de Baudelaire, qui sont deux préfaces qui annoncent la volonté de l’auteur. Mais cet avis de l'auteur ne saurait prendre le pas sur l'acte même de la lecture : il est simplement là pour le guider ou pour lui faciliter la tâche. Entre l’idée préalable que l'auteur fait sur son texte, et les émotions ressenties par le lecteur, il reste le texte même, seul véritable garant d'une vérité. 

Toute la querelle de la Réforme protestante tient, par exemple, à ce retour au texte : qu'a voulu dire l'auteur, ou les auteurs, de la Bible ? Comment doit-on l'interpréter ? Entre une vérité établie par l'Église, et les intentions supposées d'auteurs souvent très mal connus, le texte fait toujours figure de vérité. 

 

La question de la vérité du sens d'un texte ne relève donc pas d'une prétendue autorité de l'auteur. Dans la mesure où c'est le lecteur qui est visé, ce sont ses émotions qui sont déterminantes, et par conséquent seul le texte, qui les suscite, est garant de cette vérité. 

Encore reste t-il à savoir si vérité y a.

 

D’hors et déjà on peut imaginer la thèse d’une vérité qui n’existe pas.   En effet, l’idée même de vérité supposerait une autorité supérieure qui la garantisse.

Il faut alors cette autorité soit  divine car si elle ne l’est pas, cette vérité est aléatoire. On peut ainsi comprendre la tendance des auteurs à s'assimiler à Dieu en tant que créateurs. 

On peut citer Hugo, qui, avec un humour certain déclare : « Ego Hugo. « 

De plus, il n’y a pas de vérité car parfois le texte échappe complètement à l’auteur, et il n'existe par conséquent, pas de vérité indiscutable.

On peut prendre pour exemple le cas des mises en scènes qui est  particulièrement flagrant, puisque c'est le metteur en scène qui décide de la façon de jouer ou d'interpréter la pièce, et non pas l'auteur. En effet, on parle autant de la célébrité du Hamlet de Chéreau que de celui de Shakespeare.

  Par ailleurs il est possible de faire des contresens. En effet, l'absence d'une Vérité ne signifie pas que l'on peut tout dire. 

Si rien n'est absolument vrai, certaines choses sont parfois en revanche complètement fausses. On trouve de très nombreux exemples de supercheries littéraires. 

En effet, avant le 19ème siècle, on assiste au malaise de raconter une histoire fictive qui est dû à la connotation péjorative du roman. Pour rester crédible le romancier veille à ne pas signaler sa volonté de faire illusion, il efface son travail en se montrant simple éditeur d’une correspondance trouvée. Rousseau et Laclos font ainsi en préfaçant les Liaisons dangereuses ou La Nouvelle Héloïse.

Il n’existe donc non pas une mais des vérités

Dès lors, entre la Vérité et les contre-vérités nombreuses, il reste une direction générale d'affirmations vraies, sans que l'une ou l'autre de ces affirmations soit plus juste ou plus vraie que l’autre.

Ainsi on peut affirmer avec autant de justesse que Mallarmé est un poète hermétique, un poète pré-cieux, ou qu'il a été influencé par Baudelaire.

De même, on pourra dire de Voltaire que c'est un maître de l'ironie, sans que cela s'oppose au fait qu'il fut le plus grand auteur tragique du XVIIIe siècle.

Il n’existe alors pas une seule et unique vérité mais de nombreuses vérités. 

On peut alors se demander sur quoi se fonde la vérité d’un texte. La vérité se fonde en réalité sur le texte, et uniquement sur le texte, que l'on peut envisager de plusieurs façons.

D’abord le texte comme matière : 

On peut être plus sensible à la matière verbale du texte, et on                       s'appuie sur son carac-tère sonore, ou visuel. 

Par exemple la matière sonore est très repérable en poésie, par exemple dans ces vers holorimes de Victor Hugo : « Gal, amant de la reine, alla, tour magnanime, / Galamment, de l'arène, à la Tour Ma-gne, à Nîmes «, 

Apollinaire dans ses Calligrammes joue également sur le visuel. Ou même encore l'utilisation du blanc typographique dans la poésie contemporaine.

Ensuite le texte  comme procédés stylistiques : 

On peut aussi s'appuyer sur l'ensemble des procédés stylistiques, qu'il s'agisse de la versification en poésie, des champs lexicaux, ou qu'il s'agisse d'un repérage thématique ou idéologique. 

Par exemple, la versification rimbaldienne est particulièrement intéressante, puisque Rimbaud y opère une véritable révolution par rapport à la pratique des  Romantiques.

Aussi, les champs lexicaux chez Zola, fournissent souvent une matière à l'interprétation : on verra ainsi se développer une nature luxuriante et sensuelle, dans La Faute de l'abbé Mouret. 

Enfin le texte comme appareil : 

Le texte est bien, comme le dit Valéry, un « appareil « à la disposition du lecteur, « à sa guise«. Le lec-teur y cherchera un simple divertissement et sera alors attentif à la narration, ou y cherchera un mes-sage, et s'inquiètera du contenu idéologique, ou y cherchera un plaisir esthétique, qu'il trouvera dans la forme. 

On peut citer par exemple Aurélien, d'Aragon, qui peut être une histoire d'amour sur fond de montée du totalitarisme en Europe, c’est l’appareil narratif. L'appareil idéologique est une critique des accom-modements de la petite-bourgeoisie, dont Aurélien est un exemple, et des manœuvres de la grande bourgeoisie. L'appareil stylistique est un roman réaliste. 

 

         S'il n'y a donc pas de Vérité, il y a pourtant des vérités. C'est seulement dans le texte que peut se préciser ce faisceau de vérités, qui mène à l'interprétation. Mais quel rapport entretiennent alors vérité et interprétation: une interprétation ne tend-elle pas à s'instituer comme la seule vérité ?

 

          Puisque la vérité n'est pas une, c'est qu'il y a, comme nous l'avons vu, multiplicité du sens. La « multiplicité des interprétations « devient visible au théâtre, mais existe aussi dans les autres formes littéraires. Par exemple, on peut voir différentes possibilités d'interpréter le Dom Juan de Molière. En effet, la pièce peut être vue comme pièce romantique, on peut citer le Dom Juan aux Enfers de Baude-laire, elle peut être perçue comme pièce comique, en mettant l’accent sur le personnage de Sganarelle, ou comme une pièce tragique, avec la mort de Dom Juan.

On peut également prendre pour exemple qui souligne la variété des interprétations, Trois contes de Flaubert. En effet, ils peuvent être lus comme contes fantastiques, comme critique du réalisme roma-nesque ou comme contes philosophiques anti-religieux. Mais cette multiplicité ne signifie pas que toute interprétation est possible, libre choix au lecteur. 

En effet, croire à la vision finale de Félicité, dans les Trois contes, lorsqu’elle voit apparaître le Saint Esprit sous la forme d’un énorme perroquet est un contresens. Il y a toujours une « direction de sens « donnée par l’auteur qu’il faut prendre en compte.

   L’époque contribue à jouer un rôle important dans l’interprétation d’une œuvre. En effet le contexte socio-culturel influence le lecteur. 

Une nouvelle interprétation dite « moderne « se pense souvent comme la meilleure, parce que comme la plus nouvelle : de ce fait, elle tend parfois à s'instituer, automatiquement, comme vérité. 

On peut citer les mises en scène modernes, qui font parfois des contresens historiques, et s'intéressent davantage à des « effets « scéniques qu'à la lettre du texte.

La nouveauté de l’interprétation tient alors au nouveau rapport établi entre le texte, qui ne change pas, et le lecteur pris dans un contexte socioculturel, qui a changé. 

Par exemple, Le Mariage de Figaro, de Beaumarchais, a pris une dimension très différente avec la Ré-volution. La pièce est considérée, par sa dénonciation des privilèges archaïques de la noblesse, comme l’un des signes avant-coureurs de la Révolution. 

 

La question qui se pose alors est celle de la validité d'une interprétation : puisque tout n'est pas juste, quel est le critère de sélection à retenir ? Une interprétation est juste quand elle respecte le texte, premier garant, et quand elle est productive de sens. La vérité sera alors dans cette production du sens. L'interprétation ne sera alors « moderne «, au sens noble du mot, que si elle éclaire le texte d'une façon nouvelle : inutile de répéter ce qui a déjà été dit sur une œuvre ; mais attention à ne pas dire n'importe quoi. Par ailleurs, croire détenir le « vrai sens «, c'est être d'emblée dans le contresens, c'est ne pas comprendre que parce qu'une œuvre continue de vivre, e lle est toujours en mouvement. Hamlet de Shakespeare n'est ni une pièce baroque, ni une pièce romantique, ni une pièce métaphysi-que : c'est un texte qui joue sur ces différents registres, qu'on accentuera selon l'interprétation qu'on veut en donner. Mais toutes ces interprétations sont  « vraies « 

 

        Pour conclure, on peut dire que le texte apparaît comme le seul garant de la vérité d'une interpré-tation. Mais le lecteur n'est cependant pas libre d'en dire ce qu'il veut : le texte limite les intentions de l'auteur à ce qu'il a écrit et il limite ainsi les interprétations du lecteur à ce que l’auteur a écrit. C'est donc la façon de lire, les interprétations de chaque lecteur, qui sont variables suivant les époques qui délivrent la vérité d’un texte. C’est la façon de lire qui permettra à une interprétation d'évoluer, dans une direction de sens qui ne change malgré tout pas tellement. Même si l’auteur n’est pas le garant du sens du texte, même s’il ne fait pas autorité, il garde tout de même la clef du texte. Il existe cependant plusieurs clefs pour aborder un texte, libre au lecteur de choisir l’une ou l’autre.

 

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